François parmi les loups …

Il y avait eu, en 2010 et 2013, ces deux livres passionnants, « Confessions d’un Cardinal et « L’espérance du Cardinal », qui annonçaient sans bien sûr en donner la clé le grand changement que vit aujourd’hui l’Église Catholique  avec l’élection du Pape François (1).  Il y a maintenant ce livre, au titre très brutal mais probablement très juste, qui vient de faire son apparition sur les rayons des librairies : « François parmi les loups » (2).

Écrit par un journaliste du quotidien italien La Republica, Marco Politi,  qui connaît les arcanes du Vatican au point d’avoir prévu et annoncé la démission de Benoît XVI, l’ouvrage explique en un peu moins de trois cents pages l’ampleur des défis que le Pape François entend relever. Il fait apparaître le contraste saisissant existant entre cet homme qui rassemble autour de lui des millions de fidèles lors des voyages qu’il entreprend à travers le monde et l’univers clos, replié sur lui-même, placé entre les mains de quelques hiérarques, qu’est devenue au fil du temps la Cité du Vatican.

Au cœur du débat se trouve la question clé de la gouvernance de l’Église Catholique qui,  pour des raisons historiques, se trouve concentrée à Rome où la Curie était, jusqu’à une date récente, dominée par des prélats italiens tout puissants. Engagée lors du Concile Vatican II la « refondation » de l’Église ne va pas sans mal car elle se heurte à des obstacles multiples parmi lesquels figure en très bonne place la gestion de ses finances, laquelle manque pour le moins de clarté et nourrit de multiples conflits au sein même de la Curie.

C’est d’ailleurs au terme d’une réflexion personnelle douloureuse menée depuis son élévation au Trône de Pierre que le Pape Benoît XVI parvint à la conclusion qu’il n’avait aucune chance de mener à bien les réformes nécessaires de l’Église. Et c’est la conviction intime de la plupart des prélats convoqués  à Rome pour désigner son successeur qui aboutit à l’élection, le 13 mars 2013 et pour la première fois dans l’Histoire, d’un homme venu du tiers-monde, l’Argentine, et donc étranger au système sur lequel repose depuis des siècles l’Église.

Comme Marco Politi le montre de façon précise, le Pape François a tiré des expériences vécues par ses prédécesseurs la conviction qu’il ne pourra résoudre les multiples problèmes de gouvernance qui se posent à cette institution deux fois millénaire qu’en brisant les barrières élevées au fil du temps entre la Papauté et les fidèles. Mais il n’est pas certain qu’il y parvienne dans le temps qui lui est imparti du fait de son âge, de sa constitution physique, mais aussi des oppositions qui se font jour au sein de la Curie afin  de l’empêcher d’agir.

Sans aller jusqu’à prédire l’avenir l’on peut dire aujourd’hui sans grand risque de se tromper que le Pape François ne parviendra à faire bouger les lignes au Vatican qu’en s’appuyant résolument sur les peuples de ce que l’on appelait  jadis le « tiers-monde » et qui constituent aujourd’hui le « monde émergent ». L’Afrique, l’Amérique Latine, l’Asie sont à l’évidence au cœur de la stratégie qu’il doit suivre s’il veut rendre à l’Église catholique son dynamisme, sa foi en l’avenir, son influence dans l’évolution des sociétés humaines.

Il ne suffira cependant pas, pour y parvenir, de multiplier les déplacements hors du Vatican. Il faudra également conférer aux Cardinaux et aux Évêques du monde émergent le pouvoir qui leur manque à Rome, là où se trouve concentrée la gouvernance vaticane. Et c’est bien là l’essentiel du problème que Pape François doit résoudre aujourd’hui s’il veut que l’Église catholique reprenne sa marche en avant.

Les loups sont loin, très loin d’avoir rentré leurs griffes.

1. Parus en 2010 et 2013. Auteur : Olivier Le Gendre. Editions JC Lattès.
2. Paru en 2015. Auteur : Marco Politi. Editions Philippe Rey.