Colloque Georges Balandier : Bertrand Cochery « Je crois profondément à l’idée de l’Afrique, continent du XXIe siècle »

Lundi 20 Mars 2017 - 17:23

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Les 17-18 mars, la communauté scientifique du Congo a organisé à Brazzaville, en partenariat avec des universitaires venus de France, de Rd-Congo et du Sénégal, un colloque international en hommage au Pr Georges Balandier. Partie prenante à l’événement, l’ambassadeur de France au Congo, Bertrand Cochery, revient dans une interview exclusive aux Dépêches de Brazzaville sur l’intérêt de cette manifestation intellectuelle de haut niveau. Parlant de la consolidation des liens entre son pays et l’Afrique à travers les œuvres de l’esprit, le diplomate français dit « croire profondément à l’idée de l’Afrique continent du XXIe siècle ».

Les Dépêches de Brazzaville (LDB) : Monsieur l’ambassadeur, la communauté scientifique du Congo vient de rendre un vibrant hommage au Pr Georges Louis Emile Balandier avec le soutien de l’Institut français du Congo, à travers un colloque international de haut niveau. Quels sont vos sentiments au moment de la clôture de cet évènement ?

Bertrand Cochery (BC) : Le colloque international en hommage à Georges Balandier, décédé en octobre 2015, a atteint ses objectifs et même au-delà.

Il a été le fruit d’une coopération étroite entre l’Ambassade de France à Brazzaville, l’Institut Français du Congo d’une part, et d’autre part le ministre Henri Ossébi, qui a conçu l’architecture scientifique du colloque avec l’Université Marien- N’Gouabi, avec le soutien de Géopolique Africaine et de nombreux appuis congolais, tels que la SNPC ou la Fondation Perspectives d’avenir.

Ensemble, nous avons pu réunir un beau panel d’intervenants de tout niveau, universitaires, écrivains et chercheurs, venus de France, du Sénégal, de RDC et bien sûr du Congo. Cette dimension internationale doit être soulignée, car elle témoigne de la place particulière de Georges Balandier dans les études africanistes et dans le renouveau de l’Anthropologie, renouveau qui n’aurait pas été possible sans son expérience du continent africain, dans les années d’après-guerre, lorsqu’il découvre, alors chercheur à l’IFAN, la Guinée puis le Congo.

Je suis particulièrement reconnaissant aux autorités congolaises de l’importance qu’elles ont bien voulu accorder à ce colloque, de leur participation à ses principaux temps forts, à leur engagement dans les débats – je pense au Premier ministre, au ministre de l’Enseignement primaire et secondaire, je pense également au Député-Maire de Brazzaville qui, dès l’ouverture du colloque, a annoncé la décision prochaine de donner le nom de Georges Balandier à l’une des avenues de la capitale.

Mes remerciements s’adressent également à tous les professeurs et étudiants de sociologie et d’anthropologie qui, par leur participation active aux débats, ont manifesté non seulement leur soif de savoir mais aussi leur conscience des enjeux de l’anthropologie dans les sociétés africaines en mutation, notamment dans les villes.

Les constats que dressait Georges Balandier, les questions qu’il soulevait au début des années 50 sont toujours d’actualités.

LDB : Il est un autre message que le Congo a porté à travers ce colloque, son inauguration par le Premier ministre, chef du gouvernement, Clément Mouamba. Quel commentaire vous inspire cette marque de considération des autorités congolaises pour votre compatriote ?

BC : J’ai été particulièrement sensible aux propos du Premier ministre à l’endroit de Georges Balandier. Tout d’abord, par sa présence même, le Premier ministre a témoigné l’importance de la figure de Georges Balandier dans le monde de l’anthropologie et de la sociologie de l’Afrique contemporaine. Son intervention a également porté témoignage de la pertinence d’un esprit et d’une méthode que Georges Balandier a laissé en héritage à de nombreuses générations africaines, y compris celles qui, aujourd’hui, parmi les plus jeunes, contribueront à édifier le Congo de demain. Quand Georges Balandier dit qu’il n’y a pas d’autre réalité que le métissage, le mélange, dans la sociologie des villes africaines post-coloniales, il nous adresse un message fort sur la nécessité du « vivre ensemble ».

