Marché pétrolier : l’économiste Guy Maisonnier décrypte la baisse du cours du pétrole

Jeudi 23 Octobre 2014 - 17:15

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Guy Maisonnier, ingénieur économiste au sein de la direction Économie et veille d’IFP Énergies nouvelles (ex-institut français du pétrole) analyse pour Les Dépêches de Brazzaville l’importante baisse enregistrée ces derniers mois sur les cours du pétrole. Le pétrole représente environ 80% du total des exportations du Congo. 

Les cours du pétrole sont en baisse ces derniers mois et les analystes prédisent que cette tendance va se poursuivre. Pouvez-vous nous donner des éléments de repère ?

En mai dernier,  les cours se situaient autour de 110 dollars le baril pour le Brent. On est tombé aujourd’hui à 85 dollars le baril soit une diminution de près de 30% en 5 mois. Par rapport à la moyenne annuelle de 106 dollars le baril actuellement, cela représente un recul de 20 dollars. Il faut remonter à novembre 2010 pour retrouver des prix aussi faibles.

À quoi est due cette chute des cours ?

Le contexte est relativement complexe et cette baisse trouve son origine dans plusieurs raisons. La principale cause de ce retournement des marchés est liée à l’inquiétude sur la croissance économique mondiale. Le contexte à ce jour est en effet peu optimiste : stagnation de la croissance européenne qui est renforcée par l’effet des sanctions sur la Russie en particulier pour l’économie allemande ; inquiétudes pour le marché américain, croissance en recul des pays émergents comme le Brésil, l’Argentine, le Venezuela ou la Chine. Ces inquiétudes ont entrainé à la baisse les marchés financiers mais aussi les marchés monétaires marqués par une forte progression du dollar. Dans le même temps sur le marché pétrolier, la production libyenne connaît une hausse relativement forte depuis juin, à hauteur de 0,5 millions de barils par jour alors que la situation intérieure du pays est encore très instable. Cela a surpris le marché. Par ailleurs la production irakienne n’est pas affectée par la situation interne. Il existe aussi une dernière interrogation sur ce que fera l’Arabie saoudite et plus généralement l’OPEP pour réguler le marché. C’est l’ensemble de ces facteurs qui a pesé sur les prix du pétrole. 

Peut-on anticiper quand la tendance va s’inverser ?

Il existe en fait deux mouvements sur le marché pétrolier. Un mouvement structurellement baissier qui a fait passer le Brent de 111 dollars le baril en 2011 et 2012 à 108 dollars en 2013 et autour de 100 dollars cette année. Cette pression baissière sur le marché s’explique en grande partie par la hausse de la production américaine liée aux huiles de schiste. Au-delà de ce mouvement structurel, on observe des corrections baissières régulières de nature et a priori conjoncturelles comme actuellement. Certains éléments font penser que cette baisse est probablement excessive et que l’on est au moins arrivé à un point bas. On observe d’ailleurs une remontée des cours, et l’enjeu est de savoir si l’on reviendra autour des 90-100 dollars le baril qui correspondent aux prix que l’on considère comme tenables pour garantir les investissements au regard des coûts de production de l’offshore très profond ou des huiles de schiste.

Quels sont les éléments clés pour faire repartir les prix à la hausse ?

Le retour de la confiance économique et la réaction OPEP seront les éléments clef. Si l’on a, ainsi qu’il est envisagé, un léger surplus pétrolier en 2015,  avec la poursuite de la hausse de la production des non-OPEP, notamment américaine, il faudra que l’OPEP ajuste sa production. Une baisse pourrait être difficile à gérer pour cette organisation si dans le même temps la Lybie parvient à augmenter sa production, car nous sommes encore à des niveaux inférieurs à ce qu’elle produisait avant la crise. L’enjeu de la levée ou non de l’embargo sur l’Iran va également peser. Mais les pays OPEP ont des besoins budgétaires importants et doivent maintenir des prix au minimum à 80-90 dollars le baril pour certains voire à plus de 100 dollars pour d’autres. Une « guerre » durable des prix pourrait avoir des conséquences très négatives.

Peut-on imaginer la remise en cause de certains projets, notamment dans l’off-shore très profond ?

Les coûts moyens de l’off-shore sont estimés entre 50 et 80 dollars le baril en tenant compte des coûts complets investissements inclus. Donc si les prix du pétrole devaient se maintenir à des niveaux de 80/85 dollars, cela signifierait des marges très réduites pour les compagnies pétrolières et par voie de conséquence une sélection plus forte des investissements dans l’exploration-production.

Propos recueillis par Rose-Marie Bouboutou