Opinion

  • Réflexion

Loango lieu de mémoire africain

Samedi 22 Novembre 2014 - 7:30

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel


S’il est une erreur que les Africains ne doivent pas commettre aujourd’hui, c’est bien celle de laisser aux peuples qui les colonisèrent le soin d’écrire la véritable histoire des siècles de galère qu’ils vécurent et plus encore de leur confier la lourde tâche d’élever les lieux de mémoire qui relateront ces tragédies. Se réapproprier le passé, ne pas laisser à des étrangers le soin de le faire revivre est certainement l’un des devoirs les plus sacrés que les générations présentes doivent s’imposer.

Pourquoi ce rappel de simple bon sens ? Tout simplement parce que le bruit court avec insistance, à Brazzaville comme à Paris, que l’édification du Mémorial de Loango, sur la côte congolaise du Golfe de Guinée, sera confiée à des architectes étrangers au continent africain. Une rumeur qui paraît fondée même si, semble-t-il, aucun appel d’offres public n’a été lancé pour ce grand projet et aucune décision n’a été prise officiellement.

Loango, faut-il le rappeler, est de tous les lieux où sévit, pendant plusieurs siècles, la traite négrière, celui qui vit se dérouler le plus de drames, se perpétrer le plus d’atrocités, se commettre le plus de crimes contre l’humanité. C’est, en effet, de ce port naturel situé à quelques encablures de Pointe-Noire que partaient les sinistres navires qui emmenaient dans leurs cales, vers la lointaine Amérique, des dizaines, des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants arrachés à leur terre natale. C’est donc bien là que s’est commis, dans l’indifférence générale, l’un des plus longs et des plus terribles crimes que l’humanité ait vécu depuis la nuit des temps.

Bien plus encore que Gorée au Sénégal, Loango demeure le témoin vivant du drame qui ravagea l’Afrique noire, l’empêchant d’émerger comme elle aurait pu le faire si des trafiquant sans foi ni loi, venus de la lointaine Europe, n’avaient pas détruit ses villages, pillé ses ressources naturelles, déporté ses fils et ses filles, anéanti la vie sur d’immenses étendues. C’est à tous égards un lieu sacré.

Alors que le Bassin du Congo, ayant surmonté ces terribles blessures, devient l’une des parties du monde les plus vivantes, les plus actives, il est temps, effectivement, d’écrire sa véritable Histoire et l’on sait gré aux autorités du Congo de s’en préoccuper activement. Mais de la même façon que celles-ci confièrent à des Congolais le soin d’élever le Mémorial Pierre Savorgnan de Brazza, en plein  cœur de Brazzaville, elles devraient charger des spécialistes africains de mener à bien le dessein aussi noble qu’ambitieux du Musée de la traite négrière à Loango. Elles marqueraient ainsi de façon claire que ce projet ne se borne pas à une œuvre architecturale, mais a pour but d’écrire enfin l’Histoire de l’Afrique centrale telle qu’elle fut vécue par les générations antérieures. Elles iraient aussi jusqu’au bout de leur propos qui est de rendre enfin l’Afrique maîtresse de son destin passé, présent et futur.

Il est probable, pour ne pas dire certain, qu’un semblable propos suscitera, ici et là, de vives réactions étant donné l’ampleur du projet, donc du marché, que constituera l’édification du Musée de Loango. Mais à ceux qui seront tentés de les formuler, nous ne saurions trop conseiller de bien réfléchir à l’enjeu que représente dans le monde actuel l’édification d’un tel mémorial. Arpenté demain par des millions de visiteurs venus des cinq continents, le monument ne révèlera pas seulement l’ampleur des drames qui se jouèrent à Loango ; il démontrera aussi que les architectes africains sont tout aussi capables, sinon même plus, de les relater que leurs homologues européens.

Il est temps, c’est en tout cas notre intime conviction, que l’Afrique écrive son Histoire sans l’aide de personne. Dans la pierre, le béton et le verre tout autant que sur le papier, en sons et en images, elle démontrera ainsi que le temps du servage de la colonisation, de la soumission est bien révolu.

 

 

 

 

Jean-Paul Pigasse

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

Réflexion : les derniers articles