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La paix et la culture

Samedi 13 Décembre 2014 - 15:48

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Vivant à cheval sur deux continents, l’Afrique et l’Europe, je voudrais apporter au débat sur la paix et la culture (1) la réflexion suivante : l’homme est aujourd’hui plus que jamais un loup pour l’homme ; il se laisse volontiers aller à ses plus bas instincts et la croyance déviée en un être suprême le conduit toujours aux pires violences. Si donc l’on veut conduire une vraie « Réflexion sur la paix et la culture », il convient d’abord de prendre en compte cette triste réalité et de la placer au cœur de nos réflexions pour voir s’il est possible, dans le monde moderne, de lutter efficacement contre l’instinct de mort inhérent à la nature humaine.

Avant d’aller plus loin, il me semble nécessaire de souligner ce fait, évident, que l’abolition du temps et de l’espace engendrée par le progrès technique dans les dernières décennies n’a modifié en rien, et ne modifiera nullement à l’avenir, ce comportement suicidaire. Bien au contraire, elle ne cesse de l’aggraver comme on le constate dans différentes parties du monde où les techniques les plus modernes deviennent de puissants instruments au service de l’extrémisme. En témoigne, de façon accablante, le rôle croissant que jouent Internet et les réseaux sociaux dans le recrutement et la formation des djihadistes, mais aussi dans la mise au point des armes et des outils de destruction.

En réalité, plus la science et la technologie avancent plus le danger de l’inhumanité grandit au sein de notre espèce. Le tout, bien sûr, au nom de Dieu, d’Allah et de Yahweh. Nous avons sous les yeux deux preuves que l’intolérance, le fanatisme, la violence à l’état brut figurent  plus que jamais parmi les  ressorts de l’activité humaine. La première est la guerre sans merci que se livrent les Islamistes radicaux au Proche et au Moyen Orient ; la deuxième surgit des terribles dérives sur lesquelles débouche en Afrique centrale l’affrontement entre Musulmans et Chrétiens.

Je ne connais pas suffisamment les causes et les modalités du premier conflit pour en parler ici, mais je connais bien en revanche le second puisqu’il se déroule à proximité immédiate du lieu où je travaille, c’est-à-dire le Congo, et que la plus haute autorité de ce pays est le médiateur africain de cette crise. De plus, j’ai la chance de dialoguer régulièrement avec les hommes qui s’impliquent dans la recherche d’une solution à ce conflit. Je peux donc livrer les quelques clés que voici :

1- Un peuple peut rester longtemps en paix avec lui-même et se retrouver brutalement plongé dans la violence la plus extrême. Voyez comment les Musulmans et les Chrétiens de la Centrafrique en sont venus à se détruire alors que depuis des décennies ils vivaient en bonne intelligence.

2 -Au cœur de ces conflits se trouve toujours la religion, ou plutôt une conception extrémiste de la religion, qui prolifère sur des sociétés pauvres, mal protégées contre leurs propres excès, et que des factions politiques manipulent dans l’espoir d’accéder ou de rester au pouvoir.

3- Le manque de culture et l’ignorance, mais aussi la peur, sont utilisés comme des armes par les extrémistes qui savent parfaitement comment on parvient à prendre le contrôle d’une population sans défense qui lutte pour sa survie et ne perçoit donc pas comment on la manipule.

4- À ces raisons, il faut ajouter le manque de vigilance des autorités politiques mais également des autorités religieuses qui ne perçoivent pas les signes annonciateurs des massacres à venir et ne s’en préoccupent que lorsque le pire est en train de se produire.

Qu’il me soit permis d’évoquer à ce propos l’expérience que j’ai vécue avec un Père jésuite, il y a un peu plus d’un an, lorsque nous nous sommes rendus à Rome informer les autorités de l’Église de ce qui se préparait à Bangui et en Centrafrique. Nous avons alors décrit de façon très précise ce qui se passerait dans les semaines à venir si l’Église ne s’engageait pas fermement au côté des autorités africaines et nous avons été écoutés avec attention. Mais ce cri d’alarme n’a pas été répercuté sur le terrain, comme il l’aurait dû l’être, et la suite des évènements a prouvé que si nous avons eu raison de tirer la sonnette d’alarme ce geste n’a rien empêché.

Ceci prouve à mon sens que les esprits ne sont pas prêts, y compris chez nous et quoi que l’on dise, à admettre la vérité selon laquelle le pire est toujours à craindre lorsqu’une société se délite. À admettre aussi que sur ce plan, le monde moderne n’est pas différent de l’Antiquité et du Moyen-âge (à suivre).

 

  1. Cette réflexion a été présentée le 12 décembre au Centre de la Conférence des évêques de France, à Paris, lors de la « Conférence internationale sur la paix et la culture » organisée par l’Institut Robert Schuman pour l’Europe.
Jean-Paul Pigasse

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Édition Quotidienne (DB)

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