Interview. Calissa Ikama : « Je souhaite qu’on trouve un jour le vaccin contre cette satanée maladie, le cancer »

Samedi 11 Novembre 2017 - 8:19

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Pendant son martyr qui a duré quasiment quatorze  années, Calissa Ikama a accordé trois interviews à sa maman par le biais de l’Internet. Les propos pour lesquels certains révèlent une vraie guerrière ont été recueillis par Mireille Diane Mandello. Dans ces propos, en effet, on ne perçoit que l’espoir et l’optimisme. La toute dernière interview a eu lieu le 26 juin 2007. Voici l’intégralité des deux dernières cumulées.

Question (Q) : S’il faut faire un retour en arrière sur ton enfance, te souviens-tu des moments passés avec ton père et ta mère ?

Calissa Ikama (CI) : Oh, en regardant les photos de mon enfance, des images reviennent mais c’est flou comme un flash ! Mais il y a une chose que je m’en souviendrais toujours, le jour où mes parents se sont séparés. Ma mère s’en allant dans un taxi avec ses affaires me promettait : je reviendrai, je te promets, je reviendrai te voir. Et voilà le souvenir que j’ai en tête.

Un autre jour où Waddy, ma petite sœur, était bébé sur un lit en train de dormir, elle était minuscule. Je pense qu’elle avait deux ou trois mois, je pense que c’était à Massengo. Mais des moments avec mes parents, j’en ai pas ou peut-être ça ne me revient pas à l’esprit, sauf certains souvenirs quand j’avais 6 ou 7 ans.

Q : À ton avis, lorsqu’un couple ne s’entend plus et qu’il a des enfants,  doivent-ils rester ensemble pour le bien de ceux-ci ou d’abord penser à leur bonheur ?

C.I.: C’est une question assez difficile, ça dépend aussi de l’âge des enfants. S’ils sont tous petits, ce serait bien d’éviter de les contrarier, essayer de faire semblant que tout va bien. Évidemment, si le degré de tension entre le mari et la femme est assez élevé, il est mieux qu’ils pensent à leur bonheur. Ce serait mal, si les enfants les voient se disputer tout le temps, ou se donner des coups. Dans ce cas, s’éloigner est la meilleure des solutions mais en pensant aux enfants. Par exemple, les rassurer que le parent parti n’est pas loin et partager la garde des enfants, comme ça chacun est heureux, même les enfants plus tard comprendront pourquoi cette séparation.

Q : Que penses-tu du divorce ?

C.I. : Je pense que c’est une chose pas normale, insensée, carrément diabolique. Pourquoi se marier alors tôt ? Moi, je pense qu’il faut être mature, avoir de l’expérience, demander conseil avant de se lever un beau matin et dire : on se marie. Pourquoi choisir le divorce d’abord ? Il faut vous rappeler que vous aviez aimé cette femme ou cet homme avant. Alors dans beaucoup de pays, il y a des gens qui s’occupent des problèmes de foyer. Allez-y et s’il n’y a pas d’autres solutions et, bien malheureusement, on doit divorcer. Bon, je n’aimerais pas parler puisque je n’y connais rien.

Q : Et du mariage ?

C.I. : Le mariage est une belle chose, c’est un grand jour surtout pour la mariée. Pour d’autres personnes, elles pensent que ce n’est qu’un simple bout de papier qui ne signifie rien. Moi, je ne dirais pas ça et puis, chacun pense ce qu’il veut. Le mariage pour moi, c’est un peu comme un passage de la jeune femme que vous étiez à la femme mûre et digne. Mais faut pas non plus considérer le mariage comme si c’était le retour de Jésus sur terre. La génération d’aujourd’hui se marie, c’est comme dire oui à une question. Veux-tu m’épouser ? Oui. Comme la plupart des stars d’aujourd’hui, vous verrez qu’elles ont plus de trois mariages parfois. Je ne veux pas vivre ça, je pense vraiment qu’il existe l’âme sœur quelque part, mais d’autres personnes gâchent tout et ratent leur chance.

Q : Te vois-tu un jour en robe de mariée ?

C.I. : Ouais, je pense que je vais être une femme fière sans complexe dans une maison, aimée par son époux et ses enfants. Je sais que c’est ce que mes parents souhaitent pour moi.  En tout cas, l’élu de mon cœur devra travailler dur pour me conquérir.

Q : Crois-tu à l’astrologie ?

