Aissata Ouarma : « Quand on aime, on réussit »

Vendredi 9 Février 2018 - 18:38

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À l’allure d’un mannequin, la Burkinabè, la trentaine, est une jeune réalisatrice plein d’avenir. Grace à sa caméra, elle immortalise des instants de vie, des récits communs mais combien touchants, qui se rapportent à son sujet de prédilection, la « famille ».

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Dans son premier film, "Le silence des autres" 2011, Aissata lève le voile sur le côté cruel des aides ménagères qui quittent les villages pour un soi-disant meilleur avenir en ville. En outre, si l’histoire de sa famille est l’élément déclencheur de sa venue au cinéma, il lui a  pourtant fallu plus de cinq ans avant de ré-ouvrir cette page de son passé. Prête et déterminée à mettre en lumière les non-dits de son clan, la jeune femme espère que ce pan de son histoire familiale intitulé " Contre vents et marées" lui permettra de faire le deuil sur son histoire et d’aller de l’avant. Un parcours bien mouvementé que celui d’Aissata Ouarma qui nous montre comment le cinéma est devenu sa planche de salut.

Quelques minutes suffisent pour comprendre qu’Aissata ne vit et ne respire que pour et à travers le cinéma.  En effet, depuis la réalisation de son premier film,  "Le silence des autres", documentaire de 26mn sorti en 2010, la réalisatrice fascinée par ce mode d’expression ne cesse de surprendre le paysage cinématographique burkinabé et maintenant africain par ses œuvres. Dans ce premier  essai, elle nous introduit pieds joints dans les arcanes des aides ménagères qui quittent les villages pour aller tenter leur chance dans la capitale. Une œuvre qu’elle a réalisée après avoir été lauréate du concours du meilleur scenario du Festival Ciné Droit Libre (Burkina Faso), au cours de la même année. Réalisé en autodidacte, le succès de ce premier essai dans les arcanes du cinéma lui donne des ailes et elle ne manque pas de se former lors de ses déplacements en Allemagne puis en France.  

De nombreux prix glanés

De retour au Burkina Faso,  Aissata s’inscrit en master de documentaire de création à l’Institut supérieur de l’image et du son où elle fait un film d’école intitulé "Je danse, donc je suis", documentaire qui  lui a  valu plusieurs prix, dont celui du meilleur documentaire des écoles au Fespaco en 2015, le prix de l’intégration africaine en Côte d’ivoire et enfin les prix du meilleur son et la mention spéciale du jury au Togo. 

Le monde du cinéma semble décidemment lui sourire et sa soif d’écrire, de filmer la dévore. C’est ainsi qu’au cours de cette même année, elle réalise "Les silences de Lydie", film de 52mn, qui parle des rapports conflictuels qu’entretient une jeune fille avec sa mère. Un film qui connaît aussi un beau parcours puisqu’il remporte la mention spéciale du jury au Festicab, au Burundi. Il a été sélectionné au Gabon aux Escales de Libreville  et  à Saint-Louis, au Sénégal. Pour Aissata Ouarma, le meilleur est à venir. Ainsi continue-t-elle dans sa lancée et signe une nouvelle oeuvre: " En silence" », film expérimental de dix minutes.

Elle enchaîne avec un film intimiste puisqu’elle pointe, cette fois, sa caméra vers un membre important de sa famille, sa mère avec qui elle réalise un film de quinze minutes. «Confidence, c’est un film avec ma mère. Je l’ai filmée entre une heure et deux heures du matin, j’y intègre aussi le souvenir de mon père qui est mort, il y a dix-neuf ans.  Je parle de lui à travers une chaise vide que j’ai déposée sur la terrasse, à l’endroit où il avait l’habitude de s’asseoir et par la voix off, je lui parle. », a fait savoir cette dernière qui avait déjà réalisé "Une lettre à mon père " en 2013 (France), un film de quatre minutes  dans lequel elle s’adressait à son père.

