Lybie : trois ans après la chute de Kadhafi, le chaos perdure

Mercredi 30 Juillet 2014 - 19:05

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Le 20 octobre 2011, lorsque Mouammar Kadhafi a été assassiné de sang-froid après les bombardements de l’Otan, les analystes avaient prédit que sa disparition n’allait pas marquer la fin de la guerre. Avec le soutien de certains Libyens, plusieurs pays étaient intervenus dans la guerre civile libyenne aux premiers rangs desquels la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis. Aujourd’hui, toutes les chancelleries occidentales ont quitté la Libye du fait des combats meurtriers et autres violences qui s’y déroulent sans avoir réalisé leur rêve d’instaurer la démocratie et de garantir la liberté du peuple libyen. Quel avenir réserve-t-on au pays du guide libyen ?

Les événements de 2011 ont précipité le pays dans une guerre civile tribale dont on se demande bien quelle pourrait être l’issue aujourd’hui. On peut se demander d’ailleurs si la situation n’était pas finalement moins mauvaise du temps de Mouammar Kadhafi, même si l’on connaît tous les aspects révoltants de son régime, car depuis sa mort, meurtres, règlements de comptes, tortures, arrestations arbitraires, viols, massacres font dorénavant partie du quotidien des Libyens.

La situation s’est encore dégradée depuis plus de deux semaines du fait des affrontements entre milices rivales, causant la mort de près de 200 personnes. Ce qui a contraint les capitales occidentales à demander à leurs ressortissants de quitter la Libye et de fermer leurs représentations diplomatiques à Benghazi. Le ton a été donné par les États unis, suivis dans la foulée par la Grande-Bretagne. Aussitôt, l’Allemagne, la France et d’autres capitales européennes leur ont emboîté le pas.

Il y a lieu de se demander pourquoi ce départ inopiné lorsqu’on sait que les Occidentaux s’étaient rués à Benghazi, le berceau de la révolution, dès la fin de la guerre civile en Libye dans le but inavoué de décrocher des contrats de reconstruction de ce qu’ils avaient détruit.

Le ministre britannique des Affaires étrangères justifie ce départ par le fait que, selon lui, « une menace spécifique et imminente » visant les Occidentaux en Libye et principalement à Benghazi est avérée. « À l’heure qu’il est, nous ne pouvons pas faire de commentaire sur la nature de la menace… L’ambassade britannique à Tripoli est en contact avec les ressortissants britanniques dont elle a les coordonnées pour leur demander de quitter Benghazi », a-t-il indiqué.

De son côté, l’ancien diplomate français en poste à Tripoli, Patrick Haimzadeh, note que la Libye est en train de se fragmenter. « Une tragédie se déroule. Les Libyens ont déchanté, car il n’y a pas d’avenir pour leurs enfants. Personne ne sait ce qu’il adviendra dans dix ans de ces pays, Syrie, Irak, Libye, tous des ex-colonies qui ont subi ou subissent encore un régime autoritaire, ni s’ils existeront encore », souligne-t-il.

Malgré l’alerte d’une menace en Libye, les Occidentaux continuent d’assister, impuissants, aux affrontements entre milices rivales. Et leur marge de manœuvre est réduite parce les Libyens — islamistes d’un côté, et libéraux de l’autre -, veulent diriger eux-mêmes leurs pays et contrôler l’exploitation de l’or noir.

L’intervention de l’OTAN était-elle nécessaire ?

Jean-Yves Moisseron de l’Institut pour la recherche et le développement (IRD) pense que la situation en Libye s’explique par le fait que les schémas occidentaux sur la nécessité d’institutions régaliennes ne sont pas en adéquation avec la société libyenne. « La notion d’État ne fait pas sens en Libye », souligne-t-il. Le chercheur évoque un État « fantoche, doté d’embryons d’institutions régaliennes, instrumentalisées dans les logiques tribales ». Il relève par ailleurs que le partage du profit des immenses ressources pétrolières, parmi les plus importantes d’Afrique, a généré la crise actuelle. « Les alliances tribales n’acceptent plus le partage des ressources pétrolières tel qu’il est. La Libye a atteint un point de paroxysme de la crise, entre ceux qui contrôlent les ressources pétrolières et les islamistes. On assiste à l’effondrement de ce qui reste des structures centrales de l’État », fait-il observer. C’est-à-dire qu’avec les richesses en hydrocarbures dont dispose la Libye, les tribus locales considèrent qu’elles n’ont pas besoin des Occidentaux pour reconstruire leur pays.

Devant le chaos libyen, plus d’un observateur se pose la question de savoir si l’intervention militaire de l’OTAN dans ce pays était nécessaire. Pour Stefano Silvestri de l’Institut des affaires italiennes, l’intervention occidentale ne peut être critiquée. « Cela devait être fait, mais l’absence d’actions successives pour stabiliser la situation a été clairement une erreur », affirme-t-il, déplorant l’absence de volonté d’installer une présence militaire sur le sol libyen pour favoriser la reconstruction.

Il est loin le temps où Nicolas Sarkozy pouvait s’afficher fièrement comme le sauveur du peuple libyen : depuis trois ans, la Libye ne parvient pas à se stabiliser. À ce sujet, le journal Le Monde écrit : « La violence en Libye, qui dure depuis des mois, a pris une nouvelle dimension. Plus de cent morts en deux semaines d’affrontement, des combats qui s’intensifient près de Tripoli et à Benghazi, une menace de voir exploser un gigantesque dépôt de carburant aux portes de la capitale, sur fond de coupures d’eau, d’électricité et d’internet, alors que se confirme l’absence d’autorité centrale et que les étrangers quittent le pays aussi vite qu’ils le peuvent. »

Pourtant, la mission de l’OTAN était d’instaurer la démocratie dans le pays de Mouammar Kadhafi. Malheureusement, les données actuelles du pays prouvent qu’il n’en est rien. En 2010, sous le règne du guide libyen, il y avait dans le pays 3,8 millions de Libyens et 2,5 millions de travailleurs étrangers, soit 6,3 millions d’habitants. Aujourd’hui, 1,6 million de Libyens sont en exil, et 2,5 millions d’immigrés ont fui la Libye pour échapper aux agressions racistes. Il reste environ 2,2 millions d’habitants.

Dans le sud du pays, les mouvements terroristes règnent en maître. Il est devenu le nouveau sanctuaire des terroristes du Sahel, en particulier d’al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), et les trafiquants y ont trouvé une nouvelle porte d’accès pour atteindre l’Europe.

Nestor N'Gampoula et Fiacre Kombo