Jean-Martin Bauer: "Le Pam appuie le Congo dans sa politique nationale sur l'alimentation"

Jeudi 19 Juillet 2018 - 15:27

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En poste depuis une année au Congo, le représentant de l'agence onusienne s'est livré, pour la première fois, à la presse locale. Dans cette interview accordée à notre rédaction, il parle des actions de son institution au Congo, notamment sa politique d’aide alimentaire aux démunis et/ou sinistrés ainsi que de son appui au gouvernement dans le cadre de la réalisation de l'objectif du développement durable n°2 visant à éradiquer la malnutrition.

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.):  Depuis quand êtes-vous en fonction en République du Congo ?

Jean-Martin Bauer (J-M.B.): J’ai pris mes fonctions de représentant et directeur du Programme alimentaire mondial (Pam) au Congo le 11 juillet 2017, il y a tout juste un an, succédant à M. David Bulman. J’apporte mon expérience dans le développement et l’application des nouvelles technologies de l’information dans le domaine humanitaire. J’ai notamment promu l’utilisation des technologies mobiles et des médias sociaux pour communiquer avec la population affectée par les crises.

L.D.B. : Monsieur le représentant, en des termes précis, quelles sont les missions assignées au Pam ?

J-M.B. Avec quatre-vingts millions de personnes aidées dans quatre-vingts pays environ chaque année, le Pam est la première organisation humanitaire mondiale de lutte contre la faim, fournissant une aide alimentaire dans les situations d'urgence et travaillant avec les communautés pour améliorer la nutrition et renforcer la résilience. Alors que la communauté internationale s'est engagée à éradiquer la faim, à assurer la sécurité alimentaire et à améliorer la nutrition d'ici à 2030,une personne sur neuf dans le monde ne mange toujours pas à sa faim. L'assistance alimentaire est au cœur de la lutte pour briser le cycle de la faim et de la pauvreté. Le Pam concentre ses efforts sur l'aide d'urgence, les secours et la réhabilitation, l'aide au développement et les opérations spéciales. En 2015, la communauté mondiale a adopté les dix-sept Objectifs mondiaux de développement durable afin d'améliorer la vie des individus d'ici à 2030. L'objectif 2 - la faim zéro - qui vise à éradiquer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir une agriculture durable, constitue la priorité du Pam. Nous répondons à ces problématiques de façon innovante grâce l’intégration de nouvelles technologies permettant d’améliorer la qualité de l’assistance auprès des bénéficiaires.

L.D.B.: Vous êtes un organe onusien qui intervient dans l’aide alimentaire pour soulager, tant soit peu, ceux qui en ont besoin, c’est-à-dire les pauvres, les sinistrés et autres. Alors comment accéder à ces aides, y-a-t-il des critères de sélection standardisés ?

J-M.B. Que ce soit dans le cadre de l’urgence humanitaire ou dans le cadre de programmes de développement, des enquêtes de terrain, réalisées avec les partenaires opérationnels et gouvernementaux nous permettent de cibler en priorité les couches de la population les plus vulnérables. Par exemple, le programme d’alimentation scolaire cible spécifiquement les groupes autochtones qui représentent environ 2% (RGPH Congo, 2007) de la population congolaise et sont les plus touchées par l'insécurité alimentaire, la malnutrition et la pauvreté. D’après l’Unicef, on estime que 65% des enfants autochtones âgés de 4 à 16 ans ne sont jamais allés à l'école. D’où le développement des écoles passerelles dites « écoles Ora » par l’Association des prêtres spiritains au Congo qui scolarise, de nos jours, près de sept mille enfants dans les vastes zones forestières de la Likouala et la Sangha (nord Congo).

L.D.B: La République du Congo compte douze départements. Quels sont ceux qui ont déjà bénéficié de votre assistance  depuis que vous êtes en fonction dans le pays ?

