Evocation. La Triple alliance se disloque (suite et fin)

Jeudi 5 Décembre 2019 - 21:32

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En dépit de sérieuses réserves morales ou idéologiques que chaque camp entretenait à l’égard de l’autre, les vainqueurs de Massamba-Débat étaient d’accord sur l’essentiel, à savoir le partage du pouvoir d’Etat dont ils étaient devenus les dépositaires.

Sous cette disposition d’esprit, les alliés convolèrent en de justes noces dont les années 1969 et 1970 seront le lit d’une lune de miel aux accents héroïques et spartiates. Durant ces années, en effet, des prétendants au pouvoir suprême mèneront la vie dure à Marien Ngouabi et ses amis. Le commandant Félix Mouzabakany en février 1969, Bernard Kolelas en novembre 1969 et le lieutenant Kinganga, alias Sirocco, en mars 1970 tenteront tour à tour leur chance face au groupe de la Triple alliance. L’année 1969 servit à cette alliance d’incubateur d’une plate-forme politique, le Parti congolais du travail (PCT), un parti marxiste-léniniste qui lui fournira la clé de répartition de la nomenclature du pouvoir. Nous avons montré, dans l’article consacré au premier congrès extraordinaire de ce parti, comment le lieutenant Ange Diawara se précipita de remettre en selle au bureau politique son mentor Ambroise Noumazalay, mettant à jour ses réserves sur la répartition du pouvoir au sein de cette instance issue du congrès constitutif du PCT.

Après avoir repoussé et vaincu l’ennemi contre-révolutionnaire, les observateurs s’attendaient à voir les alliés passer au vif du sujet, c’est-à-dire s’investir dans la construction du pays selon le modèle révolutionnaire choisi. Tel était le schéma devenu classique des révolutions du XXe siècle.

L’entrée dans le vif du sujet, avec la fin de la lune de miel à l’entame de l’année 1971, ramena à la surface les couleuvres avalées naguère. Décriée par les observateurs comme un attelage mal assorti des forces militaro-marxistes hétéroclites, l’alliance avait de la peine à parler d’une seule voix en termes d’identification des vecteurs du développement du pays. Cette faiblesse était due principalement à la nature de la composante « groupe Défense civile ». Formée de figures politiques issues de milieux estudiantins européens (Ndalla Graille, Noumazalay, etc.) et nationaux (Diawara,…)  ainsi que du sous-prolétariat urbain, cette composante était volontiers dans une posture de révolution permanente. Traversé par un courant anarchiste, le « groupe Défense civile », après avoir aidé à défaire le président Alphonse Massamba-Débat, attendait son heure, tapi dans les travées du comité central du PCT.

La grève des élèves et étudiants congolais dans la seconde moitié du mois de novembre 1971 sera le point de départ d’un bouleversement de l’équilibre des forces politiques au sein du parti. La dislocation de l’alliance, qui interviendra militairement le 22 février 1972, partira de ce bouleversement.  

Excédé par le travail de sape de ses camarades du courant centrifugiste, Marien Ngouabi éclatera le 23 novembre 1971, au cours d’un meeting à la place de la Liberté : « Assez de jouer à cache- cache, de paraître aux yeux de militants comme étant les mieux nantis d’expérience marxiste et les seuls capables de transformer les choses !».

Au cours du même meeting où le président Ngouabi disait vouloir « percer l’abcès », il proposait un toilettage public du parti et des organes de l’Etat, avertissant que « tous ceux qui se sont trouvés là par un concours de circonstance doivent déguerpir du Parti congolais du travail. Ensuite, tous ceux-là qui ont été hissés très vite et très haut et qui se sont trop élevés doivent descendre ».

La reconfiguration du comité central et du bureau politique qui suivit ces déclarations présageait un climat morose dans le parti et le pays. Le « groupe Défense civile », ouvertement visé par la sortie présidentielle, devait réagir tôt ou tard. Les jours de la Triple alliance étaient comptés. Les dépositions de certains mutins du 22 février montrèrent que la conspiration avait été scellée dès le mois de décembre 1971. Le repérage calendaire de sa réalisation choisissait la date du 22 février comme jour le plus favorable pour passer à l’action. Une consultation des astrologues s’imposait certainement sur la disposition stellaire de ce jour de 22 février 1972 qui entraîna la conspiration dans un gouffre. Le président Alphonse Massamba-Débat et les observateurs politiques d’août 1968 l’avaient prédit : la Triple alliance du 5 août 1968 était un attelage mal assorti. Ses jours et ans étaient comptés.

 

 

François-Ikkiya Onday-Akiéra

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