Evocation. Les premiers millionnaires congolais

Jeudi 12 Décembre 2019 - 21:00

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Au commencement était le soleil, et le soleil était dans les cieux. Alors, Dieu ordonna au soleil d’apporter la lumière aux hommes. Mais, sur le bout de terre situé entre le fleuve Congo et l'océan Atlantique, le coût de l’interrupteur solaire était au-dessus de toutes les bourses. Alors, Dieu éclaircit son discours afin que les nuls le comprennent sans poser d’autres questions. Dieu cria à haute et intelligible voix : au commencement était l’épargne !

Au commencement était l’épargne ! Le magazine Forbes n’apparaissait certainement pas encore dans les années 1950. Et, si c’était le cas, les modestes épargnes des Congolais qui commençaient à pointer leur nez dans cette voie n’avaient aucune chance de rivaliser avec les milliards en dollars des Rockefeller et autres. Toutefois, sans monter un magazine du hit-parade de la richesse, l’administration coloniale avait sa petite idée sur le recensement des indigènes dont l’épargne en banque atteignait le million. Ayant atteint ce fabuleux seuil, l’épargnant recevait de l’administration le titre de millionnaire validé par des papiers officiels. Il pouvait dès lors, s’il le souhaitait, aller dévaliser tous les rayons des grands magasins du centre-ville sans avoir des gendarmes à ses trousses sur l’origine de l’argent de ces folles dépenses.

Cette disposition mit en lumière, entre 1950 et 1960, un hit-parade des premiers millionnaires congolais officiellement proclamés comme tels et dont les noms bruissaient dans tout Brazzaville. Parmi ces premiers rois de l’épargne nationale figuraient les noms désormais illustres et légendaires d’André Bikoumou, Pierre Matingou, Kanoukounou « Demolaï » (Le géant), Joseph Ibara, Norbert Ntié-Ntié, Daniel Ebina…

Bikoumou, Matingou et Kanoukounou étaient, comme par hasard, tous les trois des Suundis (un des sous-groupes koongo du Pool), originaires de Louingui qui dépendait à cette époque de la sous-préfecture de Boko. On trouva une explication commode à cette faculté d’épargner. On cria à l’avarice des gens de Louingui au motif que cela était naturel à ceux-ci d’épargner, car, étant nés entre des parois montagneuses, Dieu les avait punis de ne survivre que par la grâce d’une épargne dont seuls les avares avaient le secret. Les millionnaires de Louingui étaient sujets à des affabulations brazzavilloises. On allait dans tous les sens. Un peu comme lorsque Max Weber expliquait la réussite en affaires de la race germanique par leur piété calviniste et autres obédiences des Églises réformées.

André Bikoumou, Pierre Matingou, Kanoukounou Demolaï et Joseph Ibara grimpèrent la montagne du million, chacun en suivant sa voie. André Bikoumou était un commerçant, un compadore lié aux intérêts des grossistes portugais. Il tenait son commerce à Bacongo dans la zone de la maison commune actuelle de cet arrondissement. Il vendait un peu de tout  et disposait d’un grand parc automobile pour alimenter l’intérieur du pays de ses marchandises. L’entrée en politique de l’abbé Fulbert Youlou fut fatale aux affaires de Bikoumou et à celles de Kanoukounou. Socialistes et partisans de Jacques Opangault, leurs commerces à Bacongo furent détruits, la maison de Bikoumou démolie. Face à la furie des émeutiers du camp de Youlou, ils durent leur salut à une exfiltration vers Bangui réussie par Opangault. André Bikoumou vécut en exil, loin de sa terre natale. Il y revint de temps en temps ; puis définitivement quand il sentit venir la fin de ses jours. Son héritage provoqua malheureusement des déchirements familiaux. L’hôtel Bikoumou qu’il construisit dans la rue Mbochi, face au stade d'Ornano, est l’unique enseigne qui rappelle aux citadins de la capitale congolaise le nom du premier millionnaire congolais.

Populairement connu sous un surnom donné par sa grande taille, « Demolaï » Kanoukounou avait prospéré dans la voie suivie actuellement par le grossiste de boisson Best Man. Demolaï (ou Demoulaï) était tenancier de bar. Son débit de boisson, Beauté-Brazza à Ouenzé, était célèbre dans toute la ville. Installé à Bangui, en Centrafique, Demolaï ne retrouva pas complètement son équilibre. L’établissement scolaire André-Matsoua, à Moungali, porte la signature de l’homme d’affaires Demolaï Kanoukounou. 

Pierre Matingou était un ébéniste qui, à force de travail, s’était élevé au-dessus du lot. Sa menuiserie installée à Hamon, actuel Madzia, gare ferroviaire, rivalisait avec ses concurrents européens. Madame Raoul, ministre dans divers gouvernements Sassou post-guerre, est née Matingou. Dans la ville de Mindouli, les habitants se souviennent des Matingou dont la splendeur passée est rappelée par une imposante résidence. (à suivre)

 

François-Ikkiya Onday-Akiéra

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