Interview. Dr Linda Mobula : « Le comportement de la population détermine la fin ou la continuité d’une épidémie »

Mercredi 5 Août 2020 - 16:44

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Depuis plusieurs années, Dr Linda Mobula, originaire de la RDC, lutte contre les épidémies dans plusieurs pays du monde. Après avoir fait partie, pendant plusieurs mois, de l’équipe de riposte à la dixième épidémie d'Ebola en RDC, elle est de nouveau au front contre la covid-19 aux Etats-Unis, où elle est née et a effectué ses études universitaires et sa formation en médecine interne et santé publique.

 

Le Courrier de Kinshasa : Vous avez récemment été conseillère sanitaire dans la lutte contre la 10e épidémie d'Ebola en RDC, l’une des plus longues à ce jour. Comment se fait-il que ces épidémies ne soient pas résorbées jusquà présent ?

Linda Mobula : On est déjà à la 11e épidémie à virus Ebola qui a lieu en Equateur. Et cette épidémie a été déclarée juste avant la fin de la 10e épidémie. Le Congo a connu, jusque-là, onze épidémies à virus Ebola. Mais, depuis 2014, le pays a enregistré cinq épidémies, dont deux en 2018. Ebola est une maladie zoonotique, ce qui signifie qu’elle se transmet d’un animal à un être humain, suivi d’une transmission d’humain à humain. Mais le Congo est aussi un pays où on a eu beaucoup d’expérience sur la riposte à cette maladie. Quand j’ai travaillé en Afrique de l’Ouest, il y a eu beaucoup de médecins et chercheurs congolais qui y travaillaient également. Il existe actuellement deux vaccins contre Ebola. Le premier a été développé par la compagnie pharmaceutique Merck et le deuxième par Johnson and Johnson. La recherche d’un vaccin efficace a commencé pendant l’épidémie en Afrique de l’Ouest et a continué pendant les neuvième et dixième épidémies du Congo.

Ces épidémies ne sont pas faciles à gérer, surtout la toute récente, qui a eu lieu dans un milieu de conflit. C’était la première fois que l’épidémie se déclarait dans un milieu où évoluent des groupes armés. C’est ainsi que la riposte a duré presque deux ans. Des groupes armés attaquaient les équipes de riposte et, parfois, il y avait des grèves, à la suite des massacres de la population par les groupes armés. En plus de cela, la population ne faisait pas confiance aux équipes de riposte. La riposte à une épidémie est donc une activité complexe, où il faut tenir compte du comportement humain, la confiance de la communauté aux agents de santé  et la fragilité du système de santé. C’est ainsi qu’il est parfois très difficile de rompre les chaînes transmission. Mais il faut reconnaître l’héroïsme des médecins et infirmiers congolais qui ont travaillé très dur pendant deux ans ? Certains d’entre eux n’ont pas eu de vacances.

Beaucoup de recherches montrent que le virus Ebola persiste dans le sperme des hommes guéris ou chez les survivants et c’est ainsi que, juste avant de déclarer la fin de la dixième épidémie il y a eu une recrudescence. Ce n’est pas pour indexer les survivants, mais c’est pour inisister sur le fait que l’on doit investir dans les systèmes de santé pour s’assurer que l’on puisse effectivement contrôler ces épidémies. En plus d’Ebola, nous avons le choléra, la fièvre jaune, la poliomyélite et maintenant la covid-19. La RDC est un pays fragile qui enregistre, très souvent, beaucoup d’épidémies. Il faudrait capitaliser nos différentes expériences pour lutter contre les épidémies courantes et futures.

LCK : Comment se déroule la riposte à la covid-19 aux Etats-Unis et en RDC ?

LM : J’ai quitté le Congo au mois d’avril et je suis arrivé aux Etats-Unis pour lutter contre la covid-19 à New-York, avec une ONG qui a travaillé à Manhattan. J’ai travaillé comme clinicienne pour soigner des patients au sein d’une unité spéciale. J’ai publié un article récemment dans l’ « American Journal of Tropical Medecine and Hygiene» sur les leçons apprises dans la riposte à l'Ebola et qu’on peut utiliser contre la covid-19. Etant donné qu’au Congo, l’épidémie de la covid-19 est survenue pendant celle d’Ebola, on a pu mobiliser beaucoup de personnes qui avaient de l’expertise pour riposter à la covid-19. Personnellement, j’ai quitté Goma afin de me rendre à Kinshasa pour supporter l’équipe de riposte à la covid-19. Avec la Banque mondiale, j’ai travaillé sur la stratégie nationale et sur le budget, en apportant un support technique aux équipes du secrétariat technique et des projets Ebola financés par la de la Banque mondiale. On a pu capitaliser sur les leçons apprises lors des ripostes des précédentes épidémies pour bâtir les piliers de la riposte à la covid-19.

