Marcel Célyre : « C’est un acte civique, un geste écologique que de créer des œuvres d’art à partir de déchets durs »

Samedi 12 Juillet 2014 - 1:00

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Le mois de la Sape à l’Institut français du Congo (IFC) de Brazzaville, du 3 au 26 juillet, nous donne l’occasion de découvrir la main ingénieuse et l’imagination fertile de l’artiste et sapologue Marcel Célyre, père du « boubellisme », un nouveau style dans le monde des arts plastiques congolais. Entretien

Les Dépêches de Brazzaville : Qui est Marcel Célyre ?
Marcel Célyre : Je suis un artiste congolais né à Dolisie. Bouillonnant d’inspiration depuis mon enfance, j’ai fait un peu de tout : la danse et le rap, la coiffure mixte, le théâtre, la sculpture du bois et de la pierre, la céramique et la peinture. Fuyant la guerre en 1997, je me suis refugié au Gabon. C’est là-bas où je me suis perfectionné dans les arts plastiques. À mon retour au pays en 2008, j’ai créé une nouvelle façon de m’exprimer, le boubellisme. Je suis donc le premier boubelliste à la face du monde.

Que signifie le concept « boubelle » ?
Boubelle est un mot formé à partir de bouteille et poubelle. Le boubellisme est une nouvelle technique d’art  qui consiste à embellir les bouteilles des poubelles pour produire des boubelles, c'est-à-dire des bouteilles sous de multiples formes de corps beaux qui relèvent de différentes thématiques.

D’où vous est venue une telle inspiration?
En tout cas, je ne peux l’expliquer. Une chose est sûre, j’incarne une certaine liberté d’expression, cela couplé à la maîtrise de plusieurs matières. Dans mon enfance, je me souviens d’avoir vu des bouteilles dame-jeanne décorées. À cette époque, il y avait déjà des vieux qui décoraient des bouteilles. Un jour il m’est venu à l’esprit de mettre une bouteille à l’envers et d’ajouter une ampoule inversée servant de tête afin d’obtenir une forme humaine. C’est là qu’est née la première boubelle.

Vous exposez actuellement des boubelles ayant la forme de sapeurs. Comment expliquer ce passage du boubellisme à la Sapologie ?
En séjournant au Gabon, en Angola, en Guinée équatoriale... j’ai découvert que l’image qu’on a du Congolais est celle du sapeur, c'est-à-dire un habilleur de classe qui sait bien agencer les couleurs et qui connaît parfaitement les accessoires des vêtements. Beaucoup de gens venaient me demander de leur nouer la cravate et de les aider dans le choix des habits. Cela m’a poussé à faire des recherches sur la Sape pour mieux expliquer l’art de l’habillement. D’où la création des boubelles qui se présentent aujourd’hui comme des témoins de la Sape.

Êtes-vous passé par l’académie des Beaux-Arts?
Non, je suis un autodidacte. L’expérience des différents arts m’a forgé et ouvert l’esprit pour pouvoir créer des choses que je n’ai jamais vues auparavant. C’est peut être un don du destin.

Où trouvez-vous le matériel ?
Je suis devenu écologiste. Je collectionne les bouteilles et les morceaux de fer jetés dans la rue ou dans les poubelles. Pour moi, c’est d’abord un acte civique, un geste écologique que celui de créer des œuvres d’art à partir de déchets durs. Lesquels me permettent de faire le métissage des objets recyclés. Mes œuvres sont faites en effet de plusieurs matières, verrerie, fer, bois, céramique. Je vis et je fais vivre ma famille grâce à cela.

Y a-t-il un projet qui vous tient à cœur pour l'avenir?
Je projette de réaliser la « cours-quest », cela reste une surprise pour l’avenir. Je souhaite aussi rénover la Sape en vue de corriger certaines mœurs. Car la sape, ce n'est pas se déshabiller mais au contraire bien s’habiller. Et j’entends répandre l’art du boubellisme soit à l’académie des Beaux-Arts, soit par des ateliers pour permettre au Congo de s’approprier ce nouveau style afin que je ne sois pas seul, puisqu’on ne vit pas seulement pour soi, on vit également pour les autres. En attendant, j’encadre déjà deux garçons et quatre filles qui sont encore sur les bancs de l’école.

Propos recueillis par Aubin Banzouzi