Mémoire : apport du Congo et de l’Afrique dans la libération de Nelson Mandela

Lundi 24 Février 2020 - 13:09

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Le mois de février de chaque année est devenu, depuis 1990, un moment d’ambiance festive mémorable, non seulement sur le sol sud-africain, mais aussi dans tous les pays épris de paix et liberté parce qu’il vit la libération du héros de la lutte contre l’apartheid qui a marqué la fin du régime raciste. Une libération rendue possible grâce à la contribution remarquable du continent africain, du Congo et de son président qui, durant son premier mandat à la tête de l’OUA - actuellement UA (Union africaine) -, incita ses pairs à mener un « combat emblématique » contre la ségrégation raciale pratiquée à l’époque en Afrique du Sud.

 

La libération de Nelson Mandela, condamné en 1964 à la prison à perpétuité pour sabotage et complot contre l’Etat, alors qu’il était à la tête de l’aile armée du Congrès national africain (ANC) pour combattre l'apartheid, a été un long processus. Pour y parvenir, l’Afrique adopta une démarche commune proposée par le chef de l’Etat congolais, Denis Sassou N’Guesso, alors président en exercice de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) - juillet 1986 à juillet 1987 - qui avait fait de l’éradication de l’apartheid sa priorité, notamment par son leadership et la dénonciation de cette politique ségrégationniste.

De quelle manière avait-on procédé ? Dans son livre Parler Vrai pour l’Afrique, paru en 2009 aux Editions Michel Lafon en France, Denis Sassou N’Guesso révèle les voies et moyens indirects utilisés pour faire pression sur le régime sud-africain. Parmi ces stratégies, figure celle ayant consisté à demander au Mouvement des non-alignés, réuni en sommet à Harare, au Zimbabwe, de s’engager dans la lutte contre l’apartheid en créant le « Fonds africa » auquel tous les pays non-alignés étaient invités à souscrire. « Le Fonds a été créé et tous les pays membres des Non-alignés ont apporté leur contribution, financière ou en matériel, aux pays de la Ligne de front », relate l’auteur, allusion faite à certains pays de l’Afrique australe qui luttaient pour accéder à l’indépendance.

Evoquant la contribution de son pays, le président relève que le Congo s’est montré particulièrement généreux au sujet du Fonds. « En tout cas tout le pays s’est mobilisé, de l’ancien au plus jeune, du plus riche au plus pauvre, du magasin de quartier au gouvernement. Nous avons lancé un grand mouvement national invitant chaque Congolais, quel qu’il soit et quel que soit son âge, à donner quelque chose, ne serait-ce que quelques FCFA s’il ne pouvait pas plus. Nous avions même incité les enfants des écoles à aller demander à leurs parents une pièce ou un billet qu’ils remettaient à leurs maîtres chargés de collecter l’argent pour notre Fonds. Cette mobilisation de toute la population de notre pays pour cette grande cause fut une totale réussite ! », écrit-il.

Des hommes de lettres associés à la lutte contre l’apartheid

Tout aussi convaincu que le combat contre le régime raciste pouvait être gagné au moyen d’activités culturelles, le chef de l’Etat congolais associa des hommes de lettres à une démarche on ne peut plus offensive : plusieurs chevaliers de la plume prirent part à une rencontre littéraire de portée internationale dans la capitale congolaise. « Dans le même esprit, raconte-t-il, à la fois en tant que président du Congo et président de l’OUA, j’ai réuni à Brazzaville, un symposium mondial des écrivains contre l’apartheid, sur le thème : les écrivains accusent l’apartheid. Ce symposium qui a réuni les écrivains venus de l’Afrique entière et du reste du monde a eu un grand retentissement, au-delà des seuls milieux intellectuels ».

