Marcel Van Opstal : « Seuls les Africains peuvent apporter des solutions durables aux problèmes qui affectent le continent. L’Europe et l’Afrique doivent continuer de travailler pour l’avenir »

Dimanche 30 Mars 2014 - 8:15

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Dans la perspective du sommet Union européenne (UE)-Afrique qui se tient à Bruxelles sur le thème « Investir dans les populations, la prospérité et la paix », l’ambassadeur et chef de la délégation de l’UE en République du Congo, Marcel Van Opstal, évoque dans un entretien exclusif avec Les Dépêches de Brazzaville les enjeux de ces assises consacrées entre autres à la coopération tous azimuts entre l’Europe et l’Afrique

Marcel Van Opstal Les Dépêches de Brazzaville : Bruxelles abrite un sommet UE-Afrique. Quels sont, selon vous, les enjeux de ce sommet à l’heure où la sécurité, la paix et le développement préoccupent fortement le continent africain ?
Marcel Van Opstal : Aller au-delà du partenariat actuel, saisir de nouvelles occasions de coopérer en approfondissant les relations politiques et économiques, car s’agissant des personnes, l’UE est convaincue que l’éducation et la formation sont, en Afrique tout comme en Europe, la clef du développement personnel et collectif ainsi que de la croissance. La prospérité naîtra de la mise en valeur de ce capital humain et des opportunités données à chacun de s’intégrer dans le secteur économique. Les investissements financiers doivent accompagner le capital humain, et c’est la raison pour laquelle la rencontre entre les entreprises est un volet essentiel du sommet de Bruxelles.

Le socle indispensable reste la paix et la sécurité sans lesquelles il n’y a pas de développement. Ainsi, grâce à l’Union africaine, l’Afrique dispose d’une architecture institutionnelle pour prendre des décisions fortes en cas de crise. Le sommet permet de réfléchir au soutien que l’UE peut apporter aux capacités dont dispose l’Afrique pour assurer un meilleur niveau de sécurité sur le continent.

L’UE a toujours été, aux côtés d’autres acteurs, en tête du soutien aux efforts déployés pour doter l’Afrique de ses propres mécanismes de sécurité collective. Nous connaissons bien les défis que cela représente en termes d’efforts financiers, d’équilibres de solidarité, de coordination et de coopération dans la formation et l’équipement pour assurer l’interopérabilité des forces appelées à intervenir ensemble sur un même terrain. Les chefs d’État et de gouvernement traiteront de ce partenariat en particulier.

Pensez-vous que l’Europe, qui connaît une situation économique, politique et sociale interne difficile, puisse aider l’Afrique ?
L’Europe connaît une situation économique difficile, mais, depuis le début de l’année et pour la première fois en trois ans, ses six principales économies sont en croissance. Il n’y a pas de raison de croire que les difficultés vont durer. L’Europe a connu d’autres creux, les années 1930, le premier choc pétrolier en 1974. Le début des années 1990 a été difficile, mais l’Europe a pu s’adapter. Les élections européennes représentent un grand moment pour les démocraties européennes. Leur résultat orientera les décisions européennes dans les six prochaines années au Parlement européen tout d’abord et à la commission européenne. Les institutions ont besoin d’un nouveau souffle régulièrement pour avancer.

L’Europe est-elle prête à s’engager dans un véritable dialogue de refondation de son partenariat avec l’Afrique dans son ensemble ?
Le sommet est l’occasion de faire le point de la coopération actuelle dans les différents domaines de la stratégie commune. Il ne s’agit pas de refonder, mais d’avoir un regard lucide sur le chemin parcouru et de prendre des décisions pour faire mieux. Le partenariat repose sur une base solide. Il faut parcourir le chemin d’un pas plus vif et dans de bonnes conditions de part et d’autre (paix et croissance pour les deux continents). Les responsabilités sont autant du côté européen que du côté africain. Du côté européen, les institutions fonctionnent selon des procédures lourdes, mais l’UE reste la seule organisation régionale au niveau mondial dans laquelle des États souverains ont décidé en toute connaissance de cause de renoncer à avoir certaines politiques nationales pour avoir des politiques communes. L’UA paraît plus active en comparaison, mais il ne faut pas oublier que le degré d’intégration par des politiques communes est moindre.

