Italie : l’insoutenable pression migratoire

Mardi 1 Juillet 2014 - 18:33

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Ils sont des dizaines de milliers à attendre leur tour depuis les berges sud de la Méditerranée pour tenter d’entrer en Europe. Beaucoup y arrivent morts

Il manque même des cercueils en Sicile pour enterrer les morts. La traversée dangereuse de la Méditerranée, à bord d’embarcations qui peuvent à peine flotter, a repris. Le beau temps, chaud et sans pluie, a remis en marche des milliers d’immigrés qui veulent à tout prix gagner l’Europe. Ils proviennent d’Afrique sub-saharienne en majorité, mais viennent aussi de contrées plus lointaines comme le Pakistan, le Bangladesh. Et, surtout, ils sont le fruit de la poussée ou de la persistance des guerres en Syrie, en Irak. Le drame est perceptible à vue d’œil et la pression énorme dans un pays comme l’Italie, à peine plus grande que le Congo-Brazzaville.

L’ampleur du drame dépasse l’entendement ; l’Italie appelle en vain l’Union européenne pour l’aider à faire face aux premiers besoins de ces désespérés. Car les centres dits de transit, où les immigrés attendent avant de voir leur sort traité, sont tous pleins en Sicile comme sur l’ensemble du territoire. Et comme à partir de ce jeudi la météo s’annonce encore plus clémente et la mer calme, de nouvelles vagues d’arrivants sont à prévoir. « Pourquoi la France et la Grande-Bretagne qui ont déclenché la guerre en Libye ne font-elles rien de concret pour nous aider à faire face aux flots de clandestins qui en sont la conséquence ? », s’interrogeait un élu de droite mardi matin à la radio.

La question ne recevra sans doute pas de réponse particulière. Parce que France et Grande-Bretagne sont membres de l’Union européenne qui estime avoir fait son maximum budgétaire pour aider, notamment, l’opération Mare Nostrum déployée en mer par les Italiens pour repérer les bateaux de clandestins et les aider à accoster en sécurité, quitte à décider ensuite de refouler la majorité d’entre eux vers leur pays d’embarquement, la Libye ou la Tunisie. Donc un retour à la case départ. Un cycle sans fin se nourrissant de la grande détermination des candidats à l’immigration à tenter le tout pour le tout pour gagner l’Europe, l’Eldorado.

Selon le ministre italien de l’Intérieur, Angelino Alfano, ils seraient actuellement plus de 7.000 migrants de toutes provenances à vouloir tenter leur chance depuis les côtes de Libye. Exagéré ? Les chiffres égrenés chaque jour ne semblent pas près de le démentir. De la Libye, pays affaibli par les mois de guerre pour chasser Kadhafi, mais aussi depuis les côtes marocaines, les départs se font au « s’en-fout-la-mort », comme on dirait au Congo. Mardi, ils étaient une centaine de Subsahariens à tenter leur chance à Melilla, ville-enclave en territoire marocain mais de souveraineté espagnole. Vingt d'entre eux ont réussi à franchir le haut et périlleux grillage de séparation.

Parler de l’épisode de mardi, un parmi tant d’autres, n’a pas plus de sens que de parler, au hasard, de ce qui s’est passé durant tout le mois de janvier. Ou celui de mai. Ou d’avril ! Le 14 juin, les forces de sécurité marocaines et espagnoles ont repoussé ensemble un millier de migrants. Quatre jours plus tard, environ 400 personnes avaient tenté leur chance, à nouveau sans succès. Le 28 mai, plus de mille migrants avaient donné l’assaut… En février, une vingtaine de morts avaient été dénombrés. Melilla, mais aussi Ceuta, l’autre possession espagnole en terre marocaine, constituent les deux seules frontières terrestres entre l'Afrique et l'Europe.

Des gangs à l’oeuvre

L'Espagne appelle l’Union européenne à l’aide ; une promesse de dix millions d’euros (plus de six milliards de FCFA) lui a été faite…Mais elle n’est que moyennement touchée par la pression actuelle, même si elle constitue le pays le plus rapproché de l’Afrique, le continent de provenance ou de transit de ces désespérés. Il n’y a pas en Europe de pays affrontant vagues migratoires aussi nombreuses que l’Italie. Ils viennent de partout, les migrants ; ils traversent le désert du Sahara ou du Sinaï ; ils sont hommes, jeunes, vieux ou des femmes ou encore, dernière tendance, des enfants seuls. Tous visent l’Europe. Une Europe qui a débloqué … 4 millions d’euros d’urgence pour Rome.

Aux vivants s’ajoutent désormais les morts. Car les embarcations qui réussissent à toucher la Sicile, en Italie, sont de plus en plus chargées aussi de gens qui meurent durant la traversée. De quoi ? La question demeure. Dans la classe politique à Rome, on n’hésite pas à y voir une nouvelle source de menace. À l’heure d’Ebola, les cas de personnes aux symptômes inquiétants représenteraient des points potentiels d’entrée du virus très létal. Dimanche, l’embarcation qui a été interceptée par les garde-côtes italiens avait une trentaine de morts à son bord.

Des premiers témoignages ont laissé entrevoir une double cause possible : l’asphyxie par étouffements ou bien la rixe à bord. Le bateau était chargé à ras-bord de migrants syriens et africains qui pourraient s’être battus. « Il faut arrêter les départs, les aider chez eux, sans tarder. Les chemises de Renzi et Alfano sont tachées de sang », a déclaré Matteo Salvini, du parti xénophobe de la Ligue du Nord. Près de 5.500 réfugiés ont par ailleurs été secourus pendant le week-end par la marine militaire et deux cargos. Depuis le début de l'année, l’Italie aurait « accueilli » plus de 65.000 migrants et réfugiés ; le record de 2011 (63.000) est donc déjà pulvérisé en seulement six mois. Causes directes, causes transitoires, guerres et pauvreté se mélangent.

Mais comme toujours, à l’ombre d’une détresse humaine surabondante, la criminalité et l’immoralité prospèrent. Ainsi, pour les 366 migrants qui trouvèrent la mort aux abords de Lampedusa, toujours en Sicile, en octobre dernier, les enquêtes ont mis en évidence un réseau de trafiquants ayant leur base en Libye et au Soudan. Les trafiquants avaient leurs complices en Italie. Sept mandats d’arrêt ont été émis par la justice à Agrigente contre ce que les médias appelaient mardi « la cellule italienne » du gang.

Il y a ceux qui encaissaient en Libye ou en Erythrée l’argent pour la traversée, achetaient les vieux bateaux dans les ports de Libye. Il y a ceux qui, en Italie, se chargeaient de prendre les migrants en main pour faire perdre leurs traces. L’ampleur des arrivées est telle, que même cet aspect de la répression ne touche qu’une dimension marginale du phénomène actuel. Au point que majorité et opposition en Italie semblent trouver dérisoire de se battre autour d’une démarcation manichéenne entre les pour et les contre. Car tout le monde se rend compte qu’accueillir une telle foule de migrants est absolument hors de portée ; qu’aller investir en Afrique, arrêter la guerre en Irak ou en Syrie seraient comme de tenter d’arrêter l’eau d’une passoire.

Lucien Mpama