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De Brazzaville à Blois et retour

Jeudi 23 Octobre 2014 - 19:07

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Les « Rendez-vous de l’histoire » de Blois, grand-messe annuelle consacrée à la discipline historique, ont réuni d’éminents historiens autour d’un grand thème (les « rebelles ») et ont particulièrement mis à l’honneur l’Afrique cette année, puisque plusieurs conférences et tables rondes étaient organisées, notamment autour de la parution du livre de Sylvie Brunel, L’Afrique est-elle bien partie ? Étonnante alchimie que celle de Blois, qui parvient à mêler université et grand public, professionnels et amateurs, sans oublier les politiques. Cette réunion de tous ces mondes, ordinairement si éloignés les uns des autres, est véritablement unique et bien sûr s’explique d’abord par l’importante capacité de la discipline historique à s’inscrire dans des problématiques contemporaines, la période étudiée fût-elle très éloignée dans le temps.

Mais alors, si à Blois il est question de l’Afrique,  ne faut-il pas tout autant nous tourner vers la façon dont l’Afrique elle-même raconte son histoire ? En disant son histoire, mais aussi la nôtre (puisque nous nous permettons de dire la sienne), ne peut-elle pas donner au temps présent une irremplaçable perspective ?

Assurément ! Le festival « Images et Histoire », journées de l’histoire qui ont lieu dans la capitale du Congo-Brazzaville, donne l’exemple de la réappropriation par l’Afrique, non seulement de sa propre histoire, mais aussi de celle du continent européen, s’il est vrai que les deux destins furent si souvent liés. L’an dernier, en novembre 2013, le thème était : Brazzaville, capitale de la France libre, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la conférence de Brazzaville (janvier 1944) et de la commémoration du décès de Félix Éboué (mai 1944).

Que ces journées de l’histoire aient lieu sur le sol congolais lui-même n’est pas un détail ; c’est au contraire tout un symbole de voir les plus grands spécialistes de la discipline, mais également des photographes, des cinéastes, se retrouver là où précisément le Général de Gaulle voulut la vraie capitale de la France libre, entre le 26 octobre 1940 jusqu’en 1943.

Brazzaville, en effet, fut un double symbole : celui de la France libre, et celui de la décolonisation :

1) Celui de la France libre : le manifeste de Brazzaville du 27 octobre 1940  a tout de même créé, rien que cela, le Conseil de défense de l’Empire, véritable gouvernement de la France libre avant que le Comité national français ne prît le relais, le 24 septembre 1941. Officiellement, la capitale de la France libre n’est pas Londres, mais bien Brazzaville.

2) Celui de la décolonisation, car c’est encore au Congo que la grande Conférence de Brazzaville, qui eut lieu entre le 30 février et le 8 février 1944, oeuvra dans le sens d’un assouplissement colonial, dans un contexte où l’« empire », après la campagne de Tunisie, accorda quasi intégralement sa confiance à la France libre.

Dans son discours inaugural du 30 février 1944, le Général de Gaulle reconnut d’abord l’immense tribut payé par l’Afrique lors des deux guerres mondiales en ces termes : « Comme toujours, la guerre elle-même précipite l'évolution. D'abord, par le fait qu'elle fut, jusqu'à ce jour, pour une bonne part, une guerre africaine et que, du même coup, l'importance absolue et relative des ressources, des communications, des contingents d'Afrique, est apparue dans la lumière crue des théâtres d'opérations. » L’aveu n’est pas franc, mais il est réel – et plus réel encore est le programme, non pas certes de décolonisation, mais de la future Union française et de l’abolition définitive de l’indigénat : « En Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n'y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n'en profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient s'élever peu a peu jusqu'au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi. »

Certes, cette conférence fut à maints égards, et notamment concernant l’empire colonial, profondément conservatrice, mais que cet événement fût historique cela est indubitable. Indubitable également fut le rôle de Félix Eboué dans l’organisation de la France libre, après qu’il avait proclamé, le 26 août, à Fort-Lamy, le ralliement du Tchad à la France libre, ce qui a donné une force territoriale salutaire à cette dernière, et une légitimité politique plus grande encore. Nommé par le Général gouverneur général de l'Afrique-Équatoriale française, il œuvra fameusement pour une politique indigène, luttant avec acharnement contre les indignes inégalités qui touchaient les autochtones.

De la même façon qu’à Blois il fut question de l’Afrique, à Brazzaville il fut question de la France ! Comment ne pas voir l’extrême importance de cette réciprocité historique pour les temps présents ? Le devoir et la grandeur de la discipline historique est de laisser d’autres voix s’exprimer, en d’autres lieux, tant il est vrai que l’histoire dit autant sur ce qu’elle recherche que sur ceux qui la font.

De Blois à Brazzaville, l’histoire dit le passé autant que le présent !

 

 

Florence Gabay

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

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