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Les blessures de l'Histoire

Samedi 23 Juillet 2016 - 16:01

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L'erreur que trop d'analystes commettent dans le moment présent est de croire que l'époque moderne a guéri les blessures ouvertes sur les cinq continents tout au long de l'Histoire. Croyant que le passé est, sinon oublié, du moins relégué à l'arrière-plan des préoccupations des peuples comme de leurs dirigeants, ils ont du mal à comprendre pourquoi de nouvelles tensions se font jour entre des nations que leur intérêt immédiat devrait amener à coopérer sans arrière-pensées et qui, bien au contraire, s'enferment une fois de plus dans des procès réciproques d'où ne peuvent surgir que de nouveaux conflits.

En voici trois exemples tirés de l'actualité immédiate.

Premier exemple : le Brexit européen. Le retrait de l'Union Européenne, voté par les Britanniques il y a quelques semaines, semble ne résulter que de considérations économiques. Il reflète, en réalité, une méfiance croissante de la population anglaise envers des nations qui, dans le passé proche et lointain, n'ont pas cessé de s'affronter les armes à la main, déclenchant par deux fois des guerres mondiales destructrices. Et, de ce point de vue, l'influence croissante de l'Allemagne face à la France au sein de l'UE n'est certainement pas étrangère à la défiance qui grandit outre-Manche envers une communauté qui, loin de s'unir comme le voulaient les Pères de l'Europe, semble sur le point de se disloquer. Aussi fou que cela paraisse les bombardements de Londres par la Luftwaffe sont toujours présents dans la mémoire des Anglais et rien ne les effacera.

Deuxième exemple : la crise qui se développe entre la Russie et les puissances occidentales. Elle résulte de la perception que les autorités russes ont de l'insertion des pays de l'Est européen dans la communauté européenne au cours des deux dernières décennies. Même si Vladimir Poutine ne le dit pas de façon aussi brutale il voit dans cette insertion et dans le déploiement simultané de l'Otan à ses frontières la volonté des Etats-Unis, de l'Allemagne, de la France d'empêcher la reconstitution de ce que furent hier l’empire russe puis le bloc soviétique. Il considère, comme nombre de ses compatriotes que l'Europe, n'ayant pas réussi à s'unifier, les errements qui débouchèrent sur les deux guerres mondiales peuvent fort bien se reproduire et, par conséquent, il s'emploie à prévenir un nouveau choc en élevant une barrière stratégique entre l’Est et l’Ouest. Ainsi s’expliquent l’annexion de la Crimée et la guerre du Donbass en Ukraine, ou le renforcement de la présence militaire russe en Mer Baltique.

Troisième exemple : les tensions grandissantes en Mer de Chine méridionale. Alors que Pékin fait valoir, à juste titre, que les chaines d'ilots sur lesquelles l’armée chinoise construit des bases militaires lui appartiennent depuis des siècles, les Etats-Unis, le Japon, les Philippines y voient, quant à eux, la volonté affichée de mettre sous tutelle l'ensemble de la région. Ils oublient simplement que la Chine a payé au prix fort la domination coloniale par les nations européennes et, plus près de nous, l'agressivité du Japon ; s’ils s’en souvenaient ils comprendraient que jamais plus les dirigeants chinois ne laisseront se reproduire les terribles violences dont leur pays fut à maintes reprises la victime pour n'avoir pas su anticiper les drames à venir. Alors que le Japon semble vouloir aujourd’hui modifier sa Constitution afin de se réarmer, une telle réaction n'a rien de surprenant ; elle est, si l’on peut dire, tout à fait logique et ira jusqu’à son terme quelle que soit la posture prise par les Américains, les Japonais et les Philippins

Conclusion de ce qui précède : le monde de 2016 n'est guère différent du monde de 1914, du monde de 1939, du monde des années soixante. Certes, il n'est apparemment pas au seuil d'un nouvel affrontement planétaire, mais la non prise en compte par ses dirigeants présents des blessures de l'Histoire pourrait le plonger à plus ou moins long terme dans des crises tout aussi graves, sinon même plus, que celles du passé.

Mieux vaudrait pour les dirigeants des grandes puissances en prendre conscience avant que se produisent des errements que les progrès technologiques réalisés dans les dernières décennies rendraient infiniment plus destructeurs.

 

 

Jean-Paul Pigasse

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