Evocation : regard sur les indépendances des pays d’Afrique francophone (fin)

Lundi 10 Août 2020 - 16:40

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Quinze Etats nouveaux entrèrent d’un coup à l’ONU entre 1958 et 1961. Cette brusque accélération de l’histoire se fit dans un climat de fièvre et de mobilisation des masses et des jeunes, de romantisme qui fit oublier un moment une conjoncture difficile et des structures inadaptées ; tout était possible. La retombée fut brutale et extraordinairement rapide, et dès 1963, s’enclenchait le cycle infernal « putsch », « terreur d’Etat ».

En fait, ce débat chronologique est stérile si l’on ne prend pas en compte le contenu même du « transfert », il prend sa signification si l’on considère que, dans le concret, tout était joué et tout était donné avant l’indépendance formelle.

Transfert de quoi ? Les recherches des juristes africains, notamment ceux de l’Afrique francophone (occidentale) révèlent admirablement beaucoup de choses importantes. On sait maintenant ce que fut et comment fonctionna cette « Communauté » dont la paternité revient au général de Gaulle et dont l’évolution fut le résultat d’une adaptation presque continue aux demandes africaines. Ni Commonwealth, ni fédération, ni confédération, ce fut aussi une construction originale, ambigüe, donc, fragile et provisoire. Le général de Gaulle en fut-il conscient ? Son grand « grand dessein » fut-il un échec ?

Juridiquement, oui, puisqu’elle se dissout en quelques mois ; politiquement, oui, dans une large mesure, puisqu’elle ne réussit pas à devenir le lieu de concertation et d’entente des Africains eux-mêmes.

Cette construction, en effet, n’était qu’une superstructure qui ne tranchait pas le dilemme entre la fédération ou la « balkanisation » de l’Afrique. A propos de l’éclatement de la Fédération du Mali, on peut comprendre combien cette question était devenue « afro-africaine » capitale, dans laquelle la France paraît être demeurée sur la réserve, mais dont les ressorts résidaient, au-delà des ambitions personnelles, dans des choix idéologiques et des enjeux rivaux.

Sur les questions relatives aux réactions et aux effets, on peut être permis de retenir que la réflexion des élites et des leaders s’est, à l’époque, fondamentalement située dans une logique de l’Etat-Nation et de l’idéologie nationalitaire. On peut s’interroger sur ce que pensa l’« homme de la rue ». Sa participation électorale massive à la conquête des municipalités, comme on l’a vu, atteste son intérêt et témoigne de ses espérances du monde des Villes. Qu’en fut-il de l’« homme de la brousse », de ses propres espoirs ?

 Il serait, à coup sûr, réducteur, très réducteur, de ne voir en lui qu’un levier à manipuler.

Et du côté métropolitain ? On a longuement constaté le fameux « divorce » ou non du monde des affaires et de l’Afrique Noire, à propos de la décolonisation française. Les milieux capitalistes paraissent en réalité avoir été longtemps hésitants, divisés, plutôt attentistes ou déçus par les perspectives sans garanties lorsque les indépendances devinrent inéluctables. Elles restent quand même, « là où c’était possible ».

La classe politique, dans sa majorité, ne fut guère plus enthousiaste ; le mot même d’INDEPENDANCE serait resté un tabou. Elle semble avoir été entrainée par le général de Gaulle dans son sillage, et elle lui en a voulu tantôt d’avoir « bradé » les derniers morceaux de la France d’Outre-mer, tantôt d’avoir « fait violence au Parlement », au point où il serait possible de parler là du « début du divorce entre le général de Gaulle et une bonne partie de l’opinion publique », disons, l’opinion parlementaire.

De toute manière, il s’agissait des calculs parlementaires métropolitains.

L’opinion générale est paradoxalement mieux connue, grâce à l’enquête d’opinion du jeune ministère de la coopération en 1962. Plus de deux tiers des français étaient favorables aux indépendances et à la coopération, la moitié approuvait l’aide financière, technique et culturelle et son importance. Néanmoins, la signification des attitudes était très ambigüe si l’on considère que les Français n’étaient capables de nommer que deux Etats parmi les quinze Etats africains d’expression française, qu’ils estimaient presque unanimement que les indépendances africaines avaient été bénéfiques à la France et que 58% d’entre eux entendaient limiter l’aide. Enfin, dans leur très grande majorité, les Français se montrèrent très satisfaits et fiers de leur colonisation africaine, au point d’estimer que l’Afrique francophone était « mieux partie » que l’Afrique anglophone.

Les effets des indépendances méritent d’être profondément analysés pour s’intéresser par exemple davantage sur la nécessité des anciennes fidélités à travers la coopération et le Commonwealth. Pour tenter de prouver, s’il en était besoin, que la colonisation ne fut pas une simple parenthèse, qu’elle noua des liens tels qu’ils résistèrent victorieusement aux grandes entreprises panafricaines de Nkrumah en 1958-1960, en vue de la création des Etats-Unis d’Afrique. Ces liens économiques, technologiques et linguistiques traduisent d’évidents rapports de dépendance ; mais, il est évident également qu’ils parurent garantir une certaine puissance internationale pour les jeunes Etats, comme pour leur ancienne tutrice. Ne serait-ce qu’à cause de la francophonie dont Georges Pompidou soulignait la force en 1964, dans son discours sur la coopération, « parce que les pays d’Afrique du Nord, et de l’Afrique Noire se sont révélés comme francophones aux yeux du monde et que tous les Etats qui désirent établir les relations (en particulier commerciales) avec cette partie de l’Afrique se sont aperçus qu’il leur fallait pour cela parler français ». En tout cas, c’est par là que le général de Gaulle réussit le mieux son « grand dessein ».

 

Ce qui précède est la synthèse de nos recherches aux plans historique, économique et politique, dans les documents écrits par des Africains et des Français.

 

A l’occasion des 60 ans de l’Indépendance de notre pays, le Congo, et de celles des autres Etats africains, j’ai tenté de jeter un regard lointain sur « l’heure de nos indépendances ».

Des enrichissements sont donc attendus éventuellement pour mieux comprendre d’où nous venons réellement.       

 

 

 

  

 

Emile Aurélien Bongouandé

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