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Ces oubliés et ces méconnus de l’histoire congolaise : Fiesta à Brazzaville

Vendredi 22 Décembre 2017 - 10:43

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En cette fin d’année 2017, force est de constater que le Congo a changé. La vie a changé aussi. La crise conjoncturelle actuelle n’en est pas la cause essentielle. Il faut remonter quarante ans plus loin, en 1977. L’assassinat du président Marien Ngouabi, le 18 mars de cette année-là, marque la césure entre la vie d’avant et celle d’après. En cause, le couvre-feu, instauré par le Comité militaire du parti, qui a pris en main l’organisation des obsèques du président assassiné. Trois mois durant lesquels, les débits de boissons sont quasiment contraints d’arrêter leurs activités. Cet événement malheureux a été mortifère pour  les mondanités dans la capitale congolaise.  

Avant cette date fatidique, il y a, grosso modo, à Poto-Poto, Faignond, Super Jazz, Congo Bar et Café Nono ; à Bacongo, Macedo, Pigalle et chez Bibi ;  au Plateau administratif, le Chris Pub ;  au Plateau-des-15 ans, La Cabane Bantoue ; à Moungali, Choisis et Elysées Bar ; à Ouenzé, Texaco Bar, auxquels s’ajoutent les gargotes de quartier : Fiesta, Moliba, Chez Kindu, Makambo, Mampassi, etc. La vie était belle. L’homme a toujours  tendance à enjoliver le passé. Un viatique en quelque sorte.   

Peu importe !  À cette « belle époque », pour reprendre le mot de Boris Vian, belle était la vie. Les Brazzavillois « vivaient ». Ici, ce mot a le sens de se défouler, de se distraire, et parfois, celui de s’encanailler. La joie de vivre l’emportait sur la morosité. C’était un esprit collectivement revendiqué, assumé. Chacun au niveau qui était le sien. Dans les lieux huppés que dans les gargotes. Les bars dancing s’alignaient tout le long de l’avenue de la Paix : Super jazz, temple du Sbb (Super Boboto), Congo-Bar, antre du Negro Band, Choisis, tanière du Mando Negro Kwala Kwa, Cabane Bantoue, Elysées-Bar et  Texaco sur l’avenue des Trois martyrs ; le premier au Plateau, siège de l’orchestre Bantou de la capitale, le second, au rond-point de Moungali, scène de Mok national Kiwo de Mokono,  à Ouenzé, lieu où se produit le Sinza Kotoko de Ya Gaby. Cet orchestre est le créateur de la danse Soukous, popularisée par les Bantous de la capitale. Quelques années plus tard, Sinza se retrouve chez Pigalle au marché Total et l’orchestre Le peuple du Trio Cépakos, né de l’éclatement des Bantous de la capitale, s’installe chez Macédo derrière le Lycée Savorgnan-de-Brazzaville (Libération, à l’époque). Les « ambianceurs » pouvaient ainsi passer d’un bar à l’autre, pour laisser libre cours à leur joie de vivre. Brazzaville était, sans conteste, un véritable hymne à la joie.

Après l’assassinat du président Marien Ngouabi, se développent les Ngandas, lieux interlopes de distraction. L’un des plus célèbres est chez Mère Bondo, sis à Moungali. D’autres, par la suite, imitèrent cette pratique, surtout, au début des années 1980, avec l’embellie financière dans le pays. En cette fin d’année 2017, Djento Boyengué, Dario, Walimeya, Jean-Pierre Mounialéa, Mokolango, Pierre-Jean Elouma, Popol Kouma, Niati Mabiala, Sammy, André Mbou, et tant d’autres « ngandeurs » sont partis. Que la terre de nos ancêtres leur soit légère. Ceux qui continuent de vivre ont vieilli. Certains d’entre eux font de la résistance, et écument encore les lieux de mondanités actuelles. Mais le temps a fait ses ravages sur leurs corps décrépis.

Que sont devenus les Essous, Nino Malapet, Alphonse Taloulou, José Missamou, Gerry Gérard Biyela, Pandi Saturnin, Pamelo Mounk’a, Max Massengo, « le chef des chefs » qui égayaient Brazzaville ? Ils sont morts. Ils ont emporté dans leurs tombes cette gaieté qui caractérisait Brazzaville. L’assassinat de Marien Ngouabi en 1977 puis,  quarante ans plus tard, la guerre du 5 juin  1997, ont définitivement jeté un masque funèbre sur les mondanités.  

Brazzaville a changé. Ses limites  ont explosé. Elle est devenue une ville tentaculaire, sans plan d’urbanisation maîtrisée. L’Etat subissant le diktat de la population qui s’installe où elle le peut, avec la complicité des « propriétaires fonciers » véreux. Ceux-ci n’hésitent pas à vendre des terrains réputés inconstructibles et, en cas de problèmes (inondations, ensablement, glissement de terrain, difficultés d’accès), c’est l’Etat qui est pointé du doigt, victime de son laxisme. À cet égard,  on peut, à juste titre, pointer la responsabilité  des ministères qui ont en charge les questions d’aménagement du territoire, du foncier, de la justice et de la ville.

Qu’importe ! Les mondanités se sont déployées dans ces nouveaux espaces urbains, dominés par les buvettes à ciel ouvert et,  en bordure des grandes artères, par ce qu’on appelle aujourd’hui, Vip, endroits de distraction hybrides : bars et night clubs, à la fois, qui  font les délices d’une jeunesse dépravée et dissolue, mais pas que. La police des mœurs n’est plus qu’un lointain souvenir. Ceux de ma génération se souviennent, avec regrets, du chef Kongo, Kala, Mongo Jacques dit  Coplan, etc.,  les célèbres policiers de cette époque. Leurs descentes sur le terrain,  lors des patrouilles, étaient redoutées dans les rues et dans les  lieux de mondanités. Hélas, la peur du gendarme a disparu dans ce pays.  Les vrais héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit.                                                                                                                               

Mfumu

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