Interview. Jacques Djoli : « Jean-Pierre Bemba finira par rentrer en RDC en homme libre »

Mardi 7 Janvier 2014 - 18:00

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Acteur politique de poigne connu pour la pertinence de ses analyses, le sénateur Jacques Djoli partage ses convictions dans un entretien à bâton rompu avec les Dépêches de Brazzaville sur quelques sujets d’actualité.  

-Les Dépêches de Brazzaville : Quelle lecture faites-vous des dernières attaques perpétrées le 30 décembre 2013 sur des sites stratégiques à Kinshasa, Lubumbashi et Kindu ?

- Jacques Djoli : On croyait que la RDC n’avait de problèmes sécuritaires qu’à l’Est. L’on vient de se rendre compte avec les évènements que vous évoquez qu’on a des problèmes même au cœur des grandes villes du pays. Le caractère plus ou moins cohérent desdites attaques pose effectivement la question de l’efficacité des services de sécurité, de leur capacité d’anticipation et même de leur réaction qui semble assez disproportionnée. Il faut mettre en place une commission d’enquête parlementaire ou autre pour déterminer les causes de ces attaques et chercher à identifier les assaillants. On parle d’un pasteur comme cerveau moteur sans donner des éléments clairs. Les services ont certes réagi, mais n’ont pas pu anticiper sur les évènements.      

LDB : Après la signature des déclarations de Nairobi mettant fin aux pourparlers de Kampala, l’opposition a accusé le gouvernement de trahison estimant que cet acte cautionnait le retour en force du M23. Partagez-vous cette approche ?

-JD : Il faut d’abord rappeler que depuis pratiquement deux ans, l’est de la RDC est ravagée par une guerre ayant une implication extérieure forte et qui traduit aussi des difficultés de convivialité dans une zone trouble. La solution militaire était la plus plausible parce qu’elle a permst aux Fardc soutenues par la Monusco de venir à bout du M23. Mais comme toute guerre, il fallait une conclusion. Et la RDC a estimé qu’ayant longtemps négocié avec le M23, elle ne pouvait pas être placée sur un même pied d’égalité avec un mouvement rebelle du reste vaincu militairement. Aujourd’hui, je crois que ce qui est important, c’est la paix à restaurer à l’est du pays. Bien sûr que le M23 est parti, mais il reste plus de quarante groupes armés qui sont opérationnels et qui continuent à tuer, violer et piller. Personnellement, je pense que ce débat sur la victoire, ces scènes de liesse et de proclamation n’ont pas lieu d’être. L’on doit se féliciter d’avoir signé un accord pour qu’un groupe nocif quitte définitivement la scène.  

-LDB : D’après un rapport de l’ONU, le M23 se prépare au Rwanda et en Ouganda pour une nouvelle aventure militaire en RDC. Qu’en dites-vous ?

-JD : Pour analyser la problématique globale de la restauration de la paix, de l’autorité de l’État et du développement de l’ensemble de la RDC en partant du Nord-Kivu, du Sud-Kivu jusqu’au Katanga, il faut éliminer tous ces groupes rebelles et asseoir une paix durable. En finir avec le M23, c’est bien, mais il faut que les causes ayant conduit à l’existence de ce groupe armé soient éradiquées. Pour cela, nous devons réfléchir sur une vraie réforme du secteur de sécurité, sur la création d’une armée nationale républicaine et professionnelle. Nous avons aujourd’hui une armée à pyramide renversée avec plus d’officiers que des soldats. Ce n’est pas bon que nous comptions sur des forces internationales, les troupes de l’Afrique du Sud, du Botswana, les drones de la Monusco et j’en passe. Il faut que les uns et les autres, dans une vision partagée, réfléchissent sur la restauration de notre capacité de défense et de notre capacité étatique. Ce sont là des questions essentielles qui intéressent le MLC.

-LDB : Le problème de la RDC n’est pas aussi le fait d’un voisinage prédateur toujours à l’affût de ses ressources naturelles ?

