Le pape est rentré d’une visite historique en Arménie

Lundi 27 Juin 2016 - 18:34

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Encore une visite chargée de symboles : le chef de l’Eglise catholique a séjourné pendant trois jours en Arménie, premier pays chrétien de l’histoire.

Les trois jours du voyage pontifical en Arménie ont été lourdement chargés de symboles, au point où la presse occidentale titrait lundi sur son côté historique. Mais quelle visite du pape argentin n’est pas historique ces jours-ci, lui qui part partout non pas en catholique mais surtout en bâtisseur de ponts, en intermédiaire de réconciliations ou en chantre de l’écologie ! Le pape retient, en effet, que les bouleversements climatiques, conséquences d’un environnement saccagé, ne font aucune différence entre les races et les religions dans le monde.

Depuis novembre dernier, le pape a visité quatre pays ou continents ; quatre réalités qui n’ont rien à voir les unes aux autres aussi si ce n’est la présence partout de populations vivant des situations difficiles, mais qui ne se réduisent pas toutes en termes de pauvreté matérielle. En novembre, au Kenya, il avait visité un bidonville à Nairobi ; le sanctuaire des martyrs africains en Ouganda et il avait terminé ce premier périple africain en venant inviter à Bangui les frères ennemis de Centrafrique à se parler de nouveau.

Le mois de février de cette année l’a vu en route pour le Mexique, pays fortement catholique certes, mais marqué par une violence et un trafic de drogue à vaste échelle.  Mais ce voyage avait été aussi celui de la mémorable escale cubaine – qui n’avait pas été prévue dans le protocole – au cours de laquelle il avait rompu plus de 1000 ans de bouderie entre catholiques et orthodoxes russes en serrant la main de Krill (Cyrille), le patriarche de Moscou et de toute la Russie.

Le mois dernier, le Souverain pontife a rendu visite à des réfugiés syriens sur l’île grecque de Lesbos. Le geste humanitaire, rehaussé par le fait qu’il a ramené dans son avion 12 familles syriennes – musulmanes – au Vatican avait été souligné, mais aussi le côté fortement symbolique de ce séjour dans un pays traditionnellement terre d’une sourcilleuse influence orthodoxe. Le pape avait visité les réfugiés en compagnie de son « homologue », le patriarche de l’Eglise grecque-orthodoxe. Le catholique et l’orthodoxe s’étaient mis d’accord dans une démarche qui ne veut plus séparer les chrétiens dans leur mission commune d’accueillir et d’aider les étrangers. Cela avait renforcé un peu plus les relations entre les deux Eglises.

Ainsi, la visite en Arménie (vendredi, samedi et dimanche) a participé là aussi à ce rapprochement des positions devenu la marque du pontificat en cours. L’Arménie possède sa propre Eglise, l’Eglise arménienne-catholique, et son propre patriarche (il est appelé Catholicos), Karékin II. Mais il existe une coopération assez normale avec les catholiques. Aussi, n’est-ce pas tant sur le plan théologique que cette visite est historique, mais dans la prise de position ouverte du chef de l’Eglise catholique en faveur des « frères arméniens qui ont enduré le premier génocide de l’histoire ». Et c’est cela qui a été largement commenté durant le week-end (voir encadré).

 Au pied du mont Ararat où se serait posé, selon la tradition orale l'Arche de Noé et aujourd'hui en territoire turc, le pape a choisi un lieu symbolique pour conclure sa visite. Ce quatorzième voyage du pontife romain à l'étranger aura été tout au long de ses trois jours dominé par la mémoire des tueries qui ont fait, selon les Arméniens, 1,5 million de morts sous l'Empire Ottoman, et bâtit « une Eglise de martyrs », selon le pape romain. En ajoutant dès son arrivée vendredi le mot fatidique de « génocide » à un discours où il n'était pas prévu, le pape François a remué du monde qui, pour s’en réjouir, qui pour s’en irriter.

Génocide

La Turquie a été froissée par le fait que le pape François ait prononcé les mots « génocide arménien » durant son séjour à Erevan, la capitale de l’Arménie, le week-end dernier. Ankara a jugé « très malheureux » que le chef de l’Eglise catholique se soit cru obligé d’endosser cette expression, à un moment où la Turquie maintient une ligne de fermeté sur ce trait de l’histoire. D’ailleurs son ambassadeur au Saint-Siège a été depuis que le pape François avait prononcé une première fois le terme décrié au Vatican, en 2015.

« Il ne s'agit pas d'une déclaration objective conforme à la réalité. Il est possible de voir toutes les marques et les réflexions caractéristiques de la mentalité des Croisades dans les activités du pape », a sévèrement réagi le vice-Premier ministre turc, Nurettin Canlikli, samedi soir. Croisade ? Le terme a fait tilt au Vatican où il renvoie à la phraséologie dépréciative habituelle employée par les islamistes et remis au goût du jour par les djihadistes de l’Etat islamique.

Le pape « ne fait pas de croisades » (ces guerres chrétiennes menées contre des musulmans en Orient à partir du 11è siècle, Ndlr). Le pape n’a pas « prononcé un mot contre le peuple turc », tant il est occupé à poser les « fondements pour la paix et la réconciliation », a répondu le porte-parole du pape, le jésuite Federico Lombardi. Une crise de plus ?

Rappelons que le génocide arménien désigne les massacres massifs que les Ottomans (les Turcs) perpétrèrent contre le peuple arménien en 1915. La Turquie a toujours soutenu que ces massacres, du fait qu’ils intervenaient dans un contexte de guerre et concernaient aussi les Ottomans, ne peuvent être qualifiés de génocide, c’est-à-dire la volonté politique, idéologique ou religieuse de vouloir l’élimination d’une race en raison de ses origines ou de ses convictions.

Suscitant à chaque fois la colère d’Ankara, près de 25 Etats dans le monde ont pourtant officiellement reconnu le génocide arménien (parmi lesquels 43 des 50 Etats qui composent les Etats-Unis d’Amérique). Les deux derniers à l’avoir fait sont l’Autriche et surtout l’Allemagne (avril 2015), un pays qui accueille une forte communauté turcomane et qui entretient des liens économiques puissants avec Ankara.

Lucien Mpama

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