Feuilleton : Samba De Dieu(6)

Dimanche 25 Février 2018 - 15:21

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Et puis, comme toutes les bonnes blagues, l’affaire du « massacre » comme on disait, connut le sort des blagues qui s’enrichissent ou s’appauvrissent au gré des imaginations. Jusqu’au jour où quelque bigot des parages (je ne reprendrai pas l’insinuation qui insinue que ce bigot fût, en vérité, une bigotte) – n’oublions pas que le Marché Total n’est pas bien loin de la paroisse Saint- Pierre- Claver ! – fît atterrir un petit billet sur le bureau de l’archevêque, soulignant les dangers que représentait un certain cordonnier taciturne des environs « qui-se-proclamait-Dieu-en-personne » !

Homme sage et prudent, Monseigneur l’archevêque envoya sur place son plus fin limier en la personne du Père André-Marie, curé de Saint Pierre.

En matière de catéchèse le prêtre au front dégarni et luisant de malice ne s’en laissait pas compter. Aussi, en peu de temps qu’il n’en fallût pour remettre les lanières de ses sandales fatiguées en place, le clerc de bon sens démêla-t-il l’écheveau du blasphème allégué. Il fit d’ailleurs tant et si bien qu’au dimanche suivant, Samba DD était à la première travée à la messe de 7h, dans l’église Saint-Pierre-Claver.

Et un mois plus tard, il était parmi les barytons de la chorale Tanga-ni-Tanga. Il doit vous être parvenu un CD de cette chorale mythique : tendez bien l’oreille, vous n’aurez aucun mal à distinguer dans le chœur la voix caractéristique du « cordonnier-qui-ne-parlait-pas ». Une pure beauté, un enchantement pour les anges dont je ne peux vous dire s’ils sont chaussés ou s’ils volent pieds nus.

Et plus tard encore, la renommée du cordonnier-qui-ne-parlait-pas-mais-qui-chante alla bien au-delà du petit cercle du marché où les voyous de nuit avaient pensé la cantonner. A Moungali et à Ouenze, des files de papas respectables se formaient, soulier à la main, pour aller les faire examiner ou ressusciter chez Samba DD. Ils descendaient du bus, se faisaient indiquer l’atelier de l’homme de l’art, et venaient déposer là ce qui avait été jadis une merveille de cuir, et plus avant encore la superbe robe de quelque ruminant.

A tous, l’artisan réservait le même accueil poli et professionnel : « à récupérer jeudi matin ».

Et ce qui étonnait, c’est que sans reçu ni gribouillage d’aucune sorte, la paire de chaussures retrouvait la maison d’où elle était sortie sans que jamais un propriétaire n’eût à se lamenter d’une confusion. Ou que ses pieds se trouvassent à plonger dans du mocassin là où ils étaient habitués à des santiags. Tout allait bien à qui cela devait aller. Tout retrouvait sa place dans la chambre ou l’armoire où les araignées l’avaient colonisé. De l’art, je vous dis : de l’art vrai.

   Un art sur lequel la ville commençait à se forger une unanimité de reconnaissance. Car, on a beau dire, les gens de chez sont peut-être un peu cancaniers, mais ils savent reconnaître et respectent ceux qui suent dru pour s’appliquer. Une chaussure sortie de chez Samba DD avait de la gueule, de l’allure et ne vous donnait pas l’impression de ces sortes de pirogues avachies que vous vendent ou vous fabriquent des hommes (et des femmes) de peu de foi !

 

 

Lucien Mpama

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