Interview. Marie-Chantal Kaninda : " La valeur du commerce des diamants via le processus de Kimberley représente 13 milliards de dollars"

Mercredi 4 Juillet 2018 - 17:45

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Dans cet entretien accordé au "Courrier de Kinshasa", la directrice exécutive du Conseil mondial du diamant (CMD) estime que la République centrafricaine est aujourd'hui le seul pays dans lequel subsistent encore les diamants de conflits et que moins de 1% des zones de production mondiale se situe dans des zones de conflits.

 

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : En quoi consiste votre travail en tant que directrice exécutive du Conseil mondial du diamant  ?

Marie-Chantal Kaninda (M.C.K.) : Cela fait environ un peu plus d’un an que j’ai rejoint le Conseil mondial du diamant (CMD). Mon travail consiste à coordonner et à représenter cet organe, c’est-à-dire l’industrie dans le Processus de Kimberley et dans d’autres forums importants. Je rends compte au Comité exécutif du Conseil d’administration et particulièrement au président du Conseil d’administration du CMD. Je suis également responsable pour promouvoir les objectifs du CMD auprès des parties prenantes clés, y compris les gouvernements, les organisations non gouvernementales, les autres organisations telles que requis par le Conseil d’administration. C’est ainsi que vous m’avez entendue présenter la stratégie de l’organisation au département d’État américain, il y a quelques semaines, par exemple. Je suis également responsable de la promotion et de l’application de la bonne gouvernance au sein de l’organisation. Et bien entendu, je travaille en étroite collaboration avec le trésorier et le secrétaire général.

L.C.K. : Quel bilan faites-vous de votre première année d'activités au sein de cette organisation ?

M.C.K. : De par les commentaires du Comité exécutif ainsi que du président, j’ai reçu un feedback positif. Et de mon point de vue, en une année j’ai pu impacter l’organisation en y apportant une approche plus internationale avec un intérêt et un contact plus direct avec l’Afrique. Ainsi, nous avons eu, par exemple, la visite du président du Conseil d’administration et de moi même de toutes les structures impliquées dans le Processus de Kimberley en RDC. Nous comptons effectuer le même genre de visite en Angola et dans d’autres pays africains, courant cette année. Nous voulons également diversifier la provenance des membres et c’est ainsi que nous nous intéressons aussi à mieux faire connaître le CMD en Amérique latine. Une de mes contributions est de permettre une approche différente et une meilleure compréhension de l’artisanat minier. Le résultat de mon bilan est également qu’en quelques semaines, c’est la deuxième interview que je fais en Afrique, donc j’en déduis que c’est un commencement mais l’Afrique comprend mieux le rôle qu’elle peut avoir à jouer dans ce secteur.

L.C.K. : Le CMD, à travers vous, s'est exprimé pour la première fois au département d’État américain ? Pourriez-vous nous circonscrire le cadre de cet événement ? Quel a été le principal message que vous y avez délivré  ?

M.C.K. : Régulièrement, le département d’État organise des conférences sur des thèmes divers liés à la bonne gouvernance et c’est dans ce même cadre que j’ai été invitée et que j’ai choisi, avec l’accord du Comité exécutif, de parler sur un approvisionnement responsable du diamant. Le message principal est de rappeler le bien que le secteur du diamant peut faire dans l’économie et dans le développement sociale des communautés autour desquelles il opère. Et aussi rappeler que nous avons divers types de production, la production industrielle qui respecte des normes d’excellence et de gouvernance de standard élevé et puis l’artisanat minier qui a des standards moins élevés et avec lesquels le CMD, via le processus de Kimberley et l'Initiative diamant et développement (DDI), doit travailler ou plutôt les accompagner pour améliorer leur standards et rendre leur production tout aussi éthique que la production industrielle. Le but est bien entendu de rassurer le consommateur.

L.C.K. : Où en est le Processus de Kimberley aujourd'hui ? 

M.C.K; : Le Processus de Kimberley est à sa deuxième année sur trois de son cycle de révision. C'est une organisation qui compte à ce jours quatre-vingt-un pays. Toutes les décisions s’y prennent par consensus. Ce qui, bien souvent, lui donne une certaine impression de lourdeur. Cependant, l’avantage du consensus est qu’une fois qu’une décision est prise, on n’y revient plus. Dans le cadre du cycle de révision, il y a quatre points principaux qui font l’objet des discussions:la création d'un secrétariat permanent pour permettre une meilleure mémoire institutionnelle et plus de professionnalisme dans le fonctionnement et le suivi dans les recommandations ; la revue du document de base et la revue de la définition du diamant de conflit ; le renforcement du mécanisme de revue par les pairs (comme les visites de revues dans les pays membre du Processus) qui permettrait une meilleure application des requis minimaux et qui permettrait également d’appliquer des sanctions aux pays qui ne respectent pas  les recommandations ; la création d’un Fonds de placement commun: des fonds pour le renforcement de capacité selon l’industrie. Lorsque vous me demandez quelles ont été les avancées les plus importantes, je constate  qu’il n’y a plus qu’un seul pays aujourd’hui dans lequel  il y a encore les diamants de conflits, c’est la République centrafricaine. Il y a une dizaine d’années, il y en avait beaucoup plus: la RDC, l’Angola, le Liberia, la Sierra Leone... Actuellement, moins d’1% des zones de production mondiale se situe dans des zones de conflits. Ce qui est très encourageant. L’industrie, au travers du CMD, croit fermement que pour une meilleure avancée du Processus de Kimberley, il faudrait absolument la création du secrétariat permanent qui permettrait de faire appliquer les recommandations issues des visites de revues et ainsi renforcerait automatiquement les mécanismes de revues. Quant à la définition du diamant de conflit, l’industrie est convaincue qu’en étendant la définition pour y intégrer les principes d’amélioration des conditions de travail, le respect de l’environnement, une amélioration des revenus  et un meilleur retour de revenus pour les communautés vivant autour des artisanaux miniers, cela aurait un effet plus bénéfique pour les artisans miniers ainsi que les communautés qui vivent autour.  Il est aussi important que le public sache que la valeur totale du commerce des diamants, au travers des systèmes de certification du Processus de Kimberley, représente treize milliards de dollars, ce qui n’est pas peu.

