Interview. Sandrine Mubenga : « La RDC devrait diversifier son portfolio en matière d’électricité »

Lundi 30 Octobre 2017 - 17:15

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Ingénieure en électricité, Sandrine Mubenga est spécialiste des énergies renouvelables et de l’énergie solaire en particulier, où elle justifie de 15 ans d’expérience dans le domaine. Membre du conseil d’administration de la Société nationale d’électricité (Snel), elle a récemment reçu le prix de la femme la plus influente dans les secteurs de l'industrie et de l'ingénierie pour la région Afrique centrale et la RD Congo.

 

Le Courrier de Kinshasa : Vous venez de recevoir le prix de la femme la plus influente dans les secteurs de l'industrie et de l'ingénierie pour la région Afrique centrale et la RDCongo. Qu’est ce qui, selon vous, a poussé le jury à vous octroyer ce prix ?

Sandrine Mubenga : Le prix était basé sur certains critères bien définis. La lauréate devait démontrer son sens de leadership dans son domaine de travail à travers des actions palpables. Elle devait spécifier le rôle concret qu’elle joue au sein de sa compagnie. Dans mon cas, après avoir créé la compagnie « Smin power group » aux Etats-Unis en 2011 et ensuite en RDC en 2013, où le besoin était plus urgent, j’ai pu accroître la rentabilité de cette entreprise à 14%. Une fois la compagnie implantée en RDC, nous avons été attentifs aux besoins locaux et avons remarqué que les gens ne comprenaient pas comment l’énergie solaire fonctionnait. Ils avaient l’impression que c’est une énergie chère, peu fiable et à puissance faible. Nous avons ainsi lancé une campagne d’éducation. Nous offrons aujourd’hui une séance gratuite de formation sur les énergies renouvelables. De plus, un aspect innovant de mon leadership est que nous valorisons plus les projets à grand impact social plutôt que le bénéfice pécunier. Quand nous électrifions une école, nous inspirons les jeunes et indirectement, nous aidons aussi à la création d’emplois dans la communauté locale. C’est pourquoi, afin d’encourager les projets à grand impact social, nous offrons une réduction importante sur l’étude du projet et sur la conception d’un système solaire pour les organisations sans but lucratif. Nous avons aussi lancé un système de stage pour les étudiants des écoles techniques. Lors de ce stage, nous leur apprenons à concevoir et installer des systèmes solaires. Récemment, nous avons aussi lancé un programme de bourses universitaires pour encourager les jeunes filles et garçons à étudier dans le domaine de STEM. Ce sont ces éléments qui m’ont peut-être permis d’obtenir ce prix. Je suis femme, mère congolaise, ingénieure professionnelle, avec plusieurs réalisations à mon actif. 

L.C.K. : En juin dernier, vous avez co-présidé la conférence Power Africa 2017. Quel bilan faites-vous de cette conférence ? Quel a été votre apport tout au long des travaux ?

S.M. : En effet, j’ai été d’abord présidente de la conférence pendant 8 mois ensuite co-présidente pendant les deux derniers mois. C’était une conférence organisée par l’Institut des ingénieurs en électronique et électricité (IEEE) qui compte plus de 400 000 membres dans le monde entier et dont je suis membre. La conférence IEEE PES avait pour but de partager les dernières innovations et solutions pour l’électrification de l’Afrique à partir des énergies renouvelables et des technologies de télécommunication, information et de la communication. C'était une conférence organisée par les Africains et amis de l’Afrique, pour l’Afrique et en Afrique. La conférence a attiré plus de 200 experts venus de 36 pays différents.  Mon rôle était de présider le comité d’organisation de cette conférence qui était composé d’une trentaine d’ingénieurs venant des 4 coins du monde. C'était une expérience très intéressante et enrichissante. C'était pour moi un honneur de voir que c’était un succès.

LCK : Votre entreprise SMIN Power est opérationnelle aux Etats-Unis et en RDC. En quoi consistent ses activités en RDC ?  Quelles sont les différentes réalisations que vous avez déjà opérées ?

S.M. : J’ai créé SMIN Power group en 2011 aux Etats-Unis dans le “solar belt”. Ayant constaté les besoins immenses et croissants au Congo, j’ai décidé d’ouvrir le bureau de SMIN à Kinshasa en 2013. Et à ma grande satisfaction, nos services sont très appréciés par nos clients. Justement parce que nous avons apporté une originalité qui consiste à éduquer le client en matière d’énergie solaire ; montrer les avantages économiques et environnementaux à nos clients. Techniquement, nos activités consistent à réaliser des études de terrain avant l’installation, dimensionner le système selon les besoins du client. Ce que les autres ne font pas souvent à Kinshasa. Une fois le dimensionnement fait, nous concevons le système et le présentons au client. Une fois que ce dernier est d’accord, nous installons le système chez lui. Notre manière de procéder est très appréciée et fait la différence avec les autres qui sont sur le terrain. Et bien entendu, je le dis en toute modestie, les ingénieurs que je coordonne sont très qualifiés et bien préparés pour la tâche.

L.C.K. : En tant que membre du Conseil d’administration de la Snel, quels sont, selon vous, les enjeux et les défis de l’électrification de la RDC ? Quelles sont vos propositions pour une meilleure électrification du pays ?

