Interview. Didier Claes : « Le marché de l’art s’intéresse beaucoup plus à l’art du Congo qu’à celui de tous les autres pays »

Mardi 20 Juin 2017 - 15:02

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Marchand d’art depuis 22 ans, le belgo-congolais Didier Claes est une référence mondiale en matière d'art africain en général et d’Afrique centrale en particulier. Sa galerie, d’abord située pendant plusieurs années dans le quartier renommé du Sablon à Bruxelles, est aujourd’hui installée dans le quartier d'art contemporain de la commune bruxelloise d’Ixelles. La clientèle de Didier Claes se compose de nombreux collectionneurs américains et européens ainsi que des institutions muséales internationales.

 

 

Les Dépêches de Brazzaville : Vous avez inauguré la nouvelle adresse de votre galerie à travers une exposition de l’art de la tribu Lega. Pourquoi le choix particulier de cet art ?

Didier Claes : Je me lance dans une lignée d’expositions liées aux pièces que je trouve. Ce sont des objets souvent très rares. Je prépare mes expositions selon mes trouvailles. J’avais acquis un groupe d’objets Léga qui provenaient d’une collection particulière. Cette base m’a permis d’imaginer une exposition et, au fil des années, de compléter la collection. En outre, quand j’ai commencé mon travail de marchand d’arts il y a 22 ans, mon premier voyage au Congo a été fait chez les Léga, en souvenir des voyages que j’avais effectués à l’époque où j’étais plus jeune. J’avais donc un lien avec les Léga. C’est une région que je connais très bien. Ce qui a fortifié l’idée de réaliser cette exposition.

LDB : Combien de pièces ont-elles étaient présentées ?

DC : Une trentaine de pièces constituées notamment de statues en ivoire, des masques, des cuillères… Tout ce qui est lié à l’art léga est relié à la société secrète des Bwamis. Toute pièce a donc une symbolique, un rapport avec l’ethnographie et directement lié à une signification précise.

LDB : Quels sont les autres objets d’art que vous possédez et qui proviennent de la RDC ?

DC : Au premier étage de la galerie, je présente deux pièces très importantes du Congo dont une statue Basikasingo qui provient de chez les Hemba et une statue fétiche Songye. Ce sont des pièces redoutées non seulement par les autochtones pour leur puissance magique mais aussi reconnues pour leur qualité sculpturale par les collectionneurs qui sont très intéressés par ce genre de pièces.

LDB : Comment arrivez-vous à acquérir ces objets ?

DC : Aujourd’hui, malheureusement, le Congo n’a plus de pièces anciennes. Je vends des pièces majeures de qualité et toutes proviennent d’anciennes collections privées. Par exemple, le groupe d’objets Léga provient d’une vielle collection d’un administrateur colonial qui a tout ramené avant les années 40. Certaines pièces que j’ai complétées ont été achetées dans diverses collections européennes ou américaines. Et d’autres parfois en vente publique. Les deux pièces Hemba et Songye proviennent de collections américaines. Ce sont des pièces qui sont déjà présentes en Europe depuis les années 50.

LDB : Ces pièces datent de quand et combien sont-elles vendues ?

DC : Elles datent du 19e siècle. Elles ont entre 100 et 150 ans. Les ventes se situent dans une fourchette de quelques milliers d’euros (prix d’entrée) jusqu’à plusieurs centaines de milliers pour les pièces les plus importantes.

LDB : Est-il possible de chiffrer aujourd’hui le nombre de pièces congolaises ou africaines éparpillées à travers le monde ?

DC : C’est très difficile de chiffrer. Nous avons vécu une longue période ou les pièces ont quitté le continent de différentes manières.

LDB : Quelle région du Congo a été la plus prolifique en termes de production ?

DC : Le Congo est un grand pays avec plus 400 ethnies. C’est très difficile de dire précisément qui était le plus prolifique. Néanmoins, les cultures issues des royaumes ont eu beaucoup plus de productions puisqu’il existait vraiment l’idée d’un atelier de production et de sculptures. Il s’agit notamment des royaumes Kongo et Luba. Contrairement aux tribus qui ont subi moins d’influences et qui ont gardé leurs rites premiers. La production artistique au Congo est l’une des plus vastes et l’une des plus intéressantes de toute l’Afrique noire. Aujourd’hui, le marché de l’Art s’intéresse beaucoup plus à l’art du Congo qu’à celui de tous les autres pays, grâce à la diversité de cet art.

LDB : Qu’est-ce qui fait la valeur des œuvres que vous vendez ? Juste leur ancienneté ?