LCK : L’Afrique est le continent le moins touché, alors qu’elle avait été présentée comme le continent où sévirait une catastrophe. Les expériences de gestion des épidémies en Afrique ont-elles contribué à une meilleure gestion de la covid-19 ?

LM : Mon hypothèse est qu’en Afrique la population est jeune avec moins de personnes qui souffrent de maladies de comorbidité avec la covid-19, telles que l’hypertension et le diabète. Mais nous devrions augmenter notre capacité de testing. Certains experts en santé publique estiment qu’il y aurait beaucoup plus de cas positifs qui ne sont pas testés. Une étude a été menée par l’organisation « Resolve to Save Lives », qui est dirigée par l’ancien directeur du CDC (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies), qui a effectué une projection pour démontrer qu’il y a plus de cas en RDC, car tout le monde n’est pas testé.

LCK : Mais c’est le cas dans tous les pays du monde, toute la population mondiale n’est pas testée...

LM : Exactement. Le nombre actuel des cas est une sous-estimation globalement.

LCK : Quelle analyse faites-vous des vaccins contre la covid-19 que l’on veut tester en Afrique en premier, alors que c’est le continent le moins touché ?

LM: Avec les essais cliniques sur les vaccins, il est important d’avoir la confiance de la population. Dans le passé, il a été constaté beaucoup de problèmes éthiques en Afrique et même aux Etats-Unis, au sein de la population afro-américaine. Il faudrait donc faire très attention. C’est très important d’effectuer des essais cliniques, sans lesquels on ne peut pas trouver un vaccin ou un remède efficace. Mais on ne peut pas effectuer un essai clinique d’un vaccin uniquement en Afrique et sans le faire ailleurs. Il faudrait le faire dans tous les pays. Il existe un manque de confiance aux vaccins contre la covid-19 que ce soit en Afrique ou aux Etats-Unis. Sans une participation de la population et un feed-back communautaire, on ne peut pas effectuer un essai clinique efficace. On l’a notamment appris au Congo et ailleurs, avec les essais cliniques sur le vaccin Ebola par exemple. On doit inclure le feed-back communautaire dans l’essai clinique pour avoir une riposte efficace. Il faudrait savoir pourquoi la population n’a pas confiance aux essais cliniques et présenter les données afin qu’elle comprenne l’importance de ces essais.

LCK : Après avoir participé à plusieurs ripostes contre des épidémies dans différents pays. Quels sont les points de convergences et de divergences que vous avez constatés et quelles pourraient être les améliorations à apporter ?

LM : J’ai travaillé dans la lutte contre le choléra, Ebola, la covid-19 et sur le VIH. La participation communautaire et la confiance du patient que l’on traite sont primordiales. Vous pouvez vous présenter comme médecin avec toute votre expertise scientifique et en santé publique, si vous n’avez pas la confiance de la population, vous allez échouer. Je l’ai constaté partout où j’ai travaillé. C’est le comportement de la population qui va déterminer l’échec ou la poursuite de l’épidémie. Avec les maladies infectieuses émergentes comme la covid-19 ou Ebola, on ne s’y connaît pas au début car ce sont des maladies nouvelles sans vaccin ou traitements scientifiquement approuvés. Pour Ebola, le premier traitement experimental  a été proposé en 2014 (Le vaccin a été utilisé pour la première fois en 2015 en Guinée). J’ai donné le premier traitement contre Ebola au premier américain à avoir contracté Ebola, le docteur Kent Brantley au Liberia. Je l’ai traité avec le ZMapp, un traitement expérimental, un cocktail d’anticorps contre Ebola. Il y a eu une polémique à ce sujet parce qu’on disait qu’on le traitait parce qu’il était américain, alors qu’il fallait donner ce médicament aux Africains. En même temps, si on avait soigné un Africain avec ce traitement et qu’il mourrait, cela aurait encore constitué un problème éthique. Ce fut une décision difficile à prendre sur le plan éthique.

