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La nouvelle équation stratégique mondiale

Lundi 7 Juillet 2014 - 12:02

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Des mois et des années d’observation attentive débouchent finalement sur la conclusion que trois grandes puissances, et trois seulement, dominent désormais le monde: les États-Unis, la Chine et la Russie. L’Inde, qui devrait être placée dans ce petit groupe de nations étant donné son poids humain, ne semble pas décidée à jouer, du moins pour le moment, un rôle notable sur le plan stratégique ; quant à l’Europe, elle chemine si lentement sur la voie de son unité politique qu’elle restera longtemps encore à la remorque des États-Unis dans toutes les grandes affaires.

Comment les trois « Grands » pèseront-ils sur le monde dans les décennies à venir ? Sans lire dans le marc de café et en s’en tenant simplement aux évidences présentes l’on peut répondre à cette question, sommairement cela va de soi, de la façon suivante :

  1. La Chine va certainement poursuivre, sinon même accélérer, sa marche en avant et, du même coup, accentuera les pressions qu’elle exerce déjà dans le but de rééquilibrer les relations internationales. On la verra donc augmenter les moyens qu’elle déploie pour sécuriser son territoire, notamment sur le plan maritime, renforcer son influence en Asie comme hors d’Asie – tout spécialement en Afrique dont elle a été la première à comprendre et à accompagner l’évolution –, imposer progressivement sa monnaie comme instrument d’échange et de réserve sur les marchés mondiaux, accentuer les pressions qu’elle exerce déjà pour obtenir un rééquilibrage, en sa faveur, de la gouvernance mondiale. Dans le même temps, il lui faudra cependant faire face aux revendications d’une population au sein de laquelle émerge une puissante classe moyenne dont les exigences finiront sans doute par ébranler le pouvoir politique très concentré qui la gouverne. Sa stabilité intérieure, et donc sa capacité d’action extérieure, dépendront de la façon dont ses dirigeants présents et à venir organiseront le passage d’une certaine forme d’autocratie à une certaine forme de démocratie.
  2. La Russie a clairement entrepris de panser les plaies ouvertes dans sa chair par la décomposition brutale de l’Union soviétique il y a vingt-cinq ans. Que cela plaise ou non aux Occidentaux, Vladimir Poutine et ses successeurs continueront à cheminer résolument sur cette voie même si cela provoque ici et là des crises avec ses voisins. L’on peut donc s’attendre à ce que les tensions avec l’Europe et les États-Unis s’accroissent dans les mois à venir ; pas seulement en Europe de l’Est, mais peut-être aussi avec la Chine comme ce fut longtemps le cas dans des régions de l’Extrême-Orient où les intérêts des deux puissances divergeaient et continuent, quoiqu’elles prétendent, de diverger. Même si ce n’est pas le cas aujourd’hui, où la remise en ordre intérieure constitue une priorité pour les dirigeants du Kremlin, le temps viendra où la Russie, débarrassée du fardeau dogmatique qui la plombait, se préoccupera d’accroître sa présence sur les régions du monde en plein développement, l’Afrique tout particulièrement. Aussi la verra-t-on probablement peser de tout son poids pour qu’une place plus grande soit faite aux pays émergents dans les institutions de la gouvernance mondiale.
  3. Les États-Unis, eux, vont passer par une phase délicate qui consistera pour leurs dirigeants à cesser de considérer qu’ils sont les gendarmes du monde. Leur système économique libéral ayant démontré son efficacité même s’il engendre des dérives dangereuses sur le plan financier, les Américains vont devoir compter avec les deux grandes puissances qui émergent ou ré-émergent en copiant ce système, mais qui n’entendent pas laisser les États-Unis intervenir comme ils l’ont fait dans les dernières années en fonction de leurs seuls intérêts. Ainsi, probablement, va s’engager au plan international une partie de bras de fer, ouverte mais également souterraine, dont certaines péripéties – au Proche et au Moyen-Orient notamment – risquent de faire peser de sérieux risques sur la paix du monde. Étant donné le poids humain, économique, financier, militaire des deux autres « Grands », il ne fait aucun doute que les hôtes à venir de la Maison Blanche devront faire preuve d’une sagesse  accrue dans leur approche des réalités internationales.

Que conclure de tout ceci ? Simplement, ici à Brazzaville, que l’Afrique et les Africains ont aujourd’hui dans les mains des cartes maîtresses pour tirer le meilleur parti de la nouvelle partie d’échec qui s’engage entre les grandes puissances.

Jean-Paul Pigasse

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

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