Congo-RDC : le trafic des grands bacs perturbé mais non arrêté

Jeudi 24 Avril 2014 - 19:15

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Le trafic fluvial entre Brazzaville et Kinshasa, qui se faisait normalement, connaît une véritable perturbation, depuis le rapatriement des Kinois en situation irrégulière dans leur pays d’origine, à la suite de l’opération « Bata ya Bakolo » lancée le 4 avril dernier

Depuis le lancement de cette opération, les langues se sont déliées dans la rue. Tout un tas de choses ont été dites sur cette opération, surtout en ce qui concerne le trafic fluvial qui serait dit-on arrêté, et les étudiants congolais en formation en République démocratique du Congo (RDC) qui seraient menacés de mort. Dans la matinée de ce 24 avril, nous nous sommes rendus sur place au Beach de Brazzaville pour en savoir un peu plus.

Le premier constat que nous avons fait, c’est que, si habituellement le trafic des grands bacs entre Brazzaville et Kinshasa a lieu deux fois par jour, de façon rotative, c’est-à-dire deux traversées, de 10h30 à 12h (aller-retour) puis de 14h à 16h, actuellement, les données ont changé. Tout simplement parce que le trafic commercial a cédé la place au trafic humanitaire.

À entendre l’un des responsables de la navigation fluviale congolaise qui a voulu garder l’anonymat, plus de 2.000 Kinois volontaires et ceux ramenés au Beach de Brazzaville par les services de police, traversent le fleuve. C’est d’ailleurs ce que nous avons constaté ce 24 avril.

En effet, au début de cette opération, le rapatriement des Congolais de la RDC s’effectuait par le bateau (grand bac) de l’Office national de transport (Onatra) de la RDC. Ainsi, plusieurs Kinois en situation irrégulière ont été affectés à Kinshasa. Constatant que le grand bac de l’Onatra était toujours hyper chargé et craignant un éventuel danger, le gouvernement congolais a pris l’option d’affecter le bac du Centre national de transport fluvial (CNTF) pour ramener les Kinois chez eux. Et depuis quelques jours, l’opération est menée par ce grand bac du CNTF. Celui de l’Onatra, qui a débuté l’opération, ne le fait plus à cause du coût, le grand bac étant commercial. Ainsi, depuis le 23 avril dans l'après-midi, le gouvernement de la RDC a déployé deux unités couplées navales (deux pousseurs) pour ramener leurs ressortissants au bercail. En fin de matinée ce 24 avril, ces deux pousseurs ont de nouveau permis la traversée aux Kinois et Kinoises.

Comme nous le disons plus haut, nous avons constaté qu’outre les expulsés de la police, il y a aussi des ressortissants de la RDC qui traversent volontairement en toute sécurité avec leurs biens. Ces derniers ont pris le soin de se faire enregistrer au service consulaire de leur ambassade à Brazzaville, avant que les services d’immigration ne contresignent. Il en est de même pour les expulsés de la police qui sont enregistrés avant leur embarquement. Tout ceci pour des raisons de sécurité, de façon à ce qu’il n’y ait aucune plainte par la suite.

Le trafic n’est pas totalement arrêté

Si le trafic au niveau des grands bacs est momentanément suspendu, celui des canots rapides a lieu normalement. Ainsi donc, les passagers désireux de se rendre à Kinshasa ou à Brazzaville, n’ont qu’à prendre les canots rapides. Le trafic s’effectue comme d’habitude. Cela sous-entend que tous ceux qui sont en règle font des va-et-vient comme ils le veulent et sans être inquiétés.

Cependant, s’agissant des grands bacs, le trafic ne peut reprendre normalement qu’à la fin des convois de l’opération « Bata ya Bakolo ». Pour la simple raison que tout se fait au même quai, celui des grands bacs. À entendre certaines autorités, le trafic normal ne pourra reprendre que d’ici la fin de la semaine prochaine.