Ce qui compte, c’est que ces décisions soient le fruit d’un dialogue qui est en cours. Les diplomates des pays africains qui représentent leur pays à Bruxelles sont pleinement impliqués dans le processus qui conduit au sommet. Ils sont la courroie de transmission très active entre leurs ministres des Affaires étrangères et les présidents des institutions européennes ou leurs représentants. Les décisions sont préparées en amont de manière conjointe de façon à ce qu’elles reflètent les intérêts des unes et des autres.

Sur la base de l’existant, des décisions seront prises pour que le partenariat soit plus actif et plus rationnel. Les discussions concrètes auront lieu sur les orientations en matière de changement climatique et d’agenda de l’après-2015. Mais les décisions des acteurs politiques ne peuvent pas être à la base de tout.

Le sommet représente aussi une occasion de se rencontrer avec d’autres Européens et d’autres Africains lors de la cinquième édition du Forum des affaires UE-Afrique, du troisième sommet entre le Parlement panafricain et le Parlement européen, et du troisième sommet Afrique-Europe de la jeunesse. Ces rencontres auront lieu du 31 mars au 1er avril. Je rappelle que le deuxième forum Afrique-UE de la société civile a eu lieu en octobre à Bruxelles et que ses conclusions ont inspiré l’actuel sommet. Il est donc essentiel de garder une vue d’ensemble sur les efforts que nous déployons dans les divers secteurs, car le développement économique et social et la sécurité ne sont que deux faces de la même monnaie. La stabilité de tout pays se base ou requiert des programmes intégrateurs de développement. En même temps, ces efforts ne peuvent prospérer en l’absence de structures étatiques démocratiques respectueuses des diversités et des droits de tous les citoyens. Pour atteindre ces buts, il est en effet indispensable d’assurer un dialogue sincère avec la société civile et les acteurs politiques.

Les Africains estiment que la priorité dans le partenariat UE-Afrique n’est plus l’aide, mais plutôt des échanges commerciaux égalitaires. Qu’en pensez-vous ?
Effectivement, certains font le constat qu’après pratiquement 55 ans d’aide depuis les indépendances et parfois même d’aide massive (ex-Rwanda), les pays africains ont besoin de solutions différentes pour décoller. Les échanges, c’est-à-dire le commerce en sont une à condition que l’offre commerciale des pays africains corresponde à un besoin des consommateurs d’ailleurs, et c’est tout le problème de la diversification de l’économie qui est ainsi posée.

Par ailleurs, la poursuite de l’aide est tout à fait possible sans nuire au développement des capacités agricoles, industrielles et de services. L’un n’exclut pas l’autre bien au contraire surtout s’il faut, et c’est clair, que l’Afrique commerce plus. L’aide peut aussi servir à commencer plus et mieux, par exemple le volet coopération des accords APE et ici même au Congo de l’axe 1 du onzième FED.

Le retard de l’Afrique dans le commerce international ne s’explique pas seulement par le protectionnisme de l’Europe, comme certains voudraient le croire, mais par une concurrence internationale beaucoup plus globale, cf. l’exemple du Vietnam qui produit plus de café arabica que les pays africains, producteurs traditionnels. Il faut que l’Afrique mette en valeur ses productions, ait de nouveaux produits à mettre sur le marché en se diversifiant (cf. l’exemple de l’île Maurice passée de l’économie sucrière à l’économie du tourisme et du textile) et gagne en compétitivité (cf. l’exemple du coût exorbitant des transports dû non seulement au manque d’infrastructures, mais aussi aux ponctions non réglementaires des services douaniers qui pénalisent le commerce régional).

