Jamais sans mon foot !

Samedi 30 Août 2014 - 11:11

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Sur les plages de l’île italienne de Sicile, les émigrés africains reconstituent l’ambiance des pays qu’ils ont quittés autour du ballon rond

Ils sont arrivés sur les côtes italiennes dans des conditions épouvantables. Beaucoup ont échappé à la mort par la soif dans les déserts ; par assassinat face aux nombreux garde-frontières qu’il a fallu corrompre ; par  noyade en Méditerranée. Mais à leur arrivée sur les côtes italiennes où les attend sûrement un rapatriement forcé vers leurs pays de départ, les migrants africains ne peuvent se départir de l’ambiance qu’ils ont laissée. Ils se rassemblent autour d’un ballon de football. Et puis ils recherchent le chemin de la mosquée ou de l’Eglise la plus proche parce qu’ils sont aussi des croyants.

Ainsi à Palerme, en Sicile, le football des immigrés est devenu une réalité parfaitement intégrée dans les us du coin. Comme le fait de retrouver des cadavres le long des plages. Ou de se trouver nez-à-nez avec une embarcation pleine de personnes, hommes et femmes, parlant les langues les plus diverses et tentant d’entrer en Europe. Avec la compréhension d’un curé du coin, les migrants clandestins africains ont fini par constituer leur propre équipe de football.

Elle porte le nom chrétien de Club du saint Curé d’Ars, parce que née au sein de la paroisse catholique du même nom qui a eu l’idée d’accueillir ces infortunés dans le quartier de Falsomiele. Le nom du quartier est d’ailleurs en soi tout un programme, puisque Falsomiele (de falso et de miele) se traduit par « faux miel ». Mais l’équipe de football qui s’y exhibe n’est pas une illusion. Elle ne console pas même des grandeurs perdues de certains de ses membres qui ont tout abandonné derrière eux.

Mais il y a de tout chez les migrants. Et dans leur histoire personnelle, il faut surtout retenir le drame du désespoir qui les a forcé un jour à quitter leurs terres et leurs proches. Mais il ne faut pas être trop regardants sur les détails du parcours. Ainsi le capitaine de l’équipe se dit malien. Il se nomme Tamba Jabai. Mais il n’est pas certain qu’on le connaisse vraiment au Mali où il dit avoir été presque footballeur professionnel.

Par contre un Tamba Jabai a bien été membre de l’équipe de première division du Sutukoba Football club… à Banjul, en Gambie ! Peu importe : c’est Tamba qui sert à la fois de capitaine et d’entraîneur à une vingtaine de ses camarades qui pourraient un jour briller dans les championnats européens s’ils parviennent à vaincre l’adversité de la bureaucratie !

Ils disent être venus de Gambie, du Sénégal, du Ghana, de Côte d’Ivoire ou du Bénin mais on sait que dans la partie de leur histoire qu’ils ont décidée de présenter aux autorités, les nationalités sont changeantes au gré des événements qui font qu’un migrant somalien fuyant la guerre pourrait recevoir plus vite une carte de réfugié, et un originaire du Cameroun où il n’y a pas de guerre.  Mais tous se rejoignent sur un point : d’où ils viennent, le football fait partie des éléments constitutifs de la vie de chaque jour.

Et il n’en faut pas plus pour improviser un match : entre rues, entre quartiers, entre villages ou groupes de villages. Le stade c’est la rue, une esplanade quelconque,  pas gazonnée  Il n’est pas nécessaire d’y posséder un ballon en cuir homologué par la FIFA. Ainsi le rêve de Tamba serait d’attirer l’attention de l’équipe de Palerme pour pouvoir un jour briller en première division dans le championnat de football italien.

C’est un rêve qui devra commencer par vaincre les obstacles d’une régularisation devenue très difficile. Car pour être recruté dans un club, ces migrants devront obtenir des papiers en bonne et due forme. Sinon, ils seront déclarés travailler au noir : un délit. Mais quand on a vaincu les dangers d’un trajet de 6000 km, il n’est pas obstacle administratif qu’on ne puisse regarder avec la conviction de le voir levé un jour.

Lucien Mpama