J-M.B.: Depuis le début de la crise dans le département du Pool, des milliers de personnes ont été contraintes de trouver refuge dans d'autres localités environnantes et dans des départements voisins, tels que la Bouenza et Brazzaville. La population des zones touchées par la situation humanitaire est estimée à cent soixante mille personnes. Elles vivent dans des conditions physiques et alimentaires difficiles depuis qu'elles ont quitté leur foyer. En réponse à cette situation, le Pam  a commencé son assistance dans le Pool et la Bouenza aux personnes déplacées dans les zones accessibles en février 2017 et a touché soixante-dix mille personnes depuis.Un accent particulier est mis sur l’assistance nutritionnelle des femmes enceintes et allaitantes ainsi que des enfants de 6 à 59 mois. En parallèle, le Pam offre chaque jour un repas chaud aux élèves les plus vulnérables dans le cadre du Programme d’alimentation scolaire grâce à des dons des gouvernements du Japon et des Etats-Unis à travers le programme McGovern-Dole. Ce programme vise à accroître la sécurité alimentaire et appuyer l’accès à l’enseignement primaire et la rétention scolaire, notamment grâce aux cantinesscolaires. Il appuie le gouvernement dans la mise en place d’une politique nationale d’alimentation scolaire. Depuis 2015, les cantines scolaires prennent en charge des enfants autochtones dans les écoles Ora (Observer, réfléchir, agir) de la Likouala. Cette année, nous avons fourni un repas chaud à trente-huit mille élèves du cycle primaire dans les départements du Pool, des Plateaux, de la Bouenza, de la Lékoumou, de la Sangha et de la Likouala. Nous visons plus de cinquante mille élèves dès la rentrée prochaine avec une augmentation du nombre d’écoles ciblées et l’intégration supplémentaire du département de la Cuvette. Enfin, le Pam et ses partenaires encouragent l'accès des petits exploitants aux marchés et l'amélioration de la qualité, du volume et de la compétitivité des cultures de haricots. Grâce à la contribution de l’Union européenne, le projet cible deux cents producteurs de haricots de la Bouenza et devrait produire mille six cents tonnes de haricots entre 2017 et 2019. Le programme d’alimentation scolaire constitue un débouché important pour les petits producteurs qui auront l’opportunité de contribuer au ravitaillement des cantines scolaires en produits locaux. Petits producteurs, élèves bénéficiaires, ménages, consommateurs, prestataires liés à l’économie locale, transporteurs, toute la filière est impliquée dans ce projet. Le Pam assiste, depuis février 2013, les réfugiés centrafricains installés dans la Likouala. L’objectif du programme est de fournir une assistance alimentaire d’urgence à la population réfugiée et d’apporter un soutien nutritionnel à plus de dix-neuf mille personnes.

L.D.B.: Certains pensent que vos interventions, si elles existent, sont moins médiatisées. Ce qui donne l’impression que vous n’intervenez pas sur le terrain. Votre réaction ?

J-M.B.: Nous faisons régulièrement des efforts de médiatisation lors des étapes clés du déploiement de nos activités humanitaires et de développement afin de remercier nos nombreux partenaires et bailleurs. Les ressources mobilisées par le Pam sont concentrées sur l’assistance. Pour en savoir plus sur nos activités, nous vous invitons à visiter notre page Facebook (@WFP.Congo) et notre compte Twitter (@PamCongo). Notre communauté grandit de jour en jour et nous mettons un accent particulier sur l’interaction avec le public.

L.D.B.: Revenons sur le cas récent du département du Pool. Quelle évaluation pouvez-vous faire de votre intervention ?