C.I.: Non, je préfère croire à la féerie de la magie. Je lis ce que raconte l’astrologie, mais je n’y crois pas.

Q : Quels sont tes rapports avec l’éditeur du roman, M. Apollinaire ?  Ton père te laisse-t-il le temps de discuter avec lui sur la distribution du livre ?

C.I. : Rien d’important, juste des rapports entre un éditeur et la romancière. Je ne discutais pas souvent avec mon éditeur, car mon père faisait tout et me mettait quelquefois au courant. Mais avec mon éditeur rien, juste la routine.

Q : Quels sont tes rapports avec tes frères et sœurs ?

C.I.: Oh, je les aime de tout mon cœur. Mes frères et sœurs, j’avoue que l’entente est souvent très mouvementée, mais on se réconcilie toujours. On ne peut pas faire plus de deux jours sans se parler. On se raconte des blagues, je leur dis des secrets sur mes amis très proches, mes tensions à l’école, plein de petites choses. Pas sur ma vie amoureuse, puisque je ne suis jamais tombée amoureuse.

Q. : Le mois de septembre 2006 est le mois de la phase tournante de ta vie, à savoir le début de ta maladie. Comment a-t-elle commencé ?

C.I.: Ma tante Brigitte est très futée, si elle ne s’était pas aperçue que mon ventre avait gonflé et devenait dur. Je serai rentrée malade et qui sait ce qui allait se passer dans mon pays, car les médecins auraient mis du temps avant de découvrir ma maladie. Bon, mais Dieu m’a sauvée. C’était d’abord mon cousin qui a remarqué mon changement mais ça l’amusait et il rigolait. Une autre tante est venue nous voir et a fait le même constat. Elle a insisté qu’on aille voir le médecin. Voilà, où tout a commencé, puis plus tard, j’ai été hospitalisée mais ne sachant pas toujours ce que j’avais.

Q. : Qui est venu t’annoncer ta maladie ? Et ce jour pour toi a-t-il été une fatalité ou l’envie de te battre contre cette maladie ?

C.I : Le Dr Schleiermacher, je pense, mais je ne me rappelle plus. Ils étaient au moins trois dans ma chambre d’hôpital. D’abord, un violent coup au cœur. On aurait dit qu’à l’instant, on m’avait arraché le cœur et ce sentiment-là s’est produit lorsqu’on m’a dit que j’allais encore rester plusieurs mois en France. C’est ce qui m’a énervée et m’a rendue encore plus renfermée. Le reste, je ne m’en préoccupais pas. Puis peu à peu, je me suis rendu compte que c’était grave et voilà tout.

Q : Le mot « Cancer » pour toi était inconnu ou avais-tu entendu parler de cette maladie auparavant ?

C.I. : J’avais entendu ce mot à l’école lors d’un cours de biologie, mais on n’était pas rentré dans les détails. Nous devions juste citer les maladies graves.

Q : Quels ont été tes rapports avec les autres malades de l’Institut Marie-Curie ainsi que le corps médical ? Quel souvenir gardes-tu de cet institut ?

C.I. : Aucun, parce que je ne sortais pas de ma chambre, je ne voulais voir personne, j’étais mécontente. J’étais devenue grincheuse, je voulais parler à personne. Même au téléphone avec ma propre famille, je parlais peu. Voilà, je connaissais certains malades, mais je ne peux rien dire d’autres. Avec le corps médical, je pense que les rapports ont été comme avec des personnes que je venais de connaître, pas de liens très forts. Quant aux souvenirs, c’est juste des moments avec les infirmières que j’ai bien aimées, et surtout l’éducatrice Paula.

Q : Comment as-tu ressenti dans ton organisme ta première chimiothérapie ? Quel examen médical a été pénible pour toi à supporter dans ces moments-là ?

C.I. : Je ne ressentais rien, juste des vomissements, des nausées, de la fatigue, mais je n’ai rien ressenti à l’intérieur. L’examen médical que je trouvais pénible c’était les ponctions, parce que mon cancer a engendré autre chose : une ascite. J’avais toujours du liquide dans le ventre qui était toujours gonflé et dur. Donc, il fallait qu’on me ponctionne souvent le ventre à gauche, c’est ça qui a été le plus dur pour moi. Puis les comprimés, je n’aime pas les médicaments et rien ne changera à cela.

Q :  Pourquoi as-tu été envoyée au centre thérapeutique et pédiatrique de Margency ? Quels ont été tes rapports avec le corps médical de ce centre ?