L.C.K. : Comment la RDC participe-t-elle à ce processus  ?

M.C.K. : Comme tous les pays membres, la RDC participe activement au à ce processus. Elle assure actuellement la présidence du Groupe de travail sur la production artisanale et alluvionaire. En visitant la RDC, il y a quelques semaines, avec le président du Conseil d’administration du CMD, nous nous sommes rendus compte du grand travail d’enregistrement des artisanaux miniers par le CEEC en collaboration avec le Diamond development initiative. A ce jour, pus de deux cent mille artisanaux miniers sont enregistrés et pour la plupart sont regroupés en coopératives. Mais c’est vrai qu’il en reste encore près de huit cent mille qui doivent être enregistrés. Cependant, c’est un très bon début et nous croyons que le mécanisme mis en place est exemplaire.

L.C.K. : De quelle manière le Processus de Kimberley a-t-il boosté les économies des pays membres, principalement la RDC  ?

M.C.K. : Il serait prématuré de ma part de dire que le Processus de Kimberley a boosté l’économie des pays membres, principalement la RDC. Néanmoins, dans des pays comme la Sierra Leone, le Liberia, en collaboration avec les Nations unies, le Processus de Kimberley et le CMD ont pu œuvrer pour que les diamants ne participent pas à promouvoir les groupes rebelles et aujourd’hui, ces pays sont paisibles. Ils sont en train de se reconstruire et la production du diamant y joue un rôle dans le développement économique. En Sierra Leone notamment, dans un projet spécifique, la DDI participe activement à l’enregistrement et à l’organisation en coopérative des artisans miniers et ensemble, ils ont créé une ligne de diamant artisanal qui respecte la chaîne de traçabilité du Processus de Kimberley ainsi que toutes les contraintes de travail éthique. On l’appelle le « Mandeleo Diamond ». C’est un bel exemple à suivre. Nous aimerions voir ce genre de modèle répercuté dans plusieurs autres pays africains, où l’on pourrait avoir l’assurance que le diamant produit dans une région bien spécifique respecte toutes les chaînes de traçabilité ainsi que toutes les conditions éthiques de travail. Ceci permettrait de supprimer les doutes et craintes des consommateurs et ainsi d'améliorer les conditions économiques des artisanaux et participerait à l’amélioration des communautés vivant de la production du diamant. L’industrie est aussi très active dans le domaine du renforcement des capacités. L’Antwerp world diamond centre forme régulièrement des membres du département des mines de plusieurs pays africains dans le domaine de l’évaluation. Une quinzaine de Congolais de la RDC y sont actuellement en formation. Cela permettra à la RDC d’améliorer l’évaluation de sa production et des ses exportations et ainsi améliorer les revenus pour le gouvernement.

L.C.K. : En dehors du Processus de Kimberley, quels sont les enjeux et les défis actuels liés au commerce mondial du diamant et quelles sont les réponses que le Conseil apporte à ces défis  ?

M.C.K. : Il faut savoir que notre mandat est axé sur la chaîne d’approvisionnement et la provenance du diamant brut, en général, et du diamant artisanal, en particulier. Le grand défi de l’industrie est de continuer à gagner et garder la confiance du consommateur, en assurant une provenance éthique, une information transparente et correcte sur le produit. Nous sommes aujourd’hui en concurrence directe avec d’autres produits dans et hors bijouterie, comme l’électronique, la mode, les voyages, donc notre défi est de rester un produit désirable à long terme. Le Conseil apporte sa vaste expérience et son travail pour assurer une provenance parfaite.

 L.C.K. : Quels sont les projets du Conseil pour la bonne marche de l'industrie mondiale du diamant et le respect du Processus de Kimberley  ?

M.C.K. : Dans le cadre du Processus de Kimberley, le CMD continue à pousser pour que la réforme se conclut l’année prochaine, avec la création d’un secrétariat permanent, une meilleure application des mécanismes de revue par les pairs et un élargissement de la définition. De son côté, l’industrie a retravaillé son système de garantie (propre à l’industrie) qui demande à tous ses membres de devoir déclarer à l'acheteur la provenance de chaque colis qu’il reçoit. Et contrairement au Processus de Kimberley qui ne retrace que les diamants bruts, l’industrie le fait aussi bien pour le diamant brut, coupé et poli. Ce système de garantie qui vient d’être revu et amendé par l’industrie est pour le moment publié pour consultation par le public, avec pour but de permettre à toute personne désireuse de le lire et de le commenter de pouvoir le faire. Cette période de consultation se clôturera au mois d’octobre. Nous pensons que ce système de garantie permet d’apporter une dose supplémentaire de contrôle, d’éthique environnementale et financière et d’améliorer les conditions de travail pour l’industrie.

 

Propos recueillis par Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Photos1 et 2: Marie-Chantal Kaninda Photo 3: Marie-Chantal Kaninda et les membres du CMD Photo4 :Marie-Chantal Kaninda après une séance de travail du Processus de Kimberley Photo 5: Marie-Chantal Kaninda dans un panel

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