Africajarc 2016 : Trois auteurs à découvrir

Samedi 27 Août 2016 - 8:07

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C’est lors d’une conférence organisée au cours du festival Africajarc, le festival des cultures africaines en France, que nous avons fait connaissance avec trois auteurs très prometteurs. Voici un tour d’horizon de leurs œuvres respectives

Adrienne YabouzaDe nouvelles voix africaines qui nous ont transportés d’un univers à l’autre. Honneur aux femmes, le public du festival a eu le plaisir de rencontrer l’écrivaine centrafricaine Adrienne Yabouza, remarquée par sa spontanéité et son franc parler. Originaire de Bangui, elle a dû quitter son pays en 2013 pendant la guerre. Après un court séjour à Brazzaville, elle a demandé l’asile politique en France où elle vit depuis. Elle a présenté son dernier roman « Co-épouses et co-veuves » paru en octobre dernier aux éditions Cauris livres. Elle a déjà publié trois romans co-écrits avec l’écrivain français Yves Pinguilly, « La Défaite des mères », « Bangui…allowi » et « Le Bleu du ciel biani biani » ainsi qu’un album pour les enfants intitulé « Comme des oiseaux ».

Très attachée à la condition des femmes en Afrique, elle aborde dans ce roman la question des veuves sur le continent. On suit la destinée de deux co-épouses, Ndongo Passy et Grekpoubou, deux rivales qui s’entendent à merveille. Leur mari commun, Lidou, décède brutalement, et comme il arrive bien souvent, la famille du défunt cherche à s’accaparer les biens aux dépens de ses épouses et de ses descendants. Dans ce récit truculent et haut en couleurs, Adrienne Yabouza dénonce ce fait de société et la précaire condition des femmes. Elle milite pour que l’on écoute davantage les « femmes de quartier » comme elle les appelle, en opposition aux « femmes de lotissement » bien souvent des commerçantes mieux loties et éduquées. Les femmes de quartier sont des femmes ordinaires qui tentent de joindre les deux bouts, qui font beaucoup mais qui ne sont pas considérées voire méprisées. Elle-même ayant dû quitter l’école très tôt pour s’occuper de ses frères et sœurs puis mariée très jeune, c’est à 40 ans qu’elle a pu apprendre à lire et à écrire dans sa langue, le sango. Ceci explique sa démarche d’écriture très particulière : elle écrit d’abord en sango avant de se traduire en français, tout en laissant quelques mots çà et là en « VO » et nous gratifie d’un français africain réjouissant. Son roman nous transporte littéralement à Bangui, le langage oral et très vivant fait que l’on se croirait à côté de ces femmes de quartier, à partager leur quotidien, leurs questionnements. On rit, on pleure avec elles.

Jussy KiyindouJussy Kiyindou est, quant à lui, un jeune écrivain originaire de Brazzaville. « Quand tombent les lumières du crépuscule » est son premier roman, publié chez Présence Africaine en mars dernier. Le sous-titre « Journal d’un itinérant » est particulièrement représentatif, le personnage principal est un jeune homme en pleine crise existentielle qui cherche sa voie, se questionne sur son avenir et chemine au gré des rencontres et des événements de la vie. Jussy Kiyindou livre un roman proche de l’autobiographie, la mort de son grand-père étant le moteur de l’écriture et le motif principal du livre. Ce grand-père dont il était si proche, et qu’il n’avait pas revu depuis son arrivée en France, est décédé brutalement en 2009 au Congo. Il a alors ressenti le besoin de faire son deuil par l’écriture. La figure du grand-père est très présente à travers le récit, et avec celle-ci les souvenirs de l’enfance, les premiers émois, les ombres de la guerre civile. Jussy nous entraine avec lui dans son errance, spatiale, entre le Congo et la France, temporelle, entre l’enfance et le présent, et personnelle, entre quête d’identité et recherche de repères. Un joli roman, sincère et écrit avec l’amour des mots et de la poésie (Jussy est un amoureux des lettres, il a fait des études de théâtre à la Sorbonne). Cet ouvrage est le premier volume d’une trilogie à venir.

Mohamed Mbougar SarrNous connaissions déjà Mohamed Mbougar Sarr, lauréat du Grand Prix du Roman Métis et du Prix Ahmadou Kourouma 2015 et auteur du très beau roman « Terre Ceinte », publié également chez Présence Africaine. Ce jeune sénégalais de 26 ans, doctorant à l’EHESS, a reçu un très bel accueil critique et public pour son premier roman. « Terre Ceinte » est un livre marquant, l’action se déroule à Kalep une ville située dans un pays sahélien en proie à l’Islam radical, ce qui rappelle fortement la situation du Mali. L’on suit une galerie de personnages qui réagissent de manière très différente face à la terreur imposée par la police islamique et son chef, Abdelkarim Konaté. Le livre s’ouvre par une scène terrible d’exécution de deux jeunes gens qui sont condamnés à mort pour s’être aimés. Leurs mères entament une correspondance poignante, et les habitants de Kalep décident soit de résister soit de collaborer. Un groupe de six résistants crée un journal clandestin afin d’exprimer leur opposition, le fils de l’un de ses résistants se radicalise, il y est aussi question d’une femme qui est, elle, une héroïne du quotidien… De nombreux personnages qui nous amènent à penser l’être humain dans sa complexité la plus profonde. Même le personnage d’Abdelkarim, brute sanguinaire s’il en est, nous apparait dans une palette de nuances. En tant que romancier, Mohamed Mbougar Sarr essaie de comprendre, il interroge les notions de courage et de lâcheté, d’héroïsme et de peur, de responsabilité et de vérité. Il mène une réflexion contemporaine sur le terrorisme, l’engagement et de manière plus universelle sur la condition humaine et il s’est senti rassuré, nous a-t-il confié, de voir que de nombreux lecteurs se tournent toujours vers la littérature afin de chercher des pistes de réflexion en ces temps difficiles. L’une des tâches de la littérature, c’est de travailler à l’éclaircissement du monde qui nous entoure et c’est ce qu’il est parvenu à faire dans ce roman merveilleusement bien écrit et construit. Mohamed Mbougar Sarr s’est à nouveau inspiré d’un fait d’actualité pour son deuxième roman qui devrait voir le jour en 2017.

Pauline Pétesch

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Adrienne Yabouza (c) ADIAC ; Photo 2 : Jussy Kiyindou (c) ADIAC ; Photo 3 : Mohamed Mbougar Sarr (c) ADIAC

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