-JD : La question de convoitise de nos ressources me paraît banale. Nous avons un grand pays qui dispose d’énormes ressources naturelles. Nous avons aussi des voisins ayant des densités des populations immenses, qui manquent d’espace. Ce sont des pays qui avaient comme ressources, le thé et le café et qui cherchent à étendre leur capacité économique par une économie de pillage en instrumentalisant les groupes armés à l’est de la RDC. C’est le cas des FDLR qui, à travers leurs activités illégales d’exploitation des richesses de la RDC, participent à l’économie rwandaise.  Il y a deux niveaux de responsabilité : le premier, c’est la gouvernance étatique congolaise. Si nous disons que nous sommes un État, nous devons avoir une armée qui sait protéger ses frontières, une gouvernance économique à même d’exploiter les richesses pour nous-mêmes et une administration qui fournit un service efficace au bénéfice de sa population. Le deuxième niveau est régional. Nous devons avoir une capacité diplomatique réelle et non protocolaire. Nous ne pouvons pas évacuer nos ressources à l’étranger sans passer par le Rwanda, l’Ouganda, le Kenya et la Tanzanie. Nous devons avoir une économique intégrée symétrique et non une intégration calamiteuse de pillage. Donc ces deux niveaux de responsabilité ont comme socle notre leadership tant sur le plan interne qu’externe. Rien ne sert à se plaindre des voisins. Si vous avez des richesses, sachez les exploiter et développer une géostratégique économique…

-LDB : Comment alors faire en sorte que les ressources de la RDC financent son développement comme ailleurs ?

-JD : En RDC, certains ont parlé de la malédiction des richesses. Mais il a été dit clairement qu’il n’y a pas de malédiction des richesses. C’est un problème de gouvernance, de la vision collective que nous avons de notre pays. Il nous faut construire les outils de gouvernance rationnelle de la RDC. Nous sommes capables en moins de cinq ans de quitter le statut des pays pauvres très endettés pour devenir un pays à revenu intermédiaire. Ce qui manque, ce ne sont pas les moyens, mais la volonté politique, les qualités managériales pour y parvenir. 

-LDB : Quel est l’état de santé du MLC aujourd’hui ?

-JD : Le MLC va se retrouver prochainement pour établir un programme clair en vue de faire des propositions concrètes en rapport avec la marche du pays. Nous ne  voulons plus faire de la politique spectacle, ponctuée par des communiqués. Les Congolais ont besoin des solutions à leurs problèmes : les questions de la réforme du secteur de la sécurité, du secteur économique, la question de la décentralisation, les élections, etc. C’est sur cela que nous travaillons au MLC et, en temps utile, nous allons proposer aux Congolais notre projet de gouvernance pour faire en sorte que la RDC cesse d’être un nain avec des moyens colossaux. Un travail de réimplantation du parti est en cours pour nous mettre en ordre de bataille pour les prochaines élections provinciales, locales, municipales et autres.

-LDB : Comment expliquez que même après l’incarcération de Jean Pierre Bemba, la Centrafrique continue d’être à feu et à sang ?

-JD : Nous avons toujours dit sans accuser personne que le procès de Jean Pierre Bemba est politique. Nous avons toujours soutenu qu’il est victime d’un complot ou d’une méprise internationale. Nous avons toujours affirmé que ce qui s’est passé à Bangui entre 2002 et 2003 est une affaire centrafricaine qui n’a rien avoir avec les Congolais. Aujourd’hui les faits sont en train de nous donner raison. Je pense que les Centrafricains devraient au contraire décorer Jean Pierre Bemba quand bien même il y a eu des dérapages dont les auteurs avaient du reste été sanctionnés. Vouloir mettre tous les crimes commis en Centrafrique sur le dos du seul Congolais qu’il est me paraît excessif. La vérité est têtue, elle finira par triompher. Et aujourd’hui ou demain, Jean Pierre Bemba finira par rentrer en RDC en homme libre pour jouer le rôle qu’il est censé jouer en tant que fils de ce pays.  

Alain Diasso