Il n’y a pas de représailles contre les étudiants en RDC

Quant aux rumeurs les plus folles qui courent dans les rues de Brazzaville annonçant même des tueries à tabac de quelques étudiants congolais ; il n’en est rien, nous a rétorqué l’un des agents des services de sécurité que nous avons rencontré au Beach de Brazzaville. « En tout cas depuis que l’opération Bata ya Bakolo a commencé ici, nous n’avons pas reçu des étudiants en fuite, ou des Congolais qui auraient connu des représailles en RDC. Même ici, il n’y a pas eu de représailles. S'il y en a qui ont tenté de le faire au niveau de la police, vous savez très bien qu’ils ont été radiés définitivement des effectifs de la police. Il s’agit en fait de contrôler les gens qui sont en règle. Celui qui est en règle reste au Congo sans problème, celui qui n’est pas en règle, repart le temps pour lui dans les jours à venir, s’il veut revenir au Congo de se mettre en règle en s’acquittant non seulement de sa carte consulaire, mais aussi de sa carte de séjour (carte de résident) qui coûte 106.000 FCFA, tout en respectant les lois et règlements de la République. C’est tout. Il n’y a pas autre chose. »

Avant d’ajouter qu’en ce qui concerne les Congolais qui sont en RDC, ils n’ont qu’à en faire autant. Maintenant, s’ils sont en règle, il n’y a pas de raison qu’ils soient expulsés ou mieux connaissent des représailles.

Après avoir écouté attentivement cet officier de police, nous nous sommes rapprochés d’un Congolais qui sortait d’un canot rapide en provenance de Kinshasa. Ce dernier nous a révélé : « Je reviens de Kinshasa où j’ai passé deux jours. J’ai accompagné mes frères dont l’un devait prendre le vol d’Ethiopian Airlines, que j’ai accompagné à l’aéroport de Ndjili, puis le lendemain je suis allé déposer mon cadet à l’institut de Sonabata à quelque 100 km de Kinshasa. J’ai par la suite passé deux jours dans un hôtel à Kinshasa. Sincèrement, je peux vous dire que je n’ai pas été inquiété. J’ai cru entendre certains Kinois condamnés même les leurs qui sont restés le plus longtemps dans un pays étranger sans se mettre en règle. »         

Un véritable manque à gagner

L’interruption momentanée du trafic fluvial entre Brazzaville et Kinshasa dans le but de réglementer la situation des étrangers en situation irrégulière au Congo, entraine des effets néfastes sur l’économie de deux sociétés de transport fluvial, à savoir le CNTF pour le Congo Brazzaville et l’Onatra pour la RDCongo. Ces deux sociétés étatiques qui font de bonnes recettes au jour le jour, sans être suspendues à cette opération : raison d’État oblige. Il faudra donc près de deux semaines pour remettre les choses en ordre.

Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, les privées, les patrons des canots rapides se frottent les mains. Parce que présentement, il n’y a que leurs moyens qui traversent le fleuve de part et d’autre.

Il n’y a pas que des sociétés de transport fluvial qui subissent le poids de cette opération. Les commerçants et commerçantes des deux rives, habitués à faire la navette, en pâtissent également. Nul n’est au-dessus de la loi. L’État étant souverain, il peut prendre des mesures tant qu’il veut, s’il les juge nécessaires. Comme quoi, que ce soit les sociétés de transport fluvial (CNTF-Onatra), les commerçants et commerçantes, les changeurs de fonds, ils n’ont qu’à attendre la normalisation de la situation.

Rappelons que le rapporteur de la police nationale, le colonel Jules Mounkala-Tchoumou, dressant le point sur la première étape de cette opération lancée le 4 avril dernier, a déclaré à la presse, le 15 avril, que l’opération Bata ya Bakolo avait interpellé à ce jour : 1.764 personnes pour infractions et séjour irrégulier. « Ce rapport concerne l’impact de l’insécurité dans les quartiers périphériques de Brazzaville où sévissent des délinquants au mode opératoire assez particulier. Ainsi, sur les 1.764 personnes interpellées, on note 1 Tchadien, 1 Sénégalais, 2 Béninois, 2 Rwandais, 1 Guinéen, 5 Camerounais, 28 Maliens, 30 Centrafricains, 1.337 ressortissants de la RDC et 27 Congolais de Brazzaville », a-t-il déclaré.

N’étant pas lancée pour occasionner le banditisme ou les dérapages, tous les policiers qui ont opté pour cette option ont été sans autre forme de procès radiés des effectifs de la police nationale. Ils sont au total 17, remis à la disposition de leurs parents. En outre, un échantillon de six personnes a été présenté au public, le 18 avril à Brazzaville.

Bruno Okokana

Légendes et crédits photo : 

Photos 1, 2 et 3 : Les Kinois et Kinoises prêts à traverser le fleuve.