Décentralisation : Minembwe, les compteurs remis à zéro

Lundi 12 Octobre 2020 - 16:00

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Minembwe, cette petite bourgade perdue au milieu des steppes d'altitudes en territoire de Fizi (secteur de Lulenge) dans le Sud-Kivu, continue d’enflammer les réseaux sociaux et la ville haute depuis que la nouvelle de sa mutation en commune rurale a été portée sur la place publique. L’installation, dans la foulée, des autorités de la nouvelle commune en gestation a suffi pour jeter de l’huile sur le feu.

En pilotant ce projet destiné à accorder à cette entité les pouvoirs d’une juridiction à part entière au bénéfice de la communauté Banyamulenge, Azarias Ruberwa s’est enfin dévoilé. Son attitude téméraire dans la gestion de ce dossier, malgré toute la controverse qu’il suscite, aura ravivé la polémique autour de l'acceptation des Banyamulenge par les autres communautés locales.

En exhumant un décret datant de juin 2013 pris, à l’époque, par le Premier ministre Matata Ponyo conférant le statut de ville et de commune à certaines agglomérations de la province du Sud-Kivu, lequel fut mis en sourdine en 2015 par le Conseil des ministres avant d’être remis en selle en 2018 par Bruno Tshibala, l’exécutif national avait-il suffisamment mûri la décision et pensé aux conséquences qui pouvaient en résulter ? En tout cas, les faits sur le terrain trahissent le côté aléatoire d’une décision maladroite aux conséquences imprévisibles. De nombreux congolais n’y ont vu rien de moins qu'une atteinte à l'intégrité territoriale de la République démocratique du Congo au profit du Rwanda. Entre-temps, les relents séparatistes ont ressurgi de plus bel dans les hauts plateaux où, depuis 2019, les Banyamulenge sont la cible d'autres communautés locales (Babembe, Bafuliru et Banyindu) redoutant la confiscation de leurs terres. Bien que Minembwe ne présente aucune continuité territoriale avec le Rwanda (la frontière passe à des dizaines de kilomètres au nord-est des hauts Plateaux, entre Bukavu et la plaine de la Ruzizi), les appréhensions sont loin de baisser.  A la suite des acteurs politiques, des mouvements citoyens et de nombreux experts, le Congolais lambda a aussi donné de sa voix pour dire «non» à ce qui avait tout l’air d’une supercherie. 

Avec le recul du temps, la maladresse ayant sous-tendu cette décision apparaît toute grande. La procédure en la matière, fait-on savoir, n’a pas été respectée : non-consultation obligatoire de l'Assemblée provinciale pour recueillir son avis conforme, non-consultation des autorités coutumières locales, empiétement sur des terres plutôt dévolues aux communautés locales, exiguïté de l’entité qui ne compte pas plus de deux mille habitants, etc. Bien plus, le dossier Minembwe n’a jamais été inscrit, depuis 2013, à l’agenda de l’Assemblée provinciale du Sud-Kivu pour débats et délibérations. Un dialogue en amont entre les différentes communautés des hauts Plateaux aurait, peut-être, mis un bémol à la controverse et contribué au maintien de la cohésion entre les différentes composantes éthiques. Malheureusement, tel n’a pas été le cas !

Le "vouloir vivre ensemble" 

Au-delà des appréhensions et des interrogations exacerbées par des politiciens en mal de sensation, les Congolais d’origine ou d’expression rwandaise - ayant acquis la nationalité congolaise collectivement ou individuellement - ont tout intérêt à vivre en bonne intelligence avec les autochtones du Sud-Kivu. En se prévalant du droit de sol par le simple fait de leur citoyenneté, ils se marginalisent automatiquement et mettent à nu des velléités d’occupation mal dissimulées sous le couvert de l’hypocrisie. En annulant le processus d’érection de Minembwe en commune rurale, Félix-Antoine Tshisekedi, se fondant sur le principe « le salut du peuple est la loi suprême », aura mis un bémol à une tension qui allait grandissant.  A la place, il a promis d'installer une commission d'experts pour redéfinir les limites territoriales de la commune, de sorte que tout soit fait selon les règles de l’art.

Rétropédalage ou quête de paix sociale ? En tout cas, la décision du chef de l’Etat est plus que salutaire parce qu’étouffant, au nom de la paix et de la coexistence pacifique, toute velléité antagoniste et séparatiste. Et puisqu’il s’agit d’un territoire dont les limitations sont contestées dans un contexte de conflit latent, toute manipulation politicienne et tout clientélisme tribal, clanique ou sentimental sont dorénavant à proscrire, question de parer à toute éventualité suicidaire.

Toutefois, la diligence avec laquelle le dossier Minembwe a été traité au détriment d’autres villages et localités du Sud-Kivu concernés par le décret de Matata Ponyo inquiète et laisse penser qu’il y a bien anguille sous roche. Une chose est vraie, c’est que ce petit village de Fizi ne sera ni vendu ni loué.

Alain Diasso

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