Interview. Benoît Virot : « Cela m’a obligé à un exercice insolite que je n’avais jamais fait »

Samedi 22 Février 2020 - 14:45

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Représentant les éditions Le Nouvel Attila à côté de Gauz à la Fête du livre de Kinshasa, l’éditeur évoque ses dix ans dans le métier au Courrier de Kinshasa à la suite de l’atelier d’écriture « Littérature à tout âge », le 18 février, à Wallonie-Bruxelles. Avec un bel enthousiasme, il a décrit les rencontres en compagnie de l’auteur ivoirien tels des moments de grande intensité nourris par des échanges inattendus avec les jeunes auteurs kinois où l’insolite était au rendez-vous.

Benoît Virot s’adressant aux participants à l’atelier d’écriture (Adiac)Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Comment pourrait-on vous présenter au à nos lecteurs ?

Benoît Virot (B.V.)  : Comme un jeune éditeur venu de France, partageant son temps entre Paris et Marseille, à l’affût de toutes les littératures, toutes les formes de création qui peuvent venir bousculer et réinventer les modèles littéraires.  .

L.C.K. : Avec quelles visées avez-vous posé vos valises à Kinshasa le temps de la Fête du livre ?

B.V.  : J’ai posé mes valises, mais moi-même j’étais en quelque sorte dans la valise d’un de mes auteurs, le fameux Gauz. J’ai été invité selon la tradition de la Fête du livre, depuis l’arrivée d’Etienne Russias et de Samuel Pasquier, d’inviter un éditeur au milieu d’une trentaine d’auteurs, de slameurs et de producteurs pour faire découvrir aux jeunes kinois les coulisses de ce métier qui est peut-être encore peu répandu en RDC. Et, pour justifier mon invitation, il m’a été aussi proposé de rejoindre le jury d’un prix littéraire, le Prix européen de littérature congolaise, un nom un peu étrange… J’ai donc lu une trentaine de livres : un tiers de romans, un tiers de poésies, un tiers d’essais. Cela a finalement constitué mon contact le plus riche avec la littérature congolaise eu égard à ma jeune carrière éditoriale. J’ai espéré rencontrer des collègues éditeurs ici, mais je me suis aperçu que ce sont surtout de jeunes auteurs et des libraires qui venaient à ma rencontre, étant donné qu’il manque quelques maillons dans ce que nous appelons en Occident la chaîne du livre, la chaîne éditoriale. C’est quelque chose de fondamental, la manière dont auteurs, éditeurs, commerciaux, libraires, journalistes, organisateurs de festivals travaillent main dans la main pour porter l’écho des livres le plus loin possible. Je me rends compte qu’à Kinshasa il y a assez peu de librairies et que la plupart sont axés sur des livres pratiques. La plupart des fictions doivent être prescrites à l’école pour pouvoir être commandées et vendues.

L.C.K. : En quoi consiste le métier d’éditeur en pratique ?

B.V.  : L’éditeur est la personne qui reçoit le texte d’un auteur, s’ouvre tout entier, ouvre toute sa sensibilité à ce texte. Il se met au service de ce texte pour tenter d’accompagner l’auteur et l’aider à aller au bout de lui-même, de son projet. La première chose est de s’assurer que les deux personnes ont le même horizon de lecture, qu’ils partent sur les mêmes bases de travail. Et, ensuite une fois qu’il s’est assuré que l’éditeur ne trahirait pas le texte, l’auteur doit lui faire confiance et s’ouvrir lui-même aux remarques de l’éditeur qui sont uniquement de l’ordre de la suggestion. À ce moment-là, c’est un cadeau que l’auteur fait à l’éditeur en lui permettant d’entrer dans son univers dans l’idée d’affiner, améliorer, aboutir et pouvoir à la fin transmettre un texte lisible, compréhensible et émouvant pour le plus grand nombre.

L.C.K. : En tant qu’éditeur, quelle est la limite à ne pas franchir, le seuil à s’imposer ?