C.I. : Parce que je n’arrivais pas à manger, je refusais tout et je mangeais très peu. Puis, on m’a placée une sonde dans le nez, pour me nourrir mais rien ne changeait. Alors, l’Institut Curie m’a envoyée dans ce centre pour m’aider à grossir. Par contre là-bas, je me sentais mieux qu’à Marie-Curie. Je me suis remise en main un peu plus tard après le départ de ma mère en janvier 2007. Je me suis dit que cela ne servait à rien de rester dans le désespoir, alors, je priais plus et voilà. Je me suis mise en tête que je devais combattre cette maladie très maligne. En plus, à Margency, j’étais la seule qui faisait la différence, parce que j’étais la seule à avoir un cancer digestif.

Q : Quel souvenir gardes-tu de ce centre ?  Quels ont été tes rapports avec les autres malades ?

C.I. : Plein de souvenirs, certaines éducatrices et surtout une, au nom de Jordan. Puis des enfants aussi malades comme Yohan, Annuiarata, Joénia, Océane et d’autres personnes. Avec les autres malades, tout allait mieux, je les aimais bien et ils étaient comme des amis. Je me suis trouvée plein d’amis là-bas et je n’avais jamais pensé qu’un jour je partirais de là. Je n’y pensais même pas j’étais tout simplement contente. Ce transfert au fond m’a fait du bien, beaucoup de bien. Je n’ai plus sombré.

Q : As-tu eu l’assistance des membres de ta famille auprès de toi ?

C.I. : Oui, jusqu’aujourd’hui mes parents ont fait des tours. Mon père est venu le premier, puis ce fut ma mère en décembre/janvier. Et après ma grand-mère du côté de ma mère, puis encore mon père. Maintenant, j’attends avec impatience ma mère, parce que bientôt c’est mon anniversaire. Il y a aussi mes tantes, surtout celle qui dormait avec moi à l’hôpital, puis celle qui vit à Paris, mes cousins à la maison. J’attends mon frère Ayessi et ma sœur Yissou et « mamie maman » qui viendront pendant l’été.

Q : As-tu ressenti de l’abandon des membres de ta famille à un instant donné de ta maladie ?

C.I .: En fait, je ne pensais qu’à mon retour dans mon pays. Je priais pour que je puisse guérir très vite et qu’un miracle se produise, pour rejoindre ma famille qui me manquait trop. Je me sentais surtout très seule et je le sens toujours jusqu'à présent.

Q : À l’heure où nous parlons, une grande opération chirurgicale va s’offrir à toi. Comment te sens-tu moralement ?

C.I. : J’ai peur car il n'y aura aucun de mes parents auprès de moi, ni mon père, ni ma mère. D’autre part, c’est la première fois qu’on va m’opérer. J’ai comme des nœuds dans l’estomac, mais l’équipe chirurgicale m’a dit d’avoir confiance. J’ai confiance parce que Dieu me l’a déjà dit : tout se passera bien et il sera là avec moi.

Q : Que souhaites-tu dire aux nombreux malades qui souffrent du cancer ?

C.I .: Eh bien, je les comprends mieux et moi je ne peux rien leur dire, parce que moi aussi j’ai sombré. Il y a des jours où j’ai peur, mais grâce au Seigneur et à ma famille, j’ai surmonté les premières épreuves. Mais je ne peux pas encore dire que je suis saine et sauve.

Q : Comment vois-tu la vie après cette grande opération que tu as subie ? As-tu envie un jour de témoigner de cette maladie en écrivant un livre ?

C.I. : Mieux. De la confiance, de l’amour, l’honnêteté et voir le côté positif en chaque chose. Et j’ai appris beaucoup de chose plus que je ne le croyais en presque un an. Effectivement, j’en ai écrit un déjà, mais le narrateur est en dehors de l’histoire, je ne veux pas témoigner, je veux juste que les gens sachent que ce n’est pas facile. Moi, je veux tout simplement oublier ce cauchemar.

Q : Quel est ton dernier message avant ton opération ?

C.I. : Je veux juste que ma famille, mes parents, surtout mes frères et sœurs sachent que quoi qu’il arrive, je les aime de tout mon cœur. Et je souhaite qu’on trouve un jour  le vaccin contre cette satanée maladie.

Bruno Okokana

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : La première plus jeune écrivaine Calissa Ikama Photo 2 : La couverture du livre de Calissa Ikama Le Triomphe de Magalie Photo 3 : Calissa Ikama

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