S.M. : J’ai été nommée par ordonnance présidentielle depuis le 13 juillet 2017. Je tiens à souligner que je ne fais pas partie d’un groupe politique. Je le souligne puisqu’il y a eu pas mal de réactions à ce sujet. Je pense que j’ai été nommée sur la base de mes compétences et de mon expertise en matière d’électricité. Pour moi, c’est une grande opportunité pour apporter ma contribution au pays et servir notre population. Si je l’ai déjà fait aux Etats-Unis, pourquoi ne pas le faire au Congo ? C’est donc avec joie, sachant les défis qui m’attendent, que j’ai accepté cette tâche qui m’a été confiée. Avant d’être nommée, je connaissais déjà les enjeux et les défis d’électrification de la RDC. Et mes propositions sur ce plan sont claires. Il serait bon que la RDC diversifie sont portfolio en matière d’électricité. J’ai toujours préconisé l’adoption des micro, pico et mini centrales hydroélectriques surtout pour les milieux ruraux et semi- urbains. En termes de tailles, ce sont des centrales pico ( 0-5kw), micro (5-100 kw), mini ( à partir de 100 kw à 1000kwg). Nous devons aussi accroître les systèmes solaires.  Depuis cette nomination, j’ai senti et compris que les gens attendaient de moi une solution miracle. J’apporterai ma contribution et je ferai toujours mes propositions au Conseil d’administration où, je tiens à le souligner, depuis que j’ai été nommée, l’entente et la cordialité caractérisent notre équipe. Voilà ce qui m’encourage jusque-là.

L.C.K.: Vous êtes désormais dans la promotion de l’éducation liée aux sciences en RDC et pour contribuer au développement des sciences, vous avez dit plus haut avoir lancé un programme de bourses. En quoi consistent ces bourses ? Lesquels peuvent postuler et en être bénéficiaires ?

S.M.: Effectivement, depuis le début de cette année, j’ai lancé STEM RDC.  STEM signifie science technology engineering and math. Je cherche à promouvoir en RDC l’éducation en science, technologie, génie et math. C’est pour cette raison que j’ai offert cette année six bourses aux étudiants qui finissent les secondaires et qui veulent poursuivre leurs études dans le domaine STEM en RDC. Les informations à ce sujet sont disponibles dans notre website www.sminpowergroup.com. Étant au début de ce projet STEM RDC, je suis pour l’instant en train de constituer l’équipe. Et à ma grande satisfaction, je suis heureuse d’annoncer que dans le domaine des mathématiques, j’ai trouvé le Pr Jonathan Esole, Next Eisntein Fellow, brillant en mathématiques et qui est prêt à joindre l’équipe STEM RDC. Dr Esole et moi, nous faisons appel à d’autres de se joindre à nous. Je reste convaincue que le STEM est une voie incontournable pour le développement de la RDC.

L.C.K.: Vous êtes mondialement connue pour avoir fabriqué une voiture à hydrogène. Que devient cette voiture ?

S.M. : La voiture électrique hybride à hydrogène que j’ai développée en 2008  a été  un projet de ma thèse de maîtrise en génie électrique. Ce qui est vrai, c'était un travail reconnu et apprécié mondialement. Ce projet a été une collaboration entre l’État d’Ohio, la compagnie Kronosport en Pennsylvanie et l’université de Toledo en Ohio. L’idée était que la compagnie Kronosport qui à l’époque était basée en Pennsylvanie prendrait le prototype de ma voiture électrique et installerait une usine dans l’État d’Ohio pour fabriquer cette voiture et créer de l’emploi. C’est donc Kronosport qui développe la voiture depuis 2008. Où est ce qu’on en est ? Ce n’est plus mon business. Mon rôle était d’apporter une contribution à la science. L’idéal aurait été que le Congo développe ce véhicule. L’environnement est-il propice ? je ne le pense pas. Voilà pourquoi je me bats pour que l’électrification du Congo soit effective afin que nous ne rations pas ce genre d’opportunités. Pas d’industrialisation sans électrification. Ce qui a été l’un des sujets au forum Makutano de cette année.

Bref parcours de Sandrine Mubenga

Ingénieure en électricité, Sandrine Mubenga est spécialiste des énergies renouvelables et de l’énergie solaire en particulier, où elle justifie de 15 ans d’expérience dans le domaine. À ce jour, elle a conçu, installé et pprouvé près de 50 000 KW de systèmes solaires photovoltaïques, l’équivalent de la puissance utilisée par 8 000 maisons aux Etats-Unis. Sandrine Mubenga, fondatrice et chief executive officer de SMIN Power Group, une compagnie spécialisée dans la conception et l’installation des systèmes solaires photovoltaïques. L’entreprise a été fondée en 2011 aux Etats-Unis et a ouvert un bureau à Kinshasa en 2013, avec pour ambition d’électrifier l’Afrique.  Pendant 5ans, Sandrine Mubenga a aussi occupé le poste d’electrical engineering manager à l’université de Toledo, Etats-Unis, où elle a géré un budget de 65 millions de dollars américains et économisé 5 millions de dollars pour l’université. Sandrine Mubenga est actuellement doctorante en génie électrique à l’université de Toledo, dans l’état d’Ohio aux Etats-Unis. Sa recherche pendant ce doctorat consiste à développer un système de gestion des batteries pour les grandes piles Lithium ion utilisées dans les systèmes de stockage d’énergies pour les voitures électriques, le grid et les systèmes d’énergies renouvelables. Pendant sa recherche en maîtrise, elle avait développé un système qui permet à une voiture électrique d’être hybride en utilisant l’hydrogène comme carburant grâce à l’intégration d’une pile à combustible. Elle a aussi développé une station qui utilise l’énergie solaire photovoltaïque pour générer de l’hydrogène à partir de l’eau. C’est cet hydrogène ensuite que l’on pompe dans la voiture hybride. 

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Sandrine Mubenga

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