Feuilleton: Samba De Dieu (12)

Vendredi 6 Avril 2018 - 18:38

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel

Samba DD a refusé de réparer des bottines rouges. Le motif n’est pas clair, entre la vengeance personnelle devant une délicate et l’exigence d’un surplus de moralité. Mais, comme toujours, on l’a vu, il l’a fait à sa manière !

 Rappelez-moi ce joli poème d’un Blanc barbu de ma jeunesse. Son nom était quelque chose comme Mon Herbe, ou Ma l’Herbe. Il pleurait sa fille ou sa femme, je crois, et son ami racontait que celle-ci, parce que « rose, elle avait vécu ce que vivent les roses l’espace d’un matin ». Beau, non ? Ah ! douleur, quand tu nous tiens. Ah ! rouge des roses : leurs épines, leur symbolique beauté écarlate!

Bon, je m’égare.
Dans le quartier de Saint-Pierre donc, les bottines rouges firent jaser. Mais elles firent jaser davantage lorsque, aux premières heures d’un matin, la dame aux bottes vint déposer ses mythiques instruments plantaires devant un Samba DD qui venait à peine de s’installer à son atelier.
L’artisan fit couler son regard de dais de la dame aux bottes, des bottes à la dame, en signe de perplexité. Une perplexité qui se mua en désarroi vrai lorsque l’homme de l’art entendit une voix minaudant que ces bottes rouges méritaient un ressemelage qui n’abimât pas le délicat de ses couleurs rouges. Des couleurs d’Italie, paraît-il, que des moines du Mont Cassin seraient seuls au monde à produire pour ceux – et celles, surtout ! - qui vont à la messe. Y compris le pape !
Samba DD repassa dans sa tête tout le catéchisme du père André Marie pour se rappeler le nom d’un évangéliste ayant théorisé sur les couleurs. Il se gratta le menton et le cuir - chevelu. Il chercha ses mots et ne trouva rien qui fût à la hauteur du français soigné que roucoulait la dame. Aussi, du fin fond de sa gorge de baryton, ne sortit-il qu’une syllabe gutturale :
- Non.

La dame était éberluée.
En fait, que je vous dise : tout le quartier la prenait en grippe aussi, on le sait, parce qu’elle ne se liait d’aucune amitié, féminine ou masculine (malgré les nombreuses rivales auto-proclamées); ne répondait à aucune salutation sur la route du marché ; ne marchandait pas pour la tomate rouge ; payait toujours en jetant les piécettes sur l’étal de la marchande, ou même du boucher pour la viande rouge; s’en allait d’un air pincé comme si tout l’alentour la dégouttait au plus haut point et que les mécréants avaient mal fait de choisir son voisinage à elle.

Où elle habitait, personne du quartier n’affirma jamais être allé. Son mur d’enceinte était haut, même pour un cou de girafe. Son portail, rouge, ne s’ouvrait jamais en couinant, de sorte qu’on ne pouvait rapporter les allées et venues suspectes. Elle allait à la messe, oui, mais s’asseyait toujours dans le fond de l’église et s’en allait à messe dite. Un drôle de personnage, avec un comportement qui crédita la rumeur qu’elle fut bien l’auteure du petit billet calomniateur reçu par Monseigneur l’archevêque au début de cette aventure, vous vous souvenez ?

On ne se rappelle pas une seule veillée funèbre où elle fût allée pour essuyer des larmes de deuil d’une voisine ou lui prêter les siennes. On chercha à lui tisser quelques suspicions d’amitié. On lui attribua une ethnie réputée méchante et arriérée. On en vint à lui trouver des parents étranges : « quel père digne peut mettre au monde une fille à bottines ?». Sa grand-mère, soutint quelqu’un un, fut effectivement une noble : elle faisait partie de la cour du Makoko à l’heure de signature de son Traité fameux avec de Brazza.
Son caractère renfermé tranchait nettement avec une piété que certaines, en secret, lui enviaient pourtant. A la messe, elle disait son « Je vous salue Marie » dans les trois langues. « Et même en latin », ajouta un jour le boucher devant un auditoire ébahi. Mais, insinua un petit malin du voisinage, le boucher connaissait-il le latin ? Et vu qu’on ne l’avait jamais vu lui-même franchir un seuil d’église, d’où pouvait-il tenir la certitude que la Dame rouge était quadrilingue ?
Et bla-bla et bla-bla.
Tout le monde se perdait en conjectures. Tout le monde avouait (tout bas) qu’on ne la connaissait tout simplement pas. Ni son nom, ni son âge ne préoccupèrent personne du quartier, parce que personne ne les connaissait. Enigme vivante, elle avait, en plus, le grand tort d’agacer la planète avec des bottines rouges. Or il y a des limites à tout, même à la tolérance.

 

Au prochain épisode, nous verrons comment le « Non » de Samba DD va enflammer les discours et les imaginations. Et diviser le quartier du Marché Total. A suivre.

Lucien Mpama

Notification: 

Non