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La guerre oubliée ?

Lundi 30 Octobre 2017 - 9:26

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Rien, finalement, ne rend mieux compte du décalage existant entre l’image que projettent de l’Afrique, les grands médias occidentaux et les réalités vécues par les peuples sur ce continent que la façon dont les premiers rendent compte des grands évènements qui affectent la vie des seconds. Nous en avons eu la preuve accablante la semaine dernière lorsque le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, est venu à Bangui afin de mesurer sur le terrain le risque de génocide qui plane sur la Centrafrique.

Les observateurs des pays riches de l’hémisphère nord, qui parlaient jusqu’alors de « guerre oubliée », de « conflit de basse intensité », de « violences larvées » ont, semble-t-il, découvert que ce qui se joue dans cette partie du continent n’est pas autre chose que la réédition du drame vécu par les Rwandais il y a un peu plus de vingt ans. Ceci alors même que s’ils consultaient chaque jour les journaux comme le nôtre, dans leur version imprimée ou dans leur version électronique, ils prendraient la juste mesure des crimes contre l’humanité qui sont commis depuis des années dans différentes parties du Bassin du Congo et du risque de conflagration générale qui en résulte.

La vérité, dramatique il faut le dire, est que vue depuis Paris, Bruxelles, Londres, New-York, Washington, Tokyo, cette partie de l’hémisphère sud n’existe pas. Ou, plus exactement, ne mérite pas d’être regardée avec attention puisqu’elle « n’est pas encore entrée dans l’Histoire » comme l’avait déclaré de façon incompréhensible Nicolas Sarkozy alors qu’il occupait temporairement le Palais de l’Elysée. Un jugement à l’emporte-pièce d’autant plus irréaliste qu’à échéance de cinquante ans, plus du quart de l’humanité vivra en Afrique.

Depuis des années, les dirigeants du Bassin du Congo, Denis Sassou N’Guesso en tête, tirent la sonnette d’alarme au sein des plus hautes instances de la gouvernance mondiale. Ils l’ont fait hier pour le Rwanda, pour les deux Kivu, pour le Kasaï tout comme ils le font aujourd’hui pour la Centrafrique, pour le Burundi et l’Ouganda que menacent les milices venues de la Corne de l’Afrique. Mais, hélas!, ils ne sont entendus ni par les dirigeants des pays riches qui auraient pourtant les moyens de les aider, ni par les grands médias qui ne s’intéressent au continent noir que lorsque la violence ethnique ou religieuse s’y déchaîne.

Le fait que le numéro un de l’Organisation des Nations unies soit venu à Bangui pendant quelques heures, afin de mesurer l’ampleur d’une crise qui pourrait faire à brève échéance des millions de victimes, apporte indiscutablement la preuve que les yeux s’ouvrent enfin dans la « Maison de verre » sur la réalité d’une guerre que l’Occident s’emploie depuis des mois, des années, des décennies à sous-estimer, voire même à ignorer. Mais, elle ne résoudra rien si, au sommet de la gouvernance mondiale, les bonnes décisions ne sont pas prises pour stopper la marche vers l’abîme. En commençant par le commencement qui est d’apporter aux pays de la sous-région en mesure d’intervenir efficacement sur le terrain, l’aide multiforme qu’ils réclament en vain depuis des années.

Nous l’avons écrit ici même à maintes reprises : ce sont les Africains eux-mêmes et eux seuls qui sont capables de gérer et de prévenir les crises menaçant l’existence de leurs peuples ; le Congo en a apporté lui-même la preuve, il y a vingt ans, lorsqu’il a mis fin aux guerres civiles qui le dévastaient. Mieux vaudrait, dans le moment présent, tirer les leçons d’un processus qui a permis au pays de se reconstruire que de rééditer les erreurs commises, notamment en République Démocratique du Congo avec les conséquences désastreuses que l’on connaît.

Jean-Paul Pigasse

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Édition Quotidienne (DB)

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