Littérature : les romans africains de la rentrée 2018

Samedi 18 Août 2018 - 12:16

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Cette semaine, nous continuons notre exploration des ouvrages africains qui paraîtront lors de cette rentrée littéraire, en vous présentant deux nouveaux romans.

« Empreinte de crabe » de Patrice Nganang chez J.C Lattès

Pour son grand retour dans les cercles littéraires après trois années de disette, l’écrivain camerounais, Patrice Nganang, publie chez J.C Lattès un roman-fleuve de cinq cents pages intitulé "Empreinte de crabe", qui paraîtra fin août. Dans ce roman foisonnant, l’auteur nous emmène au pays Bamiléké à l’ouest du Cameroun dans les années 1960 quand, après l’indépendance, une guerre civile le ravageait. Dans ce roman non linéaire on retrouve Nithap, le personnage principal, aux États-Unis chez son fils qui ne connaît pas grand chose de sa vie.

C’est la première fois que Nithap, alias Vieux-Père, rend visite à son fils installé aux États-Unis. Il a accepté de quitter Bangwa, à l’ouest du Cameroun, cette ville où il a toujours vécu, où il est devenu infirmier, où il a connu la guerre, où il est tombé amoureux, où ses enfants sont nés. Mais le séjour se prolonge : Nithap est malade et son fils veut le garder auprès de lui. À  40 ans, celui-ci refuse que son père se laisse mourir. Il entend connaître enfin cet homme si secret auprès duquel il a grandi. Alors la voix de Nithap s’élève et remonte le temps pour raconter ce que son fils n’a pas vécu et dont personne ne parle ni ne veut se souvenir, cette guerre civile qui a déchiré le pays au temps de l’indépendance, ses soldats, ses martyrs. Le fils écoute le père, l’histoire de sa famille et la prière de cette terre devenue sanglante.

De New York au pays Bamiléké, les voix se mêlent, le temps n’existe plus, les époques se confondent. Patrice Nganang, dans ce grand roman, fouille les mémoires, raconte des vies bouleversées par la guerre ou l’exil et un pays où le passé est une douleur, le présent un combat, où chacun cherche sa liberté.  Ce roman aide à comprendre le Cameroun d’aujourd'hui en nous racontant cette guerre civile dont on ne parle presque pas.

« Je suis quelqu’un » d’Aminata Aidara paraîtra chez Gallimard

Dans ce premier roman à paraître également fin août dans la collection Continents noirs (Gallimard) spécialisée dans les littératures africaines et afro-diasporiques de manière générale, Aminata Aidara nous livre un récit familial entre la France, le Sénégal et dans une moindre mesure l’Italie dans une langue richement poétique, tendre, lucide et parfois politique. Dès les premières pages, on entre dans une intrigue familiale avec la révélation d’un secret par le père à sa fille Estelle : la naissance d’un enfant illégitime « Le fils de l’autre ».

L’arbre généalogique qui figure au début du roman pourrait nous faire croire qu’on va alors être happé par une grande saga familiale mais on s’arrête de manière non fortuite sur Estelle, la dernière de la fratrie et sur sa mère Penda. Leurs voix qui s’alternent au gré des parties du roman nous mènent sur leur chemin interne nécessaire à endurer pour démêler les souvenirs, les fantasmes, les obsessions marquées parfois par les séquelles de la grande Histoire. On y côtoie, d’ailleurs, de grands auteurs des réflexions postcoloniales comme Achille Mbembe, Felwine ou Frantz Fanon pour qui Penda voue une grande admiration. Ce secret qui fait la honte de la famille travaille les protagonistes de manière différente selon les problématiques qu’elles ont à régler pour leur permettre un nouveau départ.

Le récit est en grande partie épistolaire, les personnages communiquent par lettres, mails, dans un journal intime. Ils se parlent à eux-mêmes ou s’adressent à un destinataire muet. Ils se mettent face à leurs contradictions, leurs appréhensions, leurs blessures de façon franche et directe. La lettre, d’ailleurs, donne chair aux introspections en marche, aux interrogations en mouvement. Ainsi, la parole a ici un pouvoir de guérison. L’auteure nous livre de belles correspondances d’une poésie envoûtante. "Je suis quelqu’un" sonne comme une affirmation de soi. Beaucoup de personnages du roman habitent la frontière que l’Histoire a emplie d’absurdes séparations.

Avec ce premier roman à l’écriture maîtrisée, l’auteure sénégalaise fera certainement une entrée remarquée dans le cercle des écrivains lors de cette rentrée littéraire.

 

Boris Kharl Ebaka

Légendes et crédits photo : 

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