Eddy Fleury Ngombé : « Il faut réformer le BCDA »

Vendredi 14 Septembre 2018 - 19:00

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Le producteur et opérateur culturel pense qu’il est l’heure d’apporter une nouvelle touche juridique et managériale au Bureau congolais des droits d’auteurs (BCDA). Entretien.

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Dans quelle peau vous sentez-vous le mieux, producteur, manager ou auteur compositeur ?

Eddy Fleury Ngombé (E.F.N.): Dans les trois. Soit je produis, soit je manage ou je suis auteur compositeur. Entre-temps, je suis le propriétaire de la grosse boîte de production d’Afrique centrale, Catalogue de Tamaris.

LDB : Tamaris, cette entreprise de production de votre père existe toujours ?

E.F.N.: Notre boîte ne produit plus depuis vingt ans mais nous sommes restés sur ce que nous avons eu à faire car les gens ont toujours besoin des nostalgies. Et ces nostalgies nourrissent leurs auteurs grâce aux droits qu'ils perçoivent.

L.D.B. : A propos justement de ces droits d’auteur, travaillez-vous-en étroite collaboration avec le BCDA et participe-t-il à la récolte de ces droits ?

E.F.N.: Il ne participe pas. Déjà de sa manière managériale, juridiquement, il n’est plus capable de répondre aux besoins des sociétaires, il ne répond plus parce que le cadre juridique ne répond plus. Le décret qui crée le BCDA partait sur les principes de l’époque et cela n’a jamais subi de mutation. Comme exemple, dans le conseil d’administration, il fallait être membre de l’Uneac, du PCT, donc, cela correspondait à une époque politique. Pour moi, c’est une institution qui est caduque. Il faut la réformer afin qu’elle corresponde non seulement aux besoins de nous autres Congolais mais aussi à ceux des partenaires. Les autres travaillent ensemble mais lorsque le BCDA arrive, on en veut pas parce qu’il ne correspond plus à rien.

L.D.B. : Voulez-vous dire que le BCDA ne recouvre pas normalement les droits des sociétaires ?

E.F.N.: C’est aléatoire. Le BCDA a un système de récolte qui n’est pas le problème. C’est la répartition qui cause préjudice. Pour une bonne répartition, il faut respecter un mécanisme. Aussi, lorsqu’on récolte, ceux qui payent leurs redevances doivent savoir pour qui ils payent. Dans une boîte de nuit, si on demande de payer deux cent mille francs, il faut savoir qu'on y joue, par exemple, une heure de Djoson Philosophe, une heure de Doudou ou une heure de Zara. Ce sont des exemples ! Ensuite, il faut comptabiliser les nombre d’heures ainsi de suite. Visiblement, ce n’est pas le cas et cela arrange un certain nombre de personnes.

L.D.B. : Comment concilier ces réformes avec internet où tout s’achète désormais ?

E.F.N.: Lorsque nous ne travaillons pas en gestion électronique des données, lorsque tout est écrit sur les papiers, je vous jure que cela ne sera que de la cacophonie. Au départ, ce n’est pas de la mauvaise foi mais celle-ci se confirme lorsqu’on ne prend pas la peine de transformer son outil de travail. Je n’ai pas dit que la répartition est de mauvaise foi non plus.

L.D.B. : En tant qu’auteur compositeur, avez-vous déjà touché vos droits au BCDA ?

E.F.N.: Ce n’est pas une confidence. Moi je suis auteur compositeur, j’ai écrit pour beaucoup d’artistes. Les droits de l'une de mes chansons, "Affaire ya poukou", que chante Doudou Copa depuis des années lui sont payés,  alors que je suis membre du BCDA en tant que compositeur, auteur, éditeur et producteur. Si Doudou Copa perçoit mon argent, c’est parce qu’il n’y a pas de traçabilité.

L.D.B. : Dans l’optique des réformes que vous évoquez,  comment imaginez-vous l’institution qui va gérer les droits d’auteurs demain ?

E.F.N.: Je pars d’un principe. La musique est malade. Le bureau du droit d’auteur congolais est malade. Il faut qu’on fasse un diagnostic, un état général de l’institution surtout sur le plan juridique. C’est le cadre juridique qui permettra le fonctionnement, la répartition et tout le reste. Il faut mettre fin à ce fonctionnement pour en créer un nouveau. Ensuite, nous devrons tous l’accompagner.  Aussi, il faut définir le métier de chacun, au Congo, on ne connaît pas les métiers parce que tous nous sommes operateurs culturels, producteurs et autres.

L.D.B. : Avec le développement de l’internet et la vente en ligne des œuvres, comment, à votre avis, va s’opérer la gestion des droits ?

E.F.N.: C’est déjà mis en place parce qu’il y a des redevances qui doivent être perçues pour chaque CD vierge. En réalité, c’est une collaboration entre les ministres des Finances, de la Culture, du Commerce et de l’artisanat. Si on s’assoit, on trouvera un bon curseur qui permettra à tout le monde de se retrouver, pour le bien de notre culture.

LDB : Avez-vous quelque chose à ajouter sur ce sujet de droit d’auteur ?

E.F.N.:C’est un dossier crucial. Le droit d’auteur reste la clé pour les revenus des artistes et pour le développement de notre culture. De tous les pays que j’ai visités, où la culture est au top, elle compense beaucoup de secteurs d’activités. Le Burkina Faso, par exemple, n’est pas connu pour grand-chose mais là-bas, les musiciens vivent très bien, au Bénin aussi. Mais chez nous, on a organisé un système qui fait que les musiciens soient des mendiants.  

Producteur et opérateur culturel, Eddy Ngombé s’est lancé dans ce métier en 1992. À l’époque, il travaillait aux côtés de son père, Jean-Pierre Ngombé, plus connu sous le nom de Tamaris, du nom de sa société de production. Eddy s’occupait de la partie commerciale du label Top african musique car avant, la société Tamaris produisait mais sans points de vente. C’est grâce à ses études de marketing qu’ il apportera la touche commerciale.

En 1994, Eddy a décidé d’aller poursuivre ses études de marketing et management en Europe. En même temps, il travaille sur la distribution du tout premier album de Fofana Mouladi. « C’est donc comme ça que j’ai créé des rencontres avec des musiciens et des producteurs. Voilà comment j’ai appris le métier, avec l’appui de ma formation universitaire qui me permet d’avoir une démarche scientifique de la musique qui est ma passion », souligne-t-il.

La première œuvre artistique d’Eddy Ngombé est celle de Gatho Beevens. « J’avais forcé mon père à le produire parce que j’étais ami à Alfred Nzimbi, le formateur d’Alain Makaba et de Gatho que j’ai connu grâce à l’orchestre Wengue Musica. C’est ainsi que mon père m’introduisait petit à petit en me demandant de l’accompagner dans les studios et aux signatures de contrats », a-t-il révélé.

Pour l’actualité, Eddy Ngombé est propriétaire de Amarylis Communication. Pour cette fin d’année, la maison a signé avec beaucoup d’artistes. « Nous allons occuper le terrain parce qu’on ne peut pas être à la défense des droits des Congolais et ne pas accompagner les artistes », lance-t-il. Eddy a participé au seul et unique zénith d’Extra Musica à Paris. Il a travaillé avec Doudou Copa, Balou Canta et autres. Jeune, il a distribué le premier album des Tambours de Brazza, Metropolis et celui des Tcheli et Saintrick.

Propos recueillis par Quentin Loubou et Rude Ngoma

Légendes et crédits photo : 

Photo:Eddie Ngombé

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