 Les non-dits, les rapports entre enfant et parents, la société,  des thèmes récurrents, qu’apparemment  la jeune fille n’a fini d’éplucher dans la mesure où dans "Contre vents et marées", auto portrait de sa famille, elle exprime les non-dits qui ont affecté les membres de sa famille.  « Des silences qui ont donné naissance à des blessures que chacun de nous a essayé de cicatriser à sa manière. Ce sont des aveux qui seront peut-être difficiles à accepter, ou alors le contraire, mais toujours est –il, ce feed back vers le passé de ma famille va me permettre d’aller de l’avant. J’ai fini l’écriture et je pense qu’il est temps que je passe à l’action. Mon souhait, cette année, est de voir enfin le film prendre forme », a longuement expliqué Aissata qui, pour la première fois, parle de cette période de son histoire sans verser de larmes.

"Remettre les pendules à l’heure"

Si l’histoire de sa famille constitue le point de départ de sa carrière dans le cinéma, la réalisatrice n’a pas eu la force ou le cran de franchir le pas. Encore vulnérable à ses débuts, elle a préféré mettre en veilleuse cette page de son histoire, se tournant vers d’autres sujets. « L’idée m’est venue de faire des films sur d’autres thèmes, mais qui en fin de compte ont toujours ce point commun avec l’histoire de ma famille. Mais pour l’année prochaine, c’est décidé, je me lance,  je pense qu’il est temps de remettre les pendules à l’heure », a promis la réalisatrice, enthousiaste.

Comédienne à la base, elle a  étudié le théâtre et la dramaturgie à l’université. En deuxième année, elle intègre la troupe de théâtre et l’espace culturel Gambidi, animé  par le défunt  Jean Pierre Kigané. C’est en année de licence  qu’elle découvre le cinéma. « J’avais été invitée pour un atelier sur le cinéma documentaire et tout  de suite, j’ai eu envie de faire un film sur l’histoire de ma famille », a indiqué Aissata qui, dès lors, ne jure que sur le septième. « Je savais que je venais de trouver mon métier. », a-t-elle confié. Suite à cette formation, Aissata ne perd plus de temps, elle se forme via internet, lit des scenarios, ne se lasse pas de regarder des films d’auteur et se met à l’écriture.

"Se battre pour réussir ce que l'on aime"

Si elle rencontre des difficultés, elle ne s’en plaint pas. « Faire du cinéma  en Afrique, il faut avant tout se blinder le moral et avoir une reconnaissance locale, c’est tout un parcours du combattant. », a expliqué la réalisatrice. Aissata Ouarma  pense que « Les hommes et les femmes ont les mêmes difficultés. Dire que les femmes ont plus de difficultés ou moins, c’est aussi réduire le titre de femme que nous avons. Les hommes comme les femmes sont confrontés à des problèmes de financement, pour leurs films. Je me bats au même titre que les hommes pour avoir ma place ». La jeune réalisatrice envisage aujourd’hui  des collaborations avec d’autres réalisateurs. «  Je travaille actuellement avec une vidéaste malienne et nous avons un projet commun qui nous tient à cœur. Il s’agit d’un regard croisé  entre cette vidéaste et moi, via un documentaire. » a-t-elle révélé.

En dehors du cinéma, Aissata est une passionnée de la mode et donc du tissu pagne.  « J’aime le tissu africain, ce qui fait que je confectionne moi-même mes bracelets, colliers avec des tissus africains… Je ne peux dire que suis accessoiriste, mais c'est juste pour  valoriser le pagne.»,  a-t-elle avoué, visiblement heureuse.

Consciente enfin que c’est au bout des efforts que l’on est récompensé,  Aissata  estime que  « peu importe le métier qu’on exerce, il faut  avant tout aimer  ce que l’on fait, se battre pour que cette chose existe, le faire avec toute la rigueur possible et toute la détermination car  quand on  aime, on se bat pour ce qu’on chérit et on va réussir ».

 

Berna Marty

Légendes et crédits photo : 

Photo 1: La réalisatrice burkinabè Aissata Ouarma Photo 2: L'affiche du documentaire "Le silence des autres", d'Aissata Ouarma

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