LDB : Vous avez-vous-même pris une part active à cette manifestation intellectuelle. Est-ce parce que vous connaissiez personnellement l’illustre disparu ?

BC : J’ai effectivement pris une part active à cette manifestation. Bien que n’ayant pas été l’élève de Georges Balandier, mon parcours d’études supérieures en philosophie politique m’a toujours conduit à reconnaître en Gorges Balandier un des grands piliers du renouveau des sciences humaines en France, que je n’hésite pas à placer au même niveau qu’un Claude Lévi-Strauss, un Michel Leiris ou Michel Foucauld. Ensuite, mon parcours de diplomate m’a conduit sur les terres de recherche de Georges Balandier puisque, comme vous le savez, j’ai été deux fois en poste en Guinée Conakry, notamment comme Ambassadeur de 2012 à 2016, et que j’ai aujourd’hui l’honneur d’être ambassadeur en République du Congo.

À chacun de mes postes, j’ai été amené à lire et relire Balandier, qui a éclairé et continue d’éclairer mon chemin, de l’« Afrique ambigüe » à la « Sociologie des Brazzavilles Noires ». Comme j’ai eu l’occasion de le dire dans mon allocution d’ouverture, le diplomate, au travers de cet hommage, tenait à honorer sa dette vis-à-vis de l’anthropologie.

LDB : Vous connaissez bien l’Afrique pour y avoir travaillé longtemps. Le colloque international sur Georges Balandier qui vient de se tenir à Brazzaville, est-ce une autre façon de consolider les liens entre l’Afrique et la France, deux partenaires unis par l’histoire et par la culture ?

 Nous devons effectivement utiliser tous les outils qui sont à notre disposition pour consolider et développer les liens entre l’Afrique et la France, en particulier en cette période où les dynamiques s’accélèrent, ou les mutations se font plus rapides, plus soudaines, notamment dans les villes et les capitales. Je crois profondément à l’idée de l’ « Afrique, continent du XXIème siècle ».

Nous avons la chance, avec une personnalité comme celle de Georges Balandier, d’avoir reçu en héritage un regard, des questions, une méthode, une affection profonde pour le continent africain, qu’il nous appartient -ensemble- de faire fructifier face aux nouveaux défis posés par l’Afrique du XXIème siècle.

On ne peut pas comprendre sans un ancrage profond dans les réalités culturelles, parce que le terrain de la culture est celui où coexistent des dynamiques tirées, pour les unes, vers la modernité la plus immédiate, et pour les autres, reflétant des questions très anciennes sur l’identité, les traditions, les repères. Comme je l’ai dit dans mon allocution, « une anthropologie dynamique s’exprime par la culture – une diplomatie avisée doit être à son écoute ».

La culture - et la compréhension des cultures -  est à mes yeux un des liens les plus forts qui nous attache au continent africain. Nous devons travailler ce lien, c’est toute la mission de l’Institut Français du Congo, c’est aussi l’un des aspects de ma mission d’Ambassadeur auquel j’attache le plus d’importance – pour mieux saisir les mutations en cours dans ce continent d’avenir.

LDB : Si vous aviez un mot pour conclure cet entretien.

Deux, si vous le voulez bien.

Le premier, c’est que les débats qui ont marqué ces deux journées de colloque ne s’oublient pas dans les mémoires et que les questions soulevées continuent à faire l’objet d’une réflexion active, entre universitaires, étudiants, responsables politiques, sur le sens de la citoyenneté dans les villes métissées.

Le second, c’est que nous tenons, avec Henri Ossébi et avec l’encouragement chaleureux du gouvernement congolais, à organiser en octobre, à Conakry « Capitale mondiale du livre 2017 », un colloque d’hommage à Georges Balandier parce que la Guinée a joué un rôle déterminant dans son œuvre pour l’Afrique de l’Ouest, comme Brazzaville l’a été pour l’Afrique Centrale.

Le succès du colloque international de Brazzaville nous y encourage fortement.

 

 

 

Propos recueillis par Gankama N’Siah

Légendes et crédits photo : 

Bertrand Cochery

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