J-M.B. Sur la base du plan de réponse humanitaire lancé par le gouvernement et le système des Nations unies en République du Congo, le Pam fournit de la nourriture et des bons électroniques à soixante-dix mille personnes déplacées par les combats entre les forces de sécurité et les groupes armés dans le département du Pool. Il fournit également un soutien nutritionnel aux enfants de moins de 5 ans et aux femmes enceintes et allaitantes dans les départements du Pool et de Bouenza, où la malnutrition aiguë globale a atteint 17,3% (mai 2017). Toute l'assistance du Pam dans les départements du Pool et de la Bouenza est actuellement fournie par Scope, le système de gestion des données des bénéficiaires du Pam ainsi que des prestations sociales effectuées à leur intention. C’est une plate-forme numérique puissante et flexible permettant au Pam de mieux connaître les personnes qu’il dessert afin de leur fournir une assistance plus personnalisée et plus utile. Depuis le début de l’intervention (février 2017), nous avons distribué près de deux mille cinq cents tonnes de vivres et fournit plus de 1,3 milliard de FCFA à travers les transferts monétaires, tout ceci avec l’appui de nos partenaires, le ministère des Affaires sociales et de l’action humanitaire et les ONG Caritas et Acted.

L.D.B.: Le gouvernement congolais parle du projet « Lisungi » qui consiste à assister les familles démunies. Etes-vous partenaire de ce projet ?

J-M.B. Nous sommes fiers d’avoir pu tester cette approche via notre programme de filet de sécurité sociale aux ménages les plus vulnérables en collaboration avec le ministère des Affaires sociales. De 2012 à 2014, nous avons accompagné, à travers des transferts monétaires, plus de cinq mille ménages par an, résidents à Brazzaville et Pointe-Noire. Nous sommes ravis de voir que le projet Lisungi voit le jour et qu’il couvrira davantage de personnes vulnérables au Congo. Nous sommes prêts à continuer à apporter notre concours au projet notamment.

L.D.B.: Votre assistance, monsieur le représentant, ne se limite-t-elle qu’au volet alimentaire ? Si non, quels sont, en plus de celle-ci, les autres aspects sur lesquels vous agissez ?

J-M.B. Nous œuvrons au renforcement des compétences des partenaires et collaborons avec le gouvernement dans la mise en œuvre de politiques publiques, telles que l’appui à la création d’une politique nationale sur l’alimentation scolaire et la formulation de la revue stratégique pays en vue d’atteindre l'objetif "La faim zéro" d’ici à 2030, conformément à l’Objectif de développement durable n°2. Aussi, nous collaborons avec d’autres agences du système des Nations unies. Par exemple, avec l’UNHCR concernant les populations réfugiées, avec l’UNFPA via notre système de transfert mobile en vue de fournir des kits de dignité aux déplacés du Pool ou encore plus récemment, nous avons partagé notre expertise en logistique avec l’OMS lors de leur mission préventive à la propagation de la fièvre hémorragique à virus d'Ebola. Comme cité précédemment, nous prenons une part active dans le renforcement des capacités des producteurs en vue de valoriser la production locale et accompagner le développement de la filière.

L.D.B.: Votre dernier mot?

J-M.B. Le Pam ne cesse d’adapter ses programmes aux besoins de la République du Congo, notamment concernant le renforcement des systèmes alimentaires, la vulnérabilité urbaine et les enjeux liés au changement climatique. Nous continuons également à travailler sur l’intégration des nouvelles technologies en vue d’améliorer en permanence la qualité de nos interventions auprès de la population bénéficiaire. Nous voulons tous que notre famille mange de la nourriture saine et nutritive en suffisance. Un monde sans faim peut avoir un impact positif sur nos éco­nomies, la santé, l’éducation, l’égalité et le développement social. Tout le monde peut contribuer à son niveau pour atteindre cet objectif, en soutenant les agriculteurs ou marchés locaux, en choisissant de la nourriture durable, en soutenant une nutrition de qualité pour tous et en luttant contre le gaspillage alimentaire.

 

Propos recueillis par Faustin Akono

Légendes et crédits photo : 

Photo Adiac: Jean-Martin Bauer, représentant du Pam au Congo

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