C’était la première fois que l’on utilisait un traitement expérimental pour Ebola dans l’histoire de cette épidémie depuis sa découverte en 1976 au Congo. Par la suite, le ZMapp a commencé à être utilisé dans des essais cliniques au Congo, au Liberia, en Guinée et en Sierra Leone. Mais, il y a deux autres produits qui ont été découverts et qui sont plus efficaces que le ZMapp (Mab144 et Regeneron). L’un de ces produits (Mab114) a été découvert par le professeur  Muyembe au Congo (Médecin congolais qui a découvert Ebola et qui a dirigé toutes les ripostes de la maladie en RDC et dirige actuellement la riposte contre la Covid-19 en RDC. NDLR). Le ZMapp est un produit assez complexe à donner au patient, il faudra l’administrer au patient pendant 6 heures, avec 3 solutions à donner chaque deux jours. Les nouveaux produits sont plus faciles à donner surtout quand vous portez l’équipement de protection personnelle, surtout en Afrique, où il fait très chaud. Il est plus facile de donner un médicament à un patient en 30 minutes que pendant 6 heures.

A chaque apparition d’une nouvelle épidémie, il y a beaucoup de questions sur le traitement et le vaccin. Comment déterminer un protocole et surtout les défis sur la prévention, le contrôle des infections et comment protéger les agents de santé. Ce sont des défis que j’ai constatés partout. Etant donné que nos systèmes de santé sont très fragiles, il y a très peu de ressources et très peu d’équipements de protection personnelle, fournis aux agents de santé, beaucoup d’hôpitaux n’ont pas d’eau, pas d’accès aux gants. Pour Ebola, par exemple, beaucoup d’agents de santé se sont infectés (5 % des infections penant la dixième épidemie étaient parmi le personnel de santé). L’une des leçons apprises consiste en la protection des agents de santé et à s’assurer qu’ils reçoivent leur salaire. Au début de l’épidémie, il faudrait faire des formations avec eux, afin notamment qu’ils puissent rapidement reconnaître les symptômes de la maladie, s’assurer de l’existence des espaces pour l’isolement des malades, étant donné que ce sont des maladies infectieuses. Mais c’est très compliqué surtout dans les coins les plus isolés.

En termes de divergences, je parlerai de la préparation qui n’est pas la même partout, que ce soit dans les provinces ou les zones de santé. L’expérience n’est pas la même non plus. Par exemple, c’était la première fois que l’Est de la RDC enregistrait une épidémie de la maladie à virus Ebola par rapport à l’Equateur où. Il y a eu 5 épidemies. Donc, il fallait vraiment bien former les agents de santé dans la langue locale. Une riposte locale est importante.

LCK : Qu’est-ce qui détermine le succès de la riposte à une épidémie ?

LM : une réponse aux épidémies est complexe et inclut plusieurs piliers : la surveillance, le suivi des contacts, la recherche active des cas dans les centres de santé, la prévention, faire le tri au niveau des hôpitaux, procéder à l’engagement communautaire, la communication du risque, les enterrements dignes et sécurisés. Mais, la leçon que l’on a apprise récemment est que ce n’est pas suffisant d’avoir juste les piliers de santé publique. Si la population n’a pas accès à l’eau, à la nourriture ou autres produits de base, il est difficile de faire face à une épidémie. Beaucoup d’experts, dont je fais partie, s’accordent sur le sujet. Mais, il existe également des cas des gens qui guérissent sans traitement, notamment pour Ebola. Il faudrait des études plus poussée pour analyser les caractéristiques de ces personnes qui guérissent sans traitement. Nous avons découvert des anticorps à l’est du pays, où il y a eu des épidémies silencieuses auxquelles on n’a pas répondu.

LCK : Quels sont vos projets ?

LM : J’ai travaillé sur les maladies non transmissibles au Ghana pendant plus de deux ans. J’allais au Ghana, de temps en temps, comme chercheuse pour essayer de voir comment renforcer le système de santé. L’hypertension et le diabète constituent une autre épidémie, dont la prévalence augmente surtout dans les pays africains. Selon l’OMS, dans les années à venir, beaucoup plus de personnes vont mourir de ces maladies non transmissibles plutôt que des maladies infectieuses. Quand une maladie infectieuse apparaît, beaucoup de gens se mettent à travailler dessus, mais on oublie qu’il y a beaucoup de personnes meurent d’autres causes : par exemple, la mortalité maternelle et infantile. Il faudrait faire de la prévention et bien traiter ces maladies. Donc, j’ai travaillé sur toutes ces questions au Ghana. 

 

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Dr Linda Mobula en plein travail /Dr

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