Justice internationale  : l'acquittement de Bemba crée un malaise au sein de la CPI

Vendredi 15 Juin 2018 - 16:45

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La procureure de la Cour, la Gambienne Fatou Bensouda, estime que l'abandon des charges contre l'ancien vice-président de la RDC est le résultat d'une Chambre divisée. Le président de la Cour, le Nigérian Chile Eboe-Osuji, rappelle  quant à lui à la procureure que le principe de « Cour unique » ne concerne pas les fonctions et responsabilités du procureur et celles du pouvoir judiciaire qui sont des fonctions séparées et indépendantes.

Dans une déclaration rendue publique le 13 juin, au lendemain de la décision des juges de la Chambre d'appel d'accorder la liberté provisioire à Jean-Pierre Bemba, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), tout en soulignant respecter cette décision et son irrévocabilité, a indiqué que certains aspects la préoccupent et qu'elle espère que les choses évolueront différemment à l'avenir. « Comme l'ont relevé les deux juges dissidents dans l'opinion qu'ils ont jointe à l'arrêt, la majorité des juges de la Chambre d'appel s'est écartée du modèle traditionnellement suivi en appel quant à l'examen des erreurs de fait, lequel modèle avait été constamment appliqué non seulement par la Chambre d'appel de la CPI depuis ses débuts mais aussi par les Chambres d'appel des tribunaux ad hoc établis par l'ONU et par d'autres juridictions pénales internationales », a déclaré Fatou Bensouda.

Pour elle, d'après les critères traditionnellement applicables à l'examen en appel, la Chambre d'appel devrait habituellement s'en remettre à l'appréciation des éléments de preuve effectuée par la Chambre de première instance, à moins que la partie à l'origine du recours ne démontre que cette même Chambre n'aurait pas pu raisonnablement parvenir à la conclusion formulée quant aux faits au vu des éléments de preuve disponibles. « La majorité des juges a, semble-t-il, écarté ce critère et adopté à la place une démarche qui donne à penser que, lorsque la Chambre d'appel est en mesure de déceler des conclusions qui peuvent être raisonnablement remises en cause, elle doit les infirmer. Une telle façon de procéder revient, semble-t-il, à confondre le niveau de la preuve, que la Chambre de première instance applique après avoir pris connaissance de tous les moyens de preuve, avec les critères applicables à l'examen en appel, que la Chambre d'appel doit retenir lorsqu'elle examine le jugement », a expliqué la procureure de la CPI.

Les juges de la Chambre d'appel accusés de s'être écartés de la pratique internationale

Fatou Bensouda regrette que cet « écart important et inexplicable de la jurisprudence de la Cour », ainsi que les juges dissidents l'ont décrit, et l'emploi à la place de nouveaux critères incertains et non vérifiés, apparaissent dans la plus grave affaire de violences sexuelles et à caractère sexiste sur laquelle la Cour ait dû se prononcer à ce jour, d'autant plus à un moment où il est vital de signaler clairement au monde entier que de telles atrocités ne doivent pas rester impunies.

« En outre, la majorité des juges semble s'être écartée de la jurisprudence précédemment établie par la Chambre d'appel, ainsi que de la pratique internationale, s'agissant de la manière dont l'Accusation devrait présenter des charges dans des affaires se rapportant à une criminalité à grande échelle. La précision des détails que l'Accusation sera peut-être désormais contrainte de fournir dans son acte d'accusation peut rendre difficiles les poursuites dans d'autres affaires portant sur de vastes campagnes de persécution, particulièrement lorsque l'accusé n'est pas directement l'auteur des crimes en cause mais un commandant, situé à distance du lieu des crimes allégués, dont la responsabilité pénale peut être engagée en tant que supérieur hiérarchique exerçant un contrôle effectif sur les auteurs des crimes en cause, ses subordonnés », a poursuivi Fatou Bensouda. Elle a rappelé que dans le cadre juridique de la Cour, la Chambre d'appel constitue l'ultime organe judiciaire de recours et ses décisions sont définitives. Il n'existe pas d'autre possibilité de faire appel de ses arrêts. « Voilà pourquoi, selon moi, il est crucial que, lorsqu'elle examine un recours, la Chambre d'appel conserve la même prudence qu'elle a toujours adoptée depuis ses débuts et reste fidèle à la jurisprudence et aux normes qu'elle a elle-même précédemment établies. J'ai bon espoir qu'à l'avenir, nous reviendrons à ces critères applicables à l'examen en appel », a fait savoir la procureure, en précisant que la Chambre d'appel n'a pas été en mesure de trancher à l'unanimité et que cet acquittement définitif est le résultat d'une Chambre divisée : deux juges de la majorité ont décidé d'acquitter l'accusé, un juge de la majorité a fait droit à l'appel interjeté mais s'est prononcé en faveur d'un nouveau procès, et deux juges dissidents ont confirmé la condamnation.

Réplique du président de la Cour

Face à cette charge de la procureure de la CPI contre la Chambre d'appel, le président de la Cour, Chile Eboe-Osuji, dans une déclaration publiée le 14 juin, a tenu à rappeler et à souligner certains principes fondamentaux qui sous-tendent le fonctionnement de la Cour. A cet effet, a-t-il argumenté, les jugements et les décisions des juges de la Cour seront toujours pris conformément au principe fondamental de l'indépendance judiciaire, conformément à l'engagement solennel pris par chaque juge d'exercer ses fonctions « en tout honneur et dévouement, en toute impartialité et en toute conscience », comme l'exigent l'article 45 du Statut de Rome et la règle 5 du Règlement de procédure et de preuve. « Lorsque les juges acquitteront ou condamneront, c'est parce que ces principes fondamentaux les y obligeront. Et il est à espérer que ces principes fondamentaux guident toute déclaration faite suite à un jugement par une partie ou un participant à l'affaire - qu'il s'agisse du procureur, de la défense ou du conseil des victimes », a estimé le président de la CPI.

Chile Eboe-Osuji a précisé qu' alors que la haute direction de la CPI continuera à s'efforcer d'appliquer le principe de « Cour unique » dans les questions purement budgétaires et administratives relevant de sa compétence, ce principe ne concerne pas les fonctions et responsabilités du procureur et celles du pouvoir judiciaire. « Celles-ci doivent rester des fonctions séparées et indépendantes », a-t-il conclu.

 

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Photo1 La procureure de la CPI Photo 2 Une séance de la CPI Photo 3 Vue extérieure de la CPI Photo 4 Le président de la CPI

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