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Luambo Makiadi Franco

Vendredi 10 Novembre 2017 - 12:21

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Tout a été dit, le mois dernier, à l’occasion du 28e anniversaire du  décès, un 12 octobre de l’année 1989, de Luambo Makiadi Franco, ce géant de la musique congolaise et africaine. Que dire de plus, sans tomber dans le cliché ou dans des lieux communs mille fois ressassés, au risque de radoter !

Franco est né à Sona Bata, le 6 juillet 1938,  d’une mère ne-kongo et d’un père tétéla. Jusqu’à sa mort, il a eu une relation privilégiée avec sa maman, Makiese. À son arrivée à Léopoldville, en compagnie de cette dernière, il fait un passage anecdotique à l’école de Léo 1 (Kintambo actuellement). Enfant de la balle, il a appris, seul, la musique, avant de rencontrer deux précepteurs, Luampasi et Dewayon Ebengo. Artiste devenu, il exerce à fond son métier et devient le pilier de sa famille.

Franco a longtemps été l’inspirateur de la musique congolaise de la rive gauche du fleuve Congo. Rochereau me confiait en 1991, à Paris, autour d’un bon couscous, à la Place de Clichy, qu’il s’inspirait des œuvres de Franco pour créer les siennes. Pour s’en différencier, il les mitonnait à la sauce African jazz. Quand Luambo fait le grand saut final, la muse de nombre de créateurs kinois  tarit brutalement à Kinshasa. Pas seulement. À Brazzaville, Youlou Mabiala, qui était l’antithèse de Franco, prenant, au cours des vingt dernières années de Franco sur terre, le contre-pied de ses compositions en fit les frais. Carte Postale et  Hélène, pour ne citer que ces deux titres, ont leur source dans des œuvres de Luambo Makiadi. Il a poussé son mimétisme à rebours au point d’adopter les mêmes titres pour ses chansons,  comme dans le cas de Mamou. On le sait, après la mort de Franco, tous les albums de Youlou ont été des fiascos, jusqu’à la sortie de Dona Beija et le titre à succès  Point final, paru chez « Sonia », mon label d’édition. Franco était très attaché à la musique du terroir  qui imprégnait l’ensemble de son œuvre. Ses chansons, à l’instar de Luvumbu ndoki, entrent dans le cadre de ce que Sylvain Bemba appelait : la refolklorisation de la musique congolaise moderne. Il a ouvert la voie à des artistes comme Nyoka Longo Jossart.

Deux ans avant sa mort, j’ai passé chez lui, à Limété, une mémorable après-midi qui s’est achevée au Faubourg, bar dancing de Kinshasa. Au cours de ces agapes, il m’est apparu comme un homme obsédé par l’idée de la mort. À un moment de la conversation, il m’interpella : « Mbuta Fylla, soki okufi na moyi ya boyé oko pola noki ! », nous en  avons rigolé. Que venait faire cette observation macabre au cours d’un plantureux repas ? Lui seul le savait. Youlou, qui l’a côtoyé longtemps, au cours de nos conversations, revenait sur les manifestations phobiques de Franco au sujet de la mort. Il me racontait que lorsque ce dernier croisait un corbillard, il détournait son visage et s’adressant à ce véhicule de malheur et de mort, pour faire rire, disait : «corbillard,  ko mema ngai té ! ». Franco me donnait  « l’impression d’une résignation joyeuse et désespérée de ce qui advient ». Jusqu’à sa mort, je n’ai jamais compris pourquoi la perspective de ses 50 ans l’intriguait tant. Il est décédé, juste après avoir atteint cet âge fatidique, à 51 ans. Prémonition ? Nul ne le sait.  Franco, un bout-en-train qui aimait la vie, et particulièrement, la bouffe, était  un homme orchestre : guitariste, auteur-compositeur prodigieux, chanteur, animateur et éditeur. Il était le plus fécond de sa génération, loin devant Rochereau et ses quelques trois chansons dûment répertoriées. Franco, c’est le génie à l’état pur de la musique congolaise moderne du 20e siècle, un siècle qu’il a profondément marqué de son empreinte. Mario, dans un répertoire foisonnant, est le titre qui a récolté le plus de lauriers et l’a statufié vivant. Une autre de ses chansons, Polo,  fait le buzz sur la téléphonie mobile où elle est utilisée en guise de sonnerie d’appel. Polo, ainsi désigné par Vicky Longomba, alors que Franco cherchait un titre pour sa nouvelle chanson, est un clin d’œil à un ami de Ganga Edo, qui gravitait autour de l’Ok Jazz. Alors que le dernier des Mohicans, Edo Ganga, fondateur de l’Ok Jazz, des Bantous, des Nzoïs, etc., a  fêté ses 84 ans, le 27 octobre dernier,  Mokoko Paul, le fameux Polo,  vient de quitter la vie en ce  début du mois de novembre. Depuis de nombreuses années, il avait regagné son Congo natal, après avoir bourlingué à Kinshasa. Faya Tess, chanteuse kinoise,  installée à Paris,  a fait une reprise de la chanson Polo, qu’il faut écouter.

Grâce à son intelligence empathique, Franco a pris le pouvoir par les mots dans une société qui en est friande. Il a ainsi accédé à l’éternité musicale, à l’éternité tout court. Luambo est l’éclatant symbole de la réussite. Il est possible de  partir de rien et réussir sa vie et dans la vie, à condition, comme disait le vieux sage Sénèque, de  savoir où l’on va. Le 12 octobre 1989, c’est une page de la musique congolaise des deux rives qui s’est définitivement tournée. L’Afrique ne danse plus uniquement au rythme du Congo. Les vrais héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit.                                                                                                                         

Mfumu

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