Interview: Rémy Bobiba : « Le système FCFA doit faire l’objet d’une profonde réforme »

Mardi 24 Avril 2018 - 19:30

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De nombreuses voix s’élèvent à travers l’Afrique et le monde pour dénoncer une forme de néocolonialisme monétaire et reprochent au FCFA d’être une propriété à part entière de la France qui en contrôle naturellement les mécanismes de fonctionnement dans le sens de ses intérêts, au détriment des pays africains. La réunion de la zone franc tenue à Brazzaville, les 12 et 13 avril, a énoncé les pistes d’une réforme en douceur. Rémy Bobiba, économiste-financier, enseignant chercheur en marchés financiers et commerce international, s'explique  à notre rédaction.

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B ): La polémique sur la survivance du FCFA s'amplifie de jour en jour. Quelle est la raison d’être du FCFA ?

Rémy Bobiba (R.B.) : La zone franc, qui gouverne le change et les relations monétaires entre la France et la quinzaine de ses anciennes colonies d’Afrique de l’ouest et du centre, a commencé à se former durant la période coloniale. Elle a été instituée par le général de Gaulle, le 25 décembre 1945, et elle a pris sa forme actuelle par la signature de traités en 1972 et 1973. La zone franc est caractérisée par la liberté de transfert de capitaux dans la zone, la libre convertibilité du CFA, jadis en francs français et en euro depuis le 1er janvier 1999. En contrepartie de cette garantie de change donnée par la France, les pays de la zone CFA doivent déposer, dans un compte ouvert à leur nom, la moitié de leurs réserves de change qui sert à garantir les importations des pays de la zone et leur paiement en devises.

L.D.B.: Le système CFA fait-il profiter des mêmes avantages aux pays d’Afrique de l’ouest et du centre ?

R.B. : Non, le fonctionnement des pays de la BCEAO est plus efficient que celui des pays de la BEAC. Les pays d’Afrique de l’ouest, sous la houlette de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, affichent une meilleure gestion de leurs réserves monétaires dans le compte d’opérations français en important moins et en consommant plus de produits locaux car, plus un pays importe, plus il épuise ses réserves dans le compte d’opérations. L’Afrique centrale demeure largement dépendante des importations et par conséquent, épuise rapidement ses réserves dans le compte d’opérations, ce qui crée un déséquilibre et un système à double vitesse.

L.D.B.: Après soixante-dix ans ans d’existence, la révision du système CFA ne devient-elle pas un impératif pour les pays de la zone franc ?

R.B. : Au-delà des susceptibilités et considérations d’ordre politique ainsi que des relents néocolonialistes de la dénomination « Franc », qui évoque l’ex-colonisateur et appelle, par conséquent, à une nouvelle dénomination de la monnaie commune, une analyse économique et financière critique démontre que le système FCFA, en lui-même, doit faire l’objet d’un profond lifting tant au niveau des institutions chargées de la mise en œuvre de la coopération monétaire franco-africaine, qu’au niveau des quatre principes qui fondent cette zone monétaire.

L.D.B.: Le fameux compte d’opérations est sujet à de nombreuses critiques. Pour quelles raisons ?

R.B. : Les comptes d’opérations présentent des inconvénients d’ordre financier, économique, social et politique pour les pays de la zone franc CFA. En effet, les mécanismes de fonctionnement des comptes d’opérations produisent les effets négatifs, notamment les pays africains contribuent à financer l’économie française  à leur propre détriment, les pays de la zone franc interviennent dans le mécanisme comme de simples rentiers financiers, dont le Trésor public français utilise les capitaux africains pour combler ses propres déficits, l’équilibre prioritaire des comptes d’opérations fragilise le développement des pays africains, la gestion des comptes d’opérations infantilise et déresponsabilise les Africains car, c’est la Banque de France qui achète et vend quotidiennement les devises sur le marché de changes pour le compte des institutions d’émission africaines, la France endette les pays de la zone franc avec leurs propres capitaux. En effet, la France fait de multiples usages des capitaux africains, notamment prêter de l’argent à ces mêmes pays africains dans le cadre de l’aide publique au développement (APD).

L.D.B. : De votre analyse, il apparaît nettement que le système CFA n’est pas fait pour aider financièrement les pays africains, ne doit-on pas envisager la liquidation pure et simple du CFA ?

R.B. : Il est de la responsabilité des dirigeants des pays africains de la zone CFA, de prendre l’initiative d’une révision de cette zone, comme l’a souligné le président français, Emmanuel Macron, face aux étudiants burkinabè, en novembre 2017. La Cédéao, fort d’une meilleure santé économique, envisage la création d’une monnaie de l’Afrique de l’ouest, « l’éco » qui intégrerait le géant économique nigérian et le Maroc qui frappe lourdement aux portes de cette communauté pour ouvrir le vaste marché ouest africain à l’industrie marocaine en pleine croissance. A mon sens, c’est une hypothèse peu probable car le Nigeria et le Maroc n’ont aucun intérêt à se départir de leur monnaie respective, le naira et le dirham.

L.D.B. : Certains dirigeants africains, soutenus par d’éminents experts économistes et financiers, plaident pour la création d’une monnaie unique africaine, c'est-à-dire une monnaie typiquement africaine. Est-ce une option crédible ?

R.B .: L’instauration d’une monnaie unique regroupant les cinquante-cinq Etats africains suppose une forte volonté politique et demeure un long processus. En effet, qui dit monnaie unique dit l’érection préalable d’un cadre légal et réglementaire, la définition de règles strictes de gestion ainsi que des critères de convergence généralement rigides, la mise en œuvre d’une politique monétaire commune souvent contraignante pour certains pays membres de l’union monétaire. Ainsi donc,  dans l’optique de la création d’une monnaie unique, les pays africains qui utilisent à l’heure actuelle  plus de quarante monnaies différentes et qui sont assez hétérogènes du point de vue des réalités et modèles économiques, des  cadrages budgétaires et des modes de gouvernance, devront adopter des règles de conduite commune: créer une Banque centrale africaine; créer les conditions d’une véritable industrialisation de l’Afrique; refreiner les velléités séparatistes des blocs économiques sous-régionaux.

L.D.B .: Il s’est tenu à Brazzaville, les 12 et 13 avril derniers, la réunion de la zone franc. Y a-t-il eu quelques avancées ?

R.B. :A l’occasion de cette réunion, quelques pistes de réforme ont été épinglées dont la principale porterait sur l’ancrage du franc CFA à un panier de devises telles que le dollar américain ou le yen japonais. Ce qui apporterait un peu plus de souplesse dans le système CFA.

Propos recueillis par Quentin Loubou

Légendes et crédits photo : 

Rémy Bobiba (photo Brazzamag)

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