Denis Sassou N'Guesso : « Le Congo entend s’appuyer sur le partenariat d’un pays industriel comme l’Italie »

Samedi 28 Février 2015 - 16:45

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Le président de la République a reçu les hommes et femmes des médias italiens pour répondre à leurs questions sur le Congo et l’Afrique.

Si la conférence de presse accordée par le président Denis Sassou N'Guesso à l’hôtel Exclesior de Rome, jeudi dernier, est beaucoup revenue sur les questions de terrorisme avec Boko Haram en toile de mire, les thèmes abordés ont été nombreux et variés. Au point qu’en une heure d’un échange des plus libres, il a fallu inviter les confrères à « permettre » au président de poursuivre la suite du programme très  resserré de son voyage en Italie.

Dans le parterre des journalistes, la soif était d’abord évidente de savoir, vu que le président Denis Sassou N'Guesso n’en est pas à son premier voyage en Italie, en quoi celui-ci était particulier. Et surtout, quels sont les domaines, en dehors du pétrole, où le Congo attend l’appui du partenariat italo-congolais. Le président a répondu à tous, avec une franchise et même un brin d’humour qui étaient visibles.

La visite en Italie?

« Elle a permis de signer 6 accords de coopération dans les domaines variés comme le CFCO, l’agriculture, la pêche, ENI. Le Congo a tracé un cadre pour les investissements, dans le souci de se débarrasser  de tous les obstacles qui présentaient de notre pays une image pas trop bonne pour le climat des affaires ». Naturellement, le pétrole est au centre du dispositif. Mais la volonté du pays est de diversifier les secteurs de coopération. « Il ne s’agit pas de relancer, mais de renforcer la coopération avec l’Italie. Avec ENI, par exemple, nous avons signé un accord pour que sa centrale à gaz de Pointe-Noire passe de la capacité des 300 MW d’aujourd’hui à 150 MW supplémentaires. Nous allons aussi vers l’utilisation des autres minerais, manganèse, potasse etc… pour produire de l’urée et donc un engrais complet pour l’agriculture ».

 Le renforcement de votre coopération avec l’Italie dans le domaine pétrolier, ne va-t-il pas frustrer les autres partenaires, telle la France ?

Telle est la question d'un journaliste à laquelle, Denis Sassou N'Guesso, étonné, répond : « ENI continue de faire des découvertes importantes au large des côtes, mais Total aussi. Il y a quelques temps, quand l’une était AGIP et l’autre Elf-Aquitaine, il y avait même un accord entre les deux pour que l’une réserve 35% des parts dans la découverte de l’autre et vice-versa. Les choses ont un peu changé lorsque, très récemment, nous sommes passés des contrats de concession à des contrats de partage, mais cela se passe très bien »

Alors quels sont les secteurs dans lesquels l'expertise italienne est sollicitée ?

Un cadre global a été dressé qui fait du pays dont les atouts, au cœur de l’Afrique Centrale, avec un port en eau profonde et des projets qui montent en puissance. Le chef de l'État congolais : « une opportunité qui trouve du bien à tirer de la coopération avec un pays industriel comme l’Italie. Dans les domaines des infrastructures routières, de la réalisation de l’extension du réseau électrique, des routes et du BTP, l’Italie pourrait trouver sa place. Une délégation d’hommes d’affaires est venue à Brazzaville et a visité les zones et secteurs où la compétence des sociétés italiennes, y compris les PME, peut apporter beaucoup ».

De l’économie les questions ont roulé sur le terrorisme avec les deux points de fixation que représentent aujourd’hui dans l’actualité le délitement de la Libye et la dangerosité du mouvement extrémiste nigérian de Boko Haram. Le président n’a pas mâché ses mots sur la Libye. « Bien avant 2011 (et la chute du régime du colonel Kadhafi, Ndlr) nous, à l’Union Africaine, avions averti nos partenaires occidentaux que la voie qu’ils privilégiaient (celle des bombardements, Ndlr)  n’était pas la bonne. Ils ont mené la guerre en Libye ; aujourd’hui le problème s’est élargi au sous-ensemble sahélien, sans se résoudre ».

Crise centrafricaine et crise libyenne ?

« Il est évident que la succession de toutes ces crises : au Soudan avec la région voisine du Darfour ; au Sud-Soudan et même, il y a quelques années, au Tchad ne peut pas ne pas avoir produit des effets néfastes. On parle aujourd’hui des Sélékas en Centrafrique, ils ne sont tout de même pas venus du ciel ! » 

Autres questions : que faire contre Boko Haram ? Le Congo est-il menacé ?

Là aussi le président a invité à analyser les faits. « Lorsque vous regardez une carte, c’est comme si l’Afrique était aujourd’hui coupée en deux. Avec les Shebabs somaliens au sud et les rebelles de l’État islamique au nord. Nous, en Afrique Centrale, avons pris la mesure du danger et sommes en train de travailler à y faire face ensemble. Les chefs d’État de la sous-région nous ont délégués, le président équato-guinéen et moi, pour prendre langue avec le président du Ghana, qui est président en exercice de la CEDEAO. À brève échéance, nous devrions aboutir à une coopération-concertation contre le mouvement de Boko Haram dont l’activité peut effectivement déstabiliser la région entière ».

Enfin, deux dernières questions sont sorties du cadre de la coopération italo-congolaise stricte. D’abord : que fait le pays pour lutter contre la corruption dont une ONG comme Transparency International dit qu’elle gangrène tous les rouages du Congo ? Réponse : « J’ai souvent l’habitude de dire que là où il y a corruption, il faut supposer qu’il y a aussi corrupteur. Et tous les pays, je dis bien tous, sont concernés ! Les corrupteurs sont ceux qui viennent, payent pour des passe-droits auprès des agents de nos administrations. Ce sont souvent nos partenaires occidentaux »,  a fortement souligné le président.

« Nous sommes conscients du problème. Je ne peux pas dire qu’au Congo, il n’existe pas de corruption. Mais le gouvernement a mis en place des mécanismes de lutte. C’est une bataille et je ne doute pas que nous la gagnions », a fortement insisté le président.

L’autre question, de portée domestique si l’on veut, a concerné la rupture par le RDD de son alliance avec le PCT. Comment évaluez-vous cela ? 

« Cela fait partie de la vitalité d’une démocratie de ne pas être figée », a répondu le président. Il a rappelé : « Il y a quelques temps, le RDD était l’allié d’un parti de l’opposition, l’UPADS, contre le PCT. Il a ensuite fait alliance avec le PCT et aujourd’hui s’en éloigne. Il n’est pas malsain dans une démocratie que des discussions se mènent et que des évaluations se fassent qui redessinent le jeu des alliances au sein et en dehors des partis politiques ».

 

Lucien Mpama