Au plan diplomatique, le Congo organisa une conférence internationale - négociations quadripartites entre Cuba, l’Angola, l’Afrique du Sud sous la médiation des Etats-Unis - ayant débouché sur la signature, le 13 décembre 1988, du Protocole de Brazzaville qui a ouvert la voie à la libération des pays de l’Afrique australe et à la fin de l’apartheid. Le document qui mit fin à une longue guerre entre Angolais, Cubains et Sud-africains, avait donné lieu, le 22 décembre de la même année, à New York, à la conclusion d’un accord de paix entre ces parties. Il en résulta plusieurs retombées du fait, entre autres, des sanctions internationales prises contre le régime raciste sud-africain.

Le Protocole de Brazzaville est donc l’aboutissement de longues et rudes négociations ayant posé le fondement de la libération de l’Afrique australe. « Cette étape, explique Denis Sassou N’Guesso, devait constituer le prélude à l’évolution du régime sud-africain ainsi qu’aux différents processus de démocratisation engagés en Afrique australe et, enfin, à la libération de Nelson Mandela ». « Ces initiatives, entre autres, ont contribué à l’accélération du processus de libération de l’Afrique australe », affirme-t-il, en référence non seulement à la libération de Nelson Mandela, appelé encore Madiba, le 11 février 1990, mais aussi au retrait des troupes cubaines et sud-africaines de l’Angola, à l’indépendance de la Namibie, à l’abolition officielle, le 30 juin 1990, de l’apartheid, et à l’avènement de la nouvelle Afrique du Sud. « Ce qui s’est passé à Brazzaville a donc été un tournant essentiel dans la libération d’une bonne partie de l’Afrique et, comme tous les Congolais, je suis fier du rôle que notre pays y a joué », s’en félicite le chef de l’Etat congolais.

Libéré, Madiba arrive à Brazzaville en 1991

Informé des efforts déployés par le Congo pour parvenir à l’accord de Brazzaville, et dans le but de rendre hommage à la part que le pays y avait prise, le président George Bush père invita officiellement son homologue congolais à effectuer une visite d’Etat aux Etats-Unis. En partance vers le continent américain, une nouvelle surprenante fut annoncée aux personnes à bord de l’avion. « Et c’est alors que j’étais en vol vers Washington, au-dessus de l’Atlantique, que le pilote nous a annoncé…que Nelson Mandela venait d’être libéré ! (…). C’était indescriptible ! Tous les Congolais qui étaient dans l’appareil sautaient de joie, riaient, pleuraient, criaient, trépignaient sur leur siège. A tel point que j’ai demandé au pilote si tous ces mouvements ne risquaient pas de déstabiliser l’avion. Il m’a, bien sûr, rassuré : Tant qu’ils ne quittent pas leur place, les passagers peuvent crier et boire tant qu’ils le veulent ! Et je peux vous dire qu’ils ne s’en sont pas privés : toutes les bouteilles de champagne de l’avion ont été vidées ! », commente Denis Sassou N’Guesso. « Ma première déclaration me félicitant de la libération de Nelson Mandela, je l’ai donc faite dans l’avion, au-dessus de l’Atlantique, sur le chemin de l’Amérique », souligne-t-il.

Un an plus tard, soit le 11 février 1991, Nelson Mandela était arrivé à Brazzaville où il célébra sa libération aux côtés du chef de l’Etat congolais, à qui il rendit hommage ainsi qu’à son peuple pour leur soutien multiforme à la cause de la libération de l’Afrique australe. Du séjour brazzavillois de Nelson Mandela, le président Denis Sassou N’Guesso garde sans doute de mémorables souvenirs. « Ce soir-là, écrit-il, à l’issue du banquet donné à la présidence, à Brazzaville, il était près de minuit, Nelson s’est mis à danser sur la musique ! Myriam Makeba qui était présente, prise soudain par l’émotion, a fondu en larmes. Se tournant vers moi, elle m’a dit : C’est la première fois qu’il danse depuis qu’il a été libéré ! ».

Au regard du rôle joué par le Congo, des voix s’accordent en Afrique et partout dans le monde à dire que Brazzaville a occupé la place de fer de lance dans la lutte contre l’apartheid et la libération du plus célèbre prisonnier politique du siècle passé.

 

 

 

 

Nestor N'Gampoula

Légendes et crédits photo : 

Nelson Mandela et Denis Sassou N'Guesso

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