Il ne faut pas se cacher que les résultats seront progressifs. Prenons l’exemple de la révolution industrielle en Europe qui a mis 80 ans pour décoller entre 1820 et 1900. Il faut saluer les autorités congolaises qui l’ont bien compris en faisant de 2013 l’année de l’éducation.

L’UE est de loin le principal partenaire commercial de l’Afrique. Il est également, et de loin, son principal partenaire au développement et à l’investissement. Les montants de notre coopération sont l’illustration évidente de notre volonté de maintenir et intensifier ce partenariat : l’UE, à travers le Fonds européen de développement, consacrera 20 milliards d’euros à l’aide au développement en Afrique pour la période 2014-2020. Mais nous partageons un objectif commun, à savoir créer les conditions qui rendront cette aide superflue et qui permettront de transformer durablement l’aide publique en investissement.

Permettez-moi de revenir sur trois aspects en particulier : nos relations commerciales, l’investissement et l’agriculture. Premièrement, le commerce. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler un fait simple, parfois oublié. Aujourd’hui, l’Europe est le principal partenaire commercial de l’Afrique. Cette relation ne décline pas : entre 2007 et 2012, le volume des importations et des exportations avec l’Afrique a augmenté de près de 50%. L’accord de Cotonou a permis d’offrir aux pays d’Afrique subsaharienne le régime commercial le plus généreux de l’histoire : l’accès libre de droits de douanes et taxes aux marchés européens sans réciprocité pour la partie européenne. Aujourd’hui, nous souhaitons maintenir ce régime avantageux pour les pays d’Afrique tout en le rendant compatible avec les dispositions de l’OMC. Nous voulons le faire également en encourageant l’intégration régionale et le développement des industries porteuses de croissance. Ces objectifs sous-tendent nos accords de partenariat économique. Nous venons de franchir avec l’Afrique de l’Ouest une étape très importante dans cette perspective. En effet, les négociations de l’accord de partenariat économique avec la Cédéao viennent de s’achever, et nous espérons pouvoir procéder prochainement à sa signature et ratification.

Deuxième point, l’investissement. L’Afrique est relativement pauvre en capital. L’UE est déterminée à encourager le développement des infrastructures en recourant à des formules mixtes alliant aide au développement et investissement privé. Les montants de l’aide publique au développement, même cumulés avec les contributions d’autres partenaires comme la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement, ne peuvent pas soutenir la comparaison avec les montants disponibles sur les marchés de capitaux privés. Près de 50% des capitaux étrangers en Afrique sont européens. Mais pour continuer à attirer davantage ces derniers, il n’y a pas de recettes secrètes… outre l’amélioration du climat économique, la lutte contre la corruption, la création d’un environnement macro-économique stable et une fiscalité prévisible.

Enfin, le troisième point concerne le domaine agricole. Il se trouve que nous célébrons avec l’UA l’Année de l’agriculture. Voici le secteur qui compte aujourd’hui encore le plus grand nombre d’emplois sur le continent. Et pourtant, combien d’efforts sont encore nécessaires pour garantir la sécurité alimentaire pour tous ? L’UE est aux côtés des États et des peuples africains pour promouvoir une meilleure résilience et assurer la commercialisation des biens agricoles. C’est une telle transformation qui a permis de libérer les économies chinoise et indienne, et c’est la même qui est nécessaire aujourd’hui en Afrique. C’est ce même partenariat étroit entre l’investissement public et les fonds privés qui doit guider l’essor agricole africain sur la base d’initiatives telles la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition, lancée par le G8 en 2012, en coopération avec l’Union africaine.

L’Europe est-elle consciente que le partenariat actuel n’a pas permis d’impulser une nouvelle dynamique dans les relations bilatérales avec le continent africain ?
Oui ! elle est consciente que tous les objectifs n’ont pas été atteints, mais n’est-ce pas couru d’avance lorsque l’on est très ambitieux au départ ? Un partenariat modeste aurait eu des résultats modestes et les objectifs auraient été atteints, mais est-ce ce que nous voulons ?

