Engrenage

Ne nous y trompons pas, l’horrible assassinat des deux journalistes de Radio France Internationale à Kidal confirme ce que nous écrivons ici même depuis des mois : à savoir que l’engrenage de la violence provoqué par l’implosion de la Libye ne cessera de s’aggraver dans les années à venir et que la victoire apparente remportée grâce à l’intervention française dans le nord du Mali débouchera en fait sur une guerre plus ou moins larvée avec les islamistes radicaux dont tous les pays du Sahel feront les frais.

Il était évident dès le départ, c’est-à-dire avant même que Muhamar Kadhafi soit assassiné, que la chute du régime autocratique dont il était le « guide suprême » plongerait la Libye dans le chaos, provoquerait une dispersion mortelle des armes lourdes accumulées dans le pays, permettrait aux mouvements les plus radicaux de gangréner l’immense territoire qui borde le Sahara, ferait en définitive de cette partie du continent une zone de non-droit où tous les trafics se donneraient libre cours. Faute d’avoir écouté les conseils de prudence qui lui étaient alors donnés par l’Union africaine, la France s’est enfermée dans un piège dont on voit mal ce qui pourrait la sortir à brève échéance.

Toute la question, aujourd’hui, est de savoir si elle tirera de cette triste aventure les leçons qu’elle comporte. Comprendra-t-elle qu’il ne sert à rien de montrer ses muscles si, dans le même temps, l’on n’accompagne pas les pays africains dans la recherche de solutions pacifiques aux problèmes politiques, économiques et sociaux auxquels ils se heurtent depuis leur accession à l’indépendance ? Trouvera-t-elle les arguments nécessaires pour convaincre ses partenaires européens de mettre sur pied une politique de coopération digne de ce nom ? Se décidera-t-elle enfin à soutenir l’émergence de communautés régionales structurées qui seules auront la capacité de lutter contre le crime organisé et les dérives religieuses ?

La France seule n’a pas les moyens nécessaires pour ramener la paix au Mali, en Centrafrique, ou ailleurs. Mais si elle regagne la confiance des pays africains et mobilise l’Europe, elle peut contribuer de façon décisive à l’instauration d’une paix durable dans cette partie du monde. Le comprendra-t-elle avant de se trouver acculée à un retrait sans gloire des territoires où elle se bat aujourd’hui au prix de tragédies pires que celle vécue par nos confrères de RFI ?