B.V.  : Bonne question, mais aussi cruelle parce que c’est impalpable, quelque chose de difficile à verbaliser. Tout dépend de la relation avec l’auteur. Chaque texte est pris à bras-le-corps mais l’on ne formule pas ses remarques de la même manière avec tous les auteurs. Avec certains, j’évoque uniquement des questions de langue, avec d’autres des questions de structure, d’autres encore des questions d’équilibre, etc. En fait, à partir du moment où l’auteur fait confiance à son éditeur et que ce dernier a suffisamment bien perçu le projet et la volonté initiale de l’auteur, il peut aller très loin tant qu’il reste du côté de la suggestion. La limite à ne pas franchir c’est celle d’imposer, établir un rapport de force. L’auteur ne peut rien faire dont il ne soit pas convaincu sous peine qu’il ne reconnaisse plus son œuvre, ne l’assume plus. Ce serait terrible car un auteur incapable d’assumer son œuvre est comme un orphelin, peut-être même pire que cela.Benoît Virot en interview avec Le Courrier de Kinshasa (FLK)

L.C.K. : Vous avez vécu des moments intenses, qu’en est-il particulièrement de l’atelier d’écriture  ?

B.V.  : J’ai fait trois types de rencontres très fortes. L’une sur les circuits de la diffusion du point de vue des jeunes éditeurs et des jeunes auteurs, c’était fondamental. Nous nous sommes aperçus que derrière les différences entre les genres et les pays, il y avait des enjeux communs. Hier après-midi, j’ai assisté au Café littéraire de Missy avec cinquante personnes. Gauz est entré dans l’esprit du public et le public s’est défendu. L’on avait presque l’impression d’assister à un combat de boxe, c’était très intensif. Depuis hier, ces rencontres durent environ trois heures. Et, ce matin, pour l’atelier d’écriture, Gauz a eu la bonne idée, plutôt que de faire écrire spontanément les auteurs, de prendre deux textes au hasard et les a lus. J’y ai découvert que beaucoup d’auteurs écrivaient directement sur le téléphone portable. C’est une chose qui m’était inconnue, que je n’imaginais pas. Et, deuxièmement, cela m’a obligé à un exercice insolite que je n’avais jamais fait : me mettre dans la peau d’un éditeur mais juste le temps de l’écoute du texte. C’était un peu comme une sorte de laboratoire où j’ai dû faire un peu comme un commando éditorial et me fier à mes premières impressions. C’est quelque chose d’un peu cruel parce que l’on est par essence un métier de long terme et de réflexion. Néanmoins, il ne faut jamais oublier ses premières impressions. Je considère que ce sont les plus importantes pour un lecteur comme pour un éditeur. Même si elles sont fausses, j’insiste là-dessus, elles vont guider quelque part la lecture du livre complet. Peut-être que l’on va s’apercevoir qu’elles étaient fausses à la trois-centième page. Mais l’éditeur doit bien se rendre compte que le lecteur, lui, n’a pas de raison, pas le temps de réfléchir, qu’il va réagir à ses premières impressions.

L.C.K. : Face à un texte, vous arrive-t-il de flairer un futur prix littéraire  ?

B.V.  : Cela commence à m’arriver. Mais il faut souligner que cela fait un peu plus de dix ans que j’ai créé la maison d’édition Attila, puis Le Nouvel Attila. Les choses de l’ordre de l’intuition commerciale, l’on considère que le prix est aussi une instance de légitimation symbolique ou commerciale, ont mis dix ans à me rentrer dans la peau. Je suis un pur lecteur, je suis venu à l’édition par la lecture et par amour du papier et de l’encre. Et, pendant dix ans, c’est uniquement mon esprit éditorial qui a pris le dessus, vu le jour et s’est manifesté. Et, depuis septembre dernier, le succès tout à fait inattendu et improbable d’un roman québécois intitulé Querelle de Kevin Lambert qui a eu une presse débordante, j’ai commencé à comprendre, je dirai que c’est presque une sensation physique. À la lecture des textes, j’ai commencé à comprendre ce qui pouvait mouvoir et motiver les commerciaux, les libraires, les journalistes et les commerciaux des prix littéraires autour de moi. Et là, depuis six mois, en lisant des textes, j’ai des petites remontées, des petites lumières qui clignotent et me disent : « Tiens, ce sera peut-être un prix Femina, etc. » C’est vrai que j’ai acheté un roman québécois au mois de novembre et j’ai dit aux éditrices  : « Nous avons raté le Médicis cette année, mais l’an prochain, nous aurons notre prix Femina ». C’est très prétentieux, mais j’estime qu’au bout de dix ans d’aventure d’un franc-tireur très libre qui donne beaucoup de liberté aux auteurs et qui se bat pour leur ouvrir un maximum d’horizon, c’est une bénédiction que la petite patte commerciale commence à se frayer un chemin à côté de la patte éditoriale.

