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Dov Zerah : « La solidarité familiale a joué le rôle d’amortisseur social »

Dimanche 2 Mars 2014 - 23:30

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Nombreux sont ceux qui découvrent ou redécouvrent l’Afrique, ses richesses, sa croissance, ses potentialités. La croissance s’est élevée à 5,7% en moyenne sur la période 2001-2011 contre 2,6% dans les années 1980 et 2,3% dans les années 1990. Au-delà des effets positifs du renchérissement des prix des matières premières, il est difficile de comprendre les raisons de ce sursaut

Dov Zerah, Conseiller maître à la Cour des comptes, ancien directeur général de l’Agence française de développement Le rôle de la femme dans la société et l’économie africaines est essentiel pour essayer de comprendre les évolutions de l’Afrique subsaharienne. La femme africaine s’occupe à la fois de son foyer, et cela exige encore aujourd’hui des tâches très contraignantes, comme se rendre à une borne-fontaine pour remplir des bidons d’eau ou chercher le combustible pour pouvoir faire la cuisine, s’occuper des enfants…

La femme africaine est une actrice économique essentielle dont les activités peuvent être très diverses : agriculture, vente de fruits et légumes provenant du jardin familial ou tribal, de beignets ou de mets cuisinés, de pagnes, cuisine, couture, coiffure, mais de plus en plus présente dans les usines et les administrations. La femme africaine est toute aussi active aux champs qu’à la ville. Elle est une cliente privilégiée des caisses de microcrédit. Elle emprunte pour poursuivre et développer son activité, et les opérateurs bancaires ont tendance à lui faire confiance, sans trop sourciller !

La femme africaine est un pilier de la société africaine, peut-être le plus solide, même si cela relève du secteur informel. La femme africaine est le moteur de la société africaine marquée par les solidarités financières et par sa capacité à s’organiser en dehors des schémas occidentaux traditionnels. C’est en très grande partie grâce aux femmes africaines que l’Afrique a fait preuve dans les années 1990 d’une exceptionnelle capacité de résilience et d’une formidable vitalité pour faire face à la crise.

Dans son livre L’Économie de l’Afrique (Paris, Éditions La Découverte, 1993), Philippe HUGON écrit : « Les Africains ont été capables de gérer à leur manière, depuis leur indépendance, un doublement de leur population, un quintuplement de leur population urbaine, la mise en place d’appareils d’État et le maintien de frontières constitutives d’États-nations malgré le caractère artificiel et les clivages ethniques transfrontaliers. »

Les « acteurs du bas », et principalement les femmes, ont inventé, innové, créé des activités satisfaisant de nombreux besoins essentiels. Ils ont démontré une formidable capacité de résistance face à la crise, une incroyable capacité de survie et de rebond. C’est du bottom up, la réponse africaine bien différente des préconisations top down des institutions de Bretton Woods.

Il existe une exception africaine qui se manifeste par des comportements et des logiques distributives atténuant les clivages sociaux et géographiques. Les riches entretiennent tous les membres de la famille du clan, les entreprises publiques engagent des villages entiers provoquant ainsi la privatisation de la sphère étatique et l’appropriation des biens publics par les individus. Si cela favorise, voire justifie la corruption, cela évite les explosions sociales, et l’on peut parler de l’étonnante vitalité des sociétés africaines.

Les Européens, marqués par le matérialisme individualiste occidental, peuvent être surpris par le vitalisme africain où les relations sociales, dans le cadre de la famille, de la tribu, prennent le pas sur l’individu. Ce qui est encore plus surprenant, c’est que la solidarité familiale ne s’inscrit pas dans une structure monoparentale ; compte tenu de la polygamie, la solidarité transcende le fait de ne pas avoir la même mère ou le même père. La femme, la mère, est le ciment de tous les membres de la famille, de la tribu. Elle incarne la stabilité.

Dans ce contexte, la solidarité familiale, tribale, a joué le rôle d’amortisseur social en lieu et place de tous les mécanismes sociaux qui existent dans nos pays européens et qui permettent d’amortir aujourd’hui les effets collatéraux de la crise. Sans les mécanismes familiaux et tribaux de redistribution en Afrique, ce continent aurait connu des drames encore plus aigus. Mais les femmes africaines ont prouvé qu’elles pouvaient s’intégrer dans le secteur formel, comme le démontre la success-story des célèbres Nana Benz togolaises (Comi Toulador, « Les Nanas Benz de Lomé, mutations d’une bourgeoisie compradore, entre heur et décadence », Afrique contemporaine, n° 244).

Marchandes de tissus imprimés, ces commerçantes ont fait fortune au point d’en porter la marque dans leur surnom, « Benz » pour signifier qu’elles roulent en Mercedes Benz. Elles sont représentées par un ensemble d’éléments vrais ou supposés : corpulentes, elles pratiqueraient des sciences occultes, vivraient sous le régime de la polyandrie, affichant des biens de consommation ostentatoire pour bien marquer la réussite économique…

Exclusivement féminin, dénotant la vitalité du rôle de la femme dans la société africaine, le mouvement a commencé il y a plus de soixante ans, et n’a cessé de se développer, le fonds de commerce se transmettant de mère en fille, ou au sein de la tribu. Depuis est apparue une deuxième, et aujourd’hui une troisième génération.

À elles seules, elles sont un élément constitutif d’une classe moyenne, voire une caste, avec ses codes et ses règles. Elles incarnent la bourgeoisie d’affaires, petite, moyenne et grande, citadine et commerçante. Cet ensemble est structuré en quatre strates : une vingtaine de grossistes disposant d’un monopole d’approvisionnement ; les demi-grossistes, avec ou sans exclusivité ; les détaillantes travaillent à leur propre compte, ou pour le compte d’une patronne ; les petites revendeuses ambulantes.

Elles ont connu des moments difficiles dans les années 1990 avec notamment la crise économico-politique et la suppression des quotas d’importation en décembre 2004. Mais la nouvelle génération a réussi à s’adapter, à faire évoluer ses modes de fonctionnement et à perdurer, ce qui constitue un indiscutable exemple en Afrique subsaharienne.

La femme africaine est bien une actrice majeure du développement économique africain.

Ancien directeur de l’Agence Française de développement (AFD), Dov Zerah, âgé de 59 ans, est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et de l’ENA, promotion Voltaire. Conseiller maître à la Cour des comptes, il a pu démontrer sa sensibilité à l’avenir du Continent au cours de sa présidence de la Compagnie cotonière (Copaco) et de Dagris (Développement des agro-industries du Sud), entre 1999 et 2002, deux holding en contact permanent avec une trentaine de pays africains.

Dov Zerah, ancien directeur général de l’AFD

Légendes et crédits photo : 

Dov Zerah, Conseiller maître à la Cour des comptes, ancien directeur général de l’Agence française de développement ©DR