Du bon usage de la puissance

Les tensions qui se multiplient aux quatre coins du monde, mais tout particulièrement en Europe de l'Est, au Proche et au Moyen-Orient, en Asie du sud sont là pour le démontrer : l'homme moderne, aussi rompu aux nouvelles technologies et éduqué soit-il, reste un animal imprévisible, mû par l'instinct de domination qui lui a permis dans les millénaires précédents de s'imposer aux autres espèces et, par conséquent, enclin plus que jamais aux pires violences. Croire, dans ces conditions, que la raison l'emportera sur la passion, la recherche de la paix sur la volonté de s'imposer est un rêve, une utopie que l'humanité risque de payer cher dans les décennies à venir.

La tentation est forte aujourd'hui, dans un tel contexte, de penser que le petit groupe des grandes puissances détentrices de l'arme nucléaire qui se constitua entre l'Est et l'Ouest au temps de la "Guerre froide" continuera longtemps encore de préserver l'ordre  mondial plutôt stable né du deuxième conflit mondial. Mais pour trois raisons au moins cet ordre se trouve menacé à très court terme :

° Première raison : le déséquilibre qui s'accroît entre le monde des peuples riches et le monde des peuples pauvres. Alors que celui-ci n'avait qu'un effet limité sur les mouvements de population du fait de la difficulté de passer d'un continent à l'autre, le développement des moyens de communication matériels et virtuels au cours de la dernière décennie a effacé l'espace comme le temps. Il a engendré un phénomème de mutation d'un espace géographique à l'autre qu'illustre de façon saisissante le déferlement des migrants venus d'Afrique et du Levant sur les côtes méridionales de l'Europe. Et ce mouvement ne fera que s'amplifier dans les décennies à venir.

Deuxième raison : même si les puissances qui les détiennent croient toujours - ou feignent de croire comme nous en avons plutôt la conviction - que la possession d'armes de destruction massive les protègera à l'avenir contre le désordre global qui se dessine, la multiplication des conflits dans lesquels celles-ci se trouveront directement ou indirectement impliquées démontrera l'inanité de cette réflexion. Ne serait-ce qu'à cause du terrorisme et des guerres asymétriques que celui-ci génère le temps est révolu où la détention de l'arme dite "fatale" donnait un avantage déterminant aux "Grands". Pour dire les choses clairement, celle-ci n'est plus qu'un bouclier factice.

Troisième raison, encore plus décisive : la croissance démographique des pays du Sud par rapport aux pays du Nord ne peut, à terme plus ou moins rapproché, qu'engendrer un déséquilibre économique et donc politique qui changera fondamentalement la donne au sein de la communauté internationale. S'il est vrai qu'aujourd'hui l'Afrique, l'Amérique latine et l'Asie du sud, où vivront avant la fin de ce siècle les trois-quarts de l'espèce humaine, n'ont pas encore vraiment pris la mesure de leur poids humain, le temps viendra plus vite qu'on ne le croit où elles le feront et imposeront d'une manière ou d'une autre ce changement stratégique..

Conclusion de ce qui précède, il est urgent de réformer la gouvernance mondiale en l'adaptant aux nouveaux équilibres, ou déséquilibres que nous voyons se dessiner sous nos yeux. Plutôt que d'attendre, pour procéder à cette novation, la survenue d'éruptions mondiales comme ils le firent lors de la création de la Société des Nations puis de l'Organisation des Nations unies, les "Grands" feraient bien de se convaincre de sa nécessité sans plus tarder. Alors, en effet, ils feront un bon usage de leur puissance et éviteront les soubresauts à venir qui, à coup sûr, s'avèreront encore plus destructeurs que les précédents étant donné la rapidité et l'ampleur avec lesquelles évoluent les armes dans le monde très technologique où nous vivons.