L.C.K. : Qu’est-ce qui est le plus dur à faire pour un éditeur  ?

B.V.  : Deux choses sont très dures à faire. La première c’est tout ce qui concerne la communication parce que la maison d’édition n’est pas faite pour cela et que l’on doit improviser un autre métier. Consacrer une grande part de son temps à quelque chose qui nous éloigne tout de même du pur texte. La deuxième chose, c’est continuer parce que le plus facile dans une maison d’édition, c’est le début, la création dans le moment d’inconscience. Mais ensuite, continuer est quelque chose de très ingrat parce qu’il faut des années et des années pour se faire un nom. Il faut recréer un réseau pour chaque livre, recommencer le discours et le travail de persuasion sur chaque livre. Cela est très ingrat. Même au bout de dix ans il y a toujours une forte incertitude, une forte instabilité, le vrai mot c’est la précarité qui règne sur les finances et l’avenir de la maison d’édition. Le lien le plus tenace, c’est celui avec les lecteurs et les auteurs, tout le reste est à recommencer, à recréer chaque jour.

L.C.K. : Vous est-il déjà arrivé de refuser un livre et de le regretter  ? Si oui, à quelle occasion  ?

B.V.  : Je reçois à peu près mille manuscrits par an et j’en accepte en moyenne deux. J’en publie dix, mais sur les dix, il y a des auteurs étrangers, ceux qui m’ont accompagné, le troisième Gauz, le deuxième Kevin Lambert, le deuxième livre de Maryam Madjidi. Je refuse 998 romans par an mais Gallimard en refuse beaucoup plus. Par ailleurs, je suis l’éditeur qui en accepte plus en pourcentage par la poste. La plupart de mes collègues n’acceptent jamais les manuscrits envoyés par la poste, uniquement des textes reçus par des amis. Mais pour ce qui est des refus regrettés, non ! Je dois dire qu’après avoir refusé pour de bonnes raisons, j’ai toujours assumé même si ce sont des textes qui ont marché, fonctionné par la suite. En revanche, il m’est arrivé de regretter un texte auquel je n’avais pas répondu assez vite que je me suis fait souffler par un autre éditeur.   

Photo de famille avec les participants à l’atelier d’écriture (FLK)L.C.K. : Quelle chance peut avoir un jeune auteur de se faire éditer par Le Nouvel Attila  ?

B.V.  : C’est deux sur mille et ce n’est pas si mal parce que chez Gallimard, c’est peut-être deux sur un million. Finalement, il a plus de chance de se faire éditer au Nouvel Attila que chez Gallimard. Et, comme je suis assez fidèle au credo de Gauz, prime à l’originalité, la causticité et la subjectivité. Prime aux gens qui créent leur propre univers. On ne le sait pas ! On ne le sait pas avant d’avoir rencontré son public et son éditeur. Il ne faut pas se poser la question, il faut suivre son instinct. Cette énergie, cette plume, elle doit venir de l’intérieur, elle ne tombera pas de l’extérieur. Lorsqu’on aura besoin d’exprimer quelque chose, même quelque chose de vécu, l’écriture et la forme viendront de l’intérieur, du son, des instincts du corps. Lorsqu’on a eu le temps de se connaître, c’est mieux de le remettre en mains propres, sinon je demande à recevoir tous les manuscrits par PDF pour des commodités de lecture, de transport, de consultation et d’archivage.

Propos recueillis par

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Benoît Virot s’adressant aux participants à l’atelier d’écriture (Adiac) Photo 2 : Benoît Virot en interview avec Le Courrier de Kinshasa (FLK) Photo 3 : Photo de famille avec les participants à l’atelier d’écriture (FLK)

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