La menace djihadiste : l'Italie à la périphérie du djihad libyen

Mardi 3 Mars 2015 - 17:25

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À moins d’une heure de vol de ses côtes, l’Italie regarde avec inquiétude la montée en puissance des mouvements extrémistes libyens. Il faut réagir, mais comment ?

La mayonnaise semble prendre ; elle monte. De tous les coins d’Afrique semble monter le péril djihadiste. « Monter », mais vers où ? En Italie, la question a sa réponse toute trouvée. D’autant que dans ses menaces très explicites ces derniers jours, l’Etat islamique a nommément désigné son objectif depuis la Libye : Rome. « Nous sommes au sud de Rome », a annoncé le mouvement djihadiste dans une de ses dernières vidéos. « Nous finirons par planter notre drapeau sur le Colisée et sur la coupole de la Basilique Saint-Pierre ».

Proclamations propagandistes ? Sans doute pas, disent les experts. Tout comme à Paris début janvier et Copenhague il y a des jours, le danger peut venir de l’action d’un solitaire obéissant du fond de sa salle de bain à l’appel au djihad.. Pas forcément de cohortes montant en marche forcée vers quelque chose. L’occident semble une cible désignée. L’Etat islamique a menacé « l’Italie des croisés » et même son ministre des Affaires étrangères Paolo Gentiloni, un moment tenté par l’organisation d’une attaque guerrière de coalition sur Tripoli. « Vous voulez la guerre ? Nous n’aurons qu’à mettre à l’eau 2000 embarcations remplies d’immigrés pour vous attaquer », a répondu le mouvement islamiste.

Le Premier ministre italien Matteo Renzi a calmé les ardeurs de son ministre des Affaires étrangères. Attaquer n’est pas, « pour le moment », la solution. D’autant que l’expérience de la guerre conduite par la France et la Grande-Bretagne et qui aboutit, en octobre 2011, à la chute du régime du colonel Kadhafi fait l’unanimité contre elle à Rome. L’effondrement du régime Kadhafi a ouvert la boîte de pandore, dit-on de plus en plus haut ici. « En 2011, ce fut une erreur de bombarder la Libye. L’Italie n’aurait pas dû s’associer à une guerre qui allait contre ses intérêts». Ce fut la faute de Sarkozy qui n’assura pas le service après-vente.

Ces propos, de l’ancien président de la Commission européenne et ancien premier ministre Romano Prodi ne trouvent aucun démenti dans les rangs de la classe politique italienne. « Ce fut une erreur », renchérit Matteo Renzi qui souhaite plutôt que l’Italie, quand il faudra y aller, range sa bannière et ses armes sous l’autorité de l’ONU. Car « le problème libyen n’est plus un problème italien ; il concerne la communauté internationale », ajoute-t-il. Du reste, même en Libye, les avis sont concordants sur ce point.

« Le terrorisme ne constitue pas un danger pour la Libye et les seuls pays voisins, il s'agit d'une menace qui s'intensifie contre l'Europe », estime le ministre libyen des Affaires étrangères, Mohamed Dayri. « Il faut éviter une somalisation de la Libye », insiste pour sa part Marco Minniti, sénateur et délégué auprès du gouvernement italien pour les questions de sécurité. « En Libye se joue une partie cruciale », estime-t-il. « La Libye est aujourd’hui le plus grand foyer terroriste au monde » : il y a, à coup sûr, un peu d’exagération dans cette analyse de l’expert tunisien Mazen Chérif. Mais l’alerte a le mérite de montrer une préoccupation partagée.

« Tant qu’il n’y aura pas de paix en Libye, il n’y aura pas de stabilité en Egypte », soutient-on au Caire. Réunis à Paris pour un sommet bilatéral mardi dernier, le président français François Hollande et le premier ministre italien Matteo Renzi ont fait part de leur identité de vue aussi bien sur la menace que représente la poursuite de la déliquescence de la Libye, « aux portes de l’Europe », que sur la nécessité de rassembler la communauté internationale à son chevet pour une solution « qui ne peut être que politique ». Donc, laisser l’option de la guerre loin dans les garnisons et ouvrir les voies du dialogue.

Dialoguer, mais avec qui ?

La Libye est aujourd’hui fractionnée en autant de territoires contrôlés par des tribus qui semblent avoir chacune sa milice. Benghazi fait la guerre à Tripoli ; Syrte au reste du pays. Dans une action d’ensemble pour contrer le djihadisme, colmater une brèche en Libye par l’organisation d’un forum national pourrait apaiser la Libye, mais quid  des activités d’un Boko Haram au Nigéria ? Quid des Shebabs somaliens qui, cette semaine encore, ont menacé de marcher eux aussi sur l’Italie et l’Europe ? Boko Haram, lui, s’est « seulement » contenté de promettre de perturber les élections programmées pour fin mars dans le pays le plus peuplé d’Afrique et déjà reportées une première fois, le 14 février dernier.

L’Afrique Centrale, on l’a vu, a réagi en réunissant les Etats de la sous-région en un sommet déterminé, le 16 février dernier à Yaoundé, au Cameroun. Les pays ont décidé de mettre sur pied un fonds de 50 milliards de francs CFA et de mobiliser une force militaire de 8700 hommes contre Boko Haram. Mais, dans le contexte d’une nébuleuse en expansion, une telle mobilisation ne vise, là aussi, que le mouvement nigérian, qui n’est pas le seul sur le continent.

Le monde s’interroge et recherche les moyens efficaces pour contrer une menace qui semble l’avoir pris au dépourvu. Pourtant depuis les attentats contre les tours jumelles de Manhattan, aux Etats-Unis le 11 septembre 2001, les fondamentalistes avaient clairement annoncé la couleur. Du reste, pour spectaculaires qu’ils aient été, ces attentats n’étaient pas les premiers ! Beaucoup de questions donc ; des tâtonnements, mais une chose certaine : contrer la menace terroriste passera peut-être par les armées, mais pas seulement.

Lucien Mpama