« Histoires du passé », de Bétina Boukaka

Samedi 4 Octobre 2014 - 5:45

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Si vous aimez les histoires d’amour à l’eau de rose, comme en raffolent les lecteur des Éditions Harlequin par exemple, voici un roman qui ne manquera pas de vous plaire, quoiqu’il soit un peu plus que cela. Si vous aimez les histoires bien fagotées où l’auteur vous mène de péripétie en péripétie, ménageant toujours assez de suspense pour maintenir son lecteur en haleine, vous ne serez point déçu puisqu’il faut lire de bout en bout pour connaître le fin mot de l’histoire, les secrets et les mystères du passé n’étant révélés qu’à petites doses, selon une économie narrative parcimonieuse bien maîtrisée…

Jennifer et Rodolfo sont les personnages principaux de ce roman. Ils se rencontrent sur une plage de San Martin, une petite bourgade sans histoires sur la côte Est du Mexique, non loin de la capitale. C’est tout de suite le coup de foudre entre eux alors que l’un et l’autre, pour des raisons différentes et chacun à part soi, se sont juré de ne pas succomber à l’amour d’où qu’il vienne. Elle, jeune vierge, à cause d’un lourd secret de famille qui serait lié à la séparation de ses parents et surtout à la disparition de sa mère, événements dont elle se sent coupable par un enchaînement logique lié aux circonstances mêmes de sa venue au monde. Lui, jeune veuf inconsolé parce que sa défunte épouse est morte des suites de l’accouchement de sa fille, n’imagine pas un seul instant la remplacer un jour dans son cœur.

Au moment de cette rencontre, c’est le schéma classique du prince et de la jeune bergère des contes de fées qui est reproduit, puisque les origines de Jennifer sont plutôt modestes alors que Rodolfo est le fils d’un riche et puissant propriétaire de l’une des haciendas les plus enviables du pays. Les deux personnages filent le parfait amour et deviennent très vite amants au grand dam de Carlos – le cousin, qui, depuis leur enfance, a toujours nourri des sentiments ambigus envers sa cousine –, de Julie Alcazar – qui, malgré une sympathie et une amitié naissante pour Jennifer, entend bien maintenir et faire respecter les règles de la bienséance –, ou encore d’Esteban, le père, qui semble vouer à la fiancée de son fils une haine à peine voilée, mais dont les ressorts réels relèvent encore du mystère…

Quoiqu’encore jeune infirmière, Jennifer poursuit en même temps ses études avec la secrète ambition de devenir chirurgienne. Lorsqu’après avoir perdu son grand-père, elle perd par la suite Carlos, son cousin, il ne lui reste plus personne au monde pour l’attacher à San Martin, malgré son amour pour Rodolfo dont le père devient son ennemi juré, puisqu’il semble être à l’origine non seulement de la mort de Carlos, mais aussi de sa mutation professionnelle à Mexico.

Pourtant, cet exode vers la capitale se révèle doublement bénéfique puisqu’il lui permet de recomposer sa famille avec, d’une part, Nadia, son amie et confidente qui l’accompagne et qu’elle protège jusqu’à la venue au monde de Carlotta, fruit de l’amour entre son cousin et sa fidèle amie ; et, d’autre part, l’affection presque paternelle que lui prodigue son mentor à la fois dans ses études et dans sa pratique de médecin. Or, ce père mythique qu’elle a tour à tour chéri dans son cœur d’enfant, presque divinisé, puis voué aux gémonies à partir de révélations faites à Carlos par le grand-père, se pourrait-il que par un curieux raccourci du destin, ce père se révèle être, finalement, ce mentor affectueux qui guide désormais les pas de la chirurgienne ?

C’est l’une des péripéties de ce roman haletant où le thème dominant de la vengeance ou de la revanche du destin semble tout subsumer à travers un subtil manichéisme, avec tous les ingrédients de la motivation psychologique des personnages qui, il faut le signaler aussi, révèle sans doute un auteur que sa part congolaise inscrite dans le patronyme ne relèvera que de l’anecdote, quand la part hispanique, elle, semble des plus évidentes.

Que l’éditeur n’ait pas beaucoup aidé à le rendre meilleur par la vigilance des correcteurs et cette légion de coquilles, apparaîtra aussi sans doute du fait d’une (légitime ?) « ironie Baudelaire », comme l’une des « curiosités esthétiques » de ce livre. Or, cette univocité choisie, assumée, malgré la présomptive mixité, peut intriguer le lecteur africain pour avoir nourri la trame ainsi que les marqueurs culturels de l’univers romanesque. Une sorte d’Henri Lopes à l’envers ou, peut-être, à l’endroit. Ce sera selon mainte manière de lire, ou encore certaine vision du monde…

Histoires du passé, de Bétina Boukaka, Lyon, Éditions Baudelaire, 2014, 193 p.

R. S. Tchimanga