DC : Ce n’est pas seulement parce qu’elles sont anciennes. Ces œuvres font partie de l’époque que l’on qualifie de « pré-contact », avant la rencontre avec les Occidentaux. Ces pièces sont inspirées et l’artiste n’a subi aucune influence. C’est pour cela qu’elles datent d’une certaine époque. Aujourd’hui, quelqu’un qui sculpterait une pièce, même dans un but traditionnel, est influencé dans son état d’esprit. Il ne pourra pas sculpter une œuvre comme s’il n’avait jamais rien vu. Il va sculpter avec une influence occidentale, contrairement à cette époque où le sculpteur travaillait sans aucune influence et sculptait selon les traditions. Et il ne sculptait pas dans le but de vendre. C’est pour cela qu’aujourd’hui l’art africain est grandement mis en avant par apport à la peinture européenne notamment. Le sculpteur africain est un génie inné. Il ne sculpte pas dans l’idée de créer une œuvre d’art mais de faire une représentation artistique. Il crée selon des calibres qui lui sont propres. C’est ainsi que l’art moderne s’est inspiré de cela. Comment des sculpteurs en pleine brousse sont-ils arrivés à créer le modernisme ou encore le cubisme ? Et surtout la simplicité des formes ? car parfois il existe des structures qui sont très représentatives du corps humain tandis que dans d’autres le visage humain est totalement abstrait, avec la simplification des gestes.  C’est fabuleux. Ils créaient le maximum d’expression avec le minimum de moyens.

LDB : Quels sont les pays africains dont l’art est le mieux coté actuellement ?

DC : L’art de la RDC est aujourd’hui très bien vu et bien coté. Le Gabon également grâce à une bonne réalisation stylistique et à un phénomène de rareté. Le Gabon ayant une population pas très grande, il y a eu moins de sculptures et les pièces sont beaucoup plus rares. La rareté fait donc que les prix soient plus élevés.  La Côte d’Ivoire également avec les Baoulés. Mais les grandes sculptures demeurent celles du Gabon et du Congo.

LDB : Et qu’en-est-il du Congo-Brazzaville ?

DC : Curieusement, le Congo-Brazzaville a eu beaucoup moins de sculptures. Le royaume des Batékés (qu’on retrouve au Congo et en partie au Gabon) dispose pourtant de beaucoup de pièces. Mais curieusement, il existe un petit vide sculptural au niveau du centre du Congo-Brazzaville. Mais une grosse partie du royaume de Batékés dispose de beaucoup de pièces qui sont  très prisés par les collectionneurs.

LDB : Quelle est la pièce qui détient le record du monde en termes de vente en Afrique et au Congo ?

DC : C’est une statue Senoufo de la Côte d’Ivoire vendue 11 millions de dollars à Sotheby’s New-York. Dans les objets d’art du Congo, c’est un masque Léga qui s’est vendu à peu près autour de 4.400 000 dollars. Néanmoins, les dépenses de vente chez les particuliers dépassent celles des ventes publiques. Mais nos records de marchands ne sont pas connus car ils sont privés.

LDB : Quel est votre propre record ?

DC : Cela dépend des ventes que l’on fait. Une vente importante ne veut pas dire un grand profit non plus. Mais en tout cas, je suis dans les records des ventes privées.

LDB : Qu’est-ce qui aujourd’hui fait votre notoriété sur le plan international ?  

DC : La rigueur dans le travail. Il s’agit d’un vrai métier et on ne le fait pas par hasard. Cela fait 22 ans que je le pratique. C’est aussi ma connaissance des objets. Je suis né dans ça et j’ai été perspicace dans mes recherches, en approfondissant mes connaissances et mes atouts, en acquérant une expertise des pièces. La première chose à mettre en avant est donc la connaissance des objets et la rigueur dans le travail et dans la recherche. On me décrit comme un fin esthète. Je recherche non seulement à vendre des objets de grande qualité ou authentique, mais j’essaie surtout de dénicher l’objet unique, le chef-d’œuvre absolu. Je vends très peu de pièces dans ma galerie, mais les clients qui viennent à moi sont ceux qui recherchent l’exception et veulent le meilleur du corpus. C’est pourquoi je dois être très rigoureux. Mon travail est donc de rechercher le meilleur dans chaque domaine.

LDB : Comment entrevoyez-vous le futur de l’art africain en général et congolais en particulier ?

DC : Mon rêve de marchand serait qu’un jour me soit confié, au minimum, l’organisation d’une grande exposition en Afrique. Et pourquoi pas la construction d’un très grand musée comme le musée du Quai Branly. Un musée des arts d’Afrique noire avec les plus beaux objets de tous les pays. On en a la possibilité et les moyens.  La culture doit être l’une des priorités en Afrique et au Congo. C’est trop important. Dans chaque billet de banque, depuis l’époque du Zaïre, figurait des objets d’art notamment des masques. Ce n’est pas anodin. C’est à travers cela que l’on peut retrouver toute l’histoire de notre civilisation. Il faut une prise de conscience nationale sur cette question.

Plus d'infos sur http://www.didierclaes.art/fr/

 

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Photo1 Didier Claes Photo 2 Un vue de la galerie Photo3 Statuette Bembe Photo4 Didier Claes

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