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À Christophe de Margerie…

Samedi 20 Décembre 2014 - 14:45

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Mon cher Christophe, pardonne-moi de troubler, pendant quelques instants, le repos mérité qui est le tien au terme d’une vie bien remplie qu’un destin absurde trancha, il y a quelques semaines, sur l’aéroport de Nvukovo, à Moscou. Mais je sais, pour t’avoir vu rire à perdre haleine en diverses circonstances, que tu t’es certainement bien amusé, jeudi soir, lorsque la chaine de télévision France 2 consacra son émission « Complément d’enquête » au puissant groupe pétrolier Total que tu présidais avec autant de détermination que de diplomatie.  Non que celle-ci ait été mal construite ou mal présentée, mais simplement parce qu’elle n’a pas dérogé à la règle du genre qui consiste à présenter comme fondamentales des réalités qui sont accessoires.

Je ne m’arrêterai, pour illustrer ce jugement, que sur ce que je t’ai vu accomplir là où nous  travaillons, c’est-à-dire au Congo. Alors que l’on te présentait dans cette émission, sans bien sûr le dire ouvertement, comme un courtisan plus soucieux d’attirer pour ta compagnie les bonnes grâces du pouvoir que de contribuer à l’émergence de ce pays, j’ai constaté tout au long de ces années que tu t’impliquais fortement et personnellement dans ce lent et ambitieux processus. Au point même, chose incroyable si l’on y réfléchit bien pour un grand patron français, que tu avais sollicité de la plus haute autorité du pays l’honneur d’y avoir une maison dans laquelle tu pourrais venir te ressourcer à intervalles réguliers, maison que tu avais fait construire dans le périmètre d’Édou, à quelques encablures d’Oyo.

Ce que France 2 n’a, hélas ! ni dit, ni montré, c’est que tu as été l’un des artisans les plus actifs, les plus engagés de la réconciliation qui mit fin, en 1998, au divorce provoqué entre le Congo et la France par le rôle très négatif, pour ne pas dire carrément criminel, que joua le groupe Elf lors des évènements ayant conduit à la guerre civile de 1997. Venu à Oyo pour parler avec Denis Sassou N’Guesso, quelques mois seulement après que Total eut absorbé Elf, tu n’as eu de cesse que d’instaurer des liens de confiance avec les nouvelles autorités de la République.

Et si tu y es parvenu c’est, d’abord et avant tout, parce que tu ne racontais pas de boniments comme tes prédécesseurs, mais parce que tu osais regarder la vérité en face. Grâce à toi la France a préservé  et développé ses intérêts dans le Bassin du Congo. Elle te doit infiniment plus qu’elle ne le croit et que ne le disent les médias publics qui prétendent relater ta vie.

Ayant accompli cette tâche et accédé aux plus hautes responsabilités dans la vaste entreprise que tu dirigeais jusqu’à très récemment, tu aurais pu prendre du recul par rapport au Congo. Or, c’est le contraire qui s’est produit puisque tu venais à intervalles réguliers à Pointe-Noire, à Brazzaville, à Oyo pour parler de l’avenir avec le chef de l’État et ses proches collaborateurs. Si bien que nous avions pris l’habitude, nous qui observions la scène avec attention, de te surnommer « Christophe l’Africain ».

Ces réalités, bien concrètes, Denis Sassou N’Guesso les a rappelées en quelques mots au journaliste que France 2 avait envoyé au Congo afin d’enquêter sur tes relations avec l’Afrique et qui revenait tout juste d’Oyo où l’avait reçu l’un des proches du Président que tu connaissais bien, Serge Mouyi. Mais il faut croire qu’elles n’ont été ni perçues ni comprises par l’état-major de la chaîne à Paris puisqu’elles se sont trouvées noyées dans un fatras d’images dont le but apparent était de déconsidérer ton groupe aux yeux du grand public.

Là où tu reposes désormais, en Normandie, je sais, nous savons que tu n’as pas rompu tes liens avec le Congo. Tout comme Pierre Savorgnan de Brazza, tu es en réalité plus que jamais parmi nous. Et ce n’est assurément pas un hasard si Total a participé activement à l’élévation du Mémorial où celui-ci repose aujourd’hui avec sa famille, en plein cœur de Brazzaville. Conscient de ce que la France doit à l’Afrique en général, au Congo en particulier, tu cherchais en effet constamment comment Total pourrait contribuer de façon plus efficace au progrès économique et social de ces peuples.    

Je sais, pour en avoir parlé avec toi quelques jours avant ta mort, que tu comptais venir au Congo dans les semaines à venir afin d’aborder une fois encore ces questions avec Denis Sassou N’Guesso. Conscient des problèmes que ne pouvait manquer de poser la chute vertigineuse des cours du pétrole, tu lui aurais sans doute proposé de participer plus activement à la marche de son pays vers le développement durable et, sans doute aussi, te serais-tu engagé à faire mieux respecter les accords pétroliers conclus avec l’État congolais. Dieu, ce Dieu auquel tu croyais profondément, en ayant décidé autrement nous qui sommes toujours vivants veillerons à ce que ta volonté soit respectée.

Sache, mon cher Christophe, qu’en regardant jeudi soir France 2 passer à côté de ces vérités essentielles, j’ai levé mon verre à ta santé. Un verre de ce whisky vénérable que nous avions l’habitude de boire en fin de journée, à Oyo ou à Paris, et qui nous permettait de parler sérieusement de l’avenir.

 

 

 

 

Jean-Paul Pigasse

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

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