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Le Pape François face à la technocratie de l’Église

Samedi 27 Décembre 2014 - 13:02

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La bataille qui se livre ces derniers temps au sein de la Cité du Vatican, entre les Anciens et les Modernes, sera décisive pour l’Église catholique. Ou bien, en effet, elle ancrera cette vénérable institution dans l’immobilisme qui lui a fait tant de mal dans les dernières décennies, ou bien elle lui permettra de s’adapter aux conditions du temps présent et de retrouver ainsi une nouvelle jeunesse. Dans le premier cas, elle accélèrera son déclin ; dans le second cas, elle lui redonnera l’élan qu’elle a perdu au fil du temps.

Disons-le, au risque de choquer les âmes sensibles qui lisent ces quelques lignes, le Pape François n’est pas du tout certain de l’emporter. En témoignent avec éloquence, les termes pour le moins brutaux qu’il a utilisés, le 22 décembre, pour dénoncer les maux qui minent la Curie romaine, autrement dit le gouvernement de l’Église : « Alzheimer spirituel », « schizophrénie existentielle », « pétrification mentale et spirituelle », « terrorisme  du bavardage », « maladie du visage funèbre » …

Pour les observateurs qualifiés de la scène vaticane, membres eux-mêmes de la Curie et donc très bien placés pour mesurer l’importance des obstacles à franchir pour réformer l’Église de Pierre, il ne faisait aucun doute que le nouveau Pontife se heurterait très vite à l’immobilisme d’une grande partie de cette vénérable institution. Certains disaient même, de façon prémonitoire, que le pape François n’aurait le choix qu’entre se soumettre comme son prédécesseur aux diktats de la technocratie vaticane, ou de provoquer une révolte interne qui conduirait à l’éviction des opposants les plus irréductibles. Et c’est bien à ce scénario que nous assistons aujourd’hui.

Un scénario dont nul ne peut dire ce qu’il sortira étant donné, d’une part, la détermination du successeur de Benoît XVI et, d’autre part, la volonté de ses opposants de refuser toute réforme qui diminuerait leur pouvoir au sein de l’Église.

Venu d’un pays du tiers-monde, l’Argentine, qui connut les pires tragédies et prélat d’une capitale, Buenos Aires, où il vécut en contact étroit avec les classes les plus défavorisées, le pape François connaît, mieux que personne, l’enjeu de la bataille dans laquelle il plonge aujourd’hui. Il sait se battre et dispose de troupes aguerries, à commencer par la Compagnie de Jésus dont il est membre. Mais il n’a probablement pas mesuré la véritable puissance des clans qui se dressent contre lui et, surtout, il n’a pas apprécié la pesanteur d’une machine administrative que dominent plus que jamais les prélats italiens, lesquels n’ont certainement pas l’intention de se laisser dépouiller de leurs prérogatives séculaires par un homme venu du Sud lointain.

Avant d’être une institution divine, l’Église catholique, ne l’oublions pas, est d’abord une communauté humaine au sein de laquelle se livrent des combats sans merci pour le pouvoir. Même si les valeurs qui l’inspirent sont la croyance en l’au-delà, en l’humilité, la fraternité, la solidarité, la compassion, la nature profonde de l’homme en fait une sphère où se livrent d’âpres luttes de pouvoir. Et rien, aujourd’hui, ne permet de dire qui, du meilleur ou du pire, l’emportera.

La seule certitude que l’on puisse avoir en cet instant très particulier où le pape François tente de répondre aux attentes des centaines de millions de fidèles répandus sur les cinq continents est qu’il donne enfin une suite concrète aux espoirs formulés de façon anonyme, ces dernières années, par un petit groupe d’évêques et de cardinaux dans deux livres qui firent grand bruit (1). Si Dieu lui prête vie, et s’il a le courage d’aller jusqu’au bout de la logique qui l’anime, l’Église catholique changera à coup sûr de visage.  

C’est, de notre point de vue en tout cas, ce qu’il faut lui souhaiter de mieux.

Jean-Paul Pigasse

 

  1.  Olivier Le Gendre : « Confessions d’un Cardinal » (Éditions J.C.Lattès 2007), « L’espérance du Cardinal » (Éditions J.C. Lattès 2011).
Jean-Paul Pigasse

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Édition Quotidienne (DB)

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