Le sommet de Bruxelles ne sera-t-il pas une rencontre de plus pour affirmer uniquement le poids historique des relations Europe-Afrique ?
Il n’en prend pas la voie. Le partenariat UE-Afrique est entièrement tourné vers le futur. L’Afrique connaît aujourd’hui des mutations rapides et considérables. La jeunesse de sa population, le dynamisme de ses sociétés, l’ampleur de ses ressources naturelles offrent au continent des perspectives extrêmement favorables. Pour autant que ces énergies, ces capacités de travail et cette richesse soient mises à bon usage. D’ores et déjà, l’Afrique affiche un taux de croissance consolidé élevé en comparaison à d’autres continents, et l’intérêt des investissements s’accroît de manière ostensible. L’Afrique évolue également sur le plan politique. Presque partout, la stabilité et la transparence démocratique tendent à l’emporter sur l’autoritarisme. C’est le surgissement de cette nouvelle Afrique que l’on a tant attendu… Certes des États entiers se sont effondrés. Mais, ces cas isolés ne doivent pas oblitérer notre jugement.

L’Europe change, elle aussi, et cela bien plus que nous ne l’imaginions. L’UE s’est élargie au cours des dix dernières années : de quinze États membres, elle en compte aujourd’hui vingt-huit, dont certains ont gagné leur indépendance bien après les États africains. Notre union recoupe maintenant une bonne partie du continent européen, du Portugal au sud jusqu’en Finlande dans le nord, de l’Irlande à l’ouest jusqu’à la Bulgarie à l’est. Aujourd’hui, c’est avec une nouvelle Europe que l’Afrique a rendez-vous. Cette nouvelle Europe veut être un partenaire de l’Afrique. Elle n’a plus aucune nostalgie du passé. Elle n’a pas d’ambitions géopolitiques. Elle estime que l’Europe et l’Afrique ont des intérêts communs et des valeurs communes. C’est pourquoi l’Europe et l’Afrique doivent travailler ensemble, être partenaires pour avancer.

En ce qui concerne le Congo, quels sont les projets phares à réaliser dans les prochaines années ?
À l’horizon 2014-2020, l’enveloppe budgétaire qui a été dégagée est de 103 millions d’euros. Donc, il y a une augmentation de l’enveloppe. Elle sera destinée à deux secteurs principaux de concentration. Le premier va toucher la gouvernance économique, commerciale et forestière. Cela veut dire que nous poursuivrons les actions qui sont menées aujourd’hui pour l’amélioration du climat des affaires afin de poursuivre le renforcement des capacités commerciales et entrepreneuriales tout en maintenant des efforts au niveau de la réforme et de la gestion des douanes. Ce sont des activités qui visent à accompagner la diversification économique, tout en travaillant sur les aspects liés à l’environnement des affaires. En ce qui concerne le forestier, nous avons signé avec la République du Congo un accord de partenariat volontaire sur la traçabilité des exportations, la gouvernance du secteur forestier et la légalité des exportations de bois. Nous allons maintenir nos efforts et faire en sorte que cet accord de partenariat puisse être mis en œuvre.

S’agissant du deuxième secteur, nous nous lançons un défi à nous et au gouvernement congolais. Il s’agit d’appuyer la décentralisation. Nous pensons qu’il est essentiel aujourd’hui d’appuyer la décentralisation, encourager la mise en place d’une administration publique décentralisée au niveau des districts et communes. Ainsi, notre deuxième domaine d’intervention sera un appui à la mise en place de la décentralisation. Il sera question de choisir deux ou trois districts décentralisés où nous encouragerons le développement local de façon participative.

Propos recueillis par Guy-Gervais Kitina et Yvette-Reine Nzaba