Noël Kodia-Ramata : « Il est absurde qu’un auteur donne de l’argent à un éditeur pour se faire publier »

Dimanche 25 Février 2018 - 15:23

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Noël Kodia-Ramata est un écrivain et universitaire congolais. Il s'est consacré pendant environ trois décennies à explorer la littérature de son pays. À travers cet entretien, il témoigne de son parcours d'homme de lettres et de la situation des écrivains du Congo-Brazzaville.

 

 

 

 

Les Dépêches de Brazzaville : Vous êtes professeur de lettres, critique littéraire et écrivain. Qu'est-ce qui prime parmi les trois statuts ?

Noël Kodia-Ramata : Professeur de lettres, j’ai commencé à griffonner quelques textes sur les bancs du lycée avec des amis comme Jean Blaise Bilombo Samba et Matondo Kubu Turé, pour ne citer que ces deux amis qui ont écrit leurs noms sur la liste des écrivains du pays. En ce temps-là, nous lisions déjà les difficiles textes de Césaire et Tchicaya U Tam’Si. Mais l’écrivain s’est réveillé en moi au cours de ma fonction de professeur de lycée en rencontrant Léopold Pindy Mamansono, un amoureux des lettres incontestable et incontesté. Plus tard, chargé de cours à  l’ENS (Université Marien Ngouabi) après ma thèse de littérature française à Paris IV-Sorbonne en 1986, je me suis intéressé à la critique littéraire après avoir approfondi ma réflexion sur le Nouveau roman (que j’avais déjà découvert à la fac des Lettres de Brazzaville auprès du Pr Bernard Magné) avec une thèse sur l’œuvre de Claude Simon tout en côtoyant les férus de littérature comme Michel Butor, Alain Robbe-Grillet, Jean Ricardou et d’autres tenants de cette nouvelle écriture romanesque. Enseignant à la retraite vivant entre Brazzaville et Paris, je m’intéresse à la critique tout en poursuivant la création littéraire qui sommeillait en moi depuis le lycée.

LDB: Depuis plus de vingt ans, vous vous intéressez à la littérature congolaise. Quel bilan en faites-vous ?

NKR : Bilan agréable et largement positif dans la mesure où cette littérature est en mouvement. Et pour avoir eu comme mentor Jean Baptiste Tati Loutard, mon professeur de littérature à Marien Ngouabi et pour avoir découvert, à travers lui, l’Anthologie des premiers écrivains de notre pays comme Jean Malonga, Guy Menga, Sylvain Bemba, Patrice Lhoni et bien d’autres car la liste est longue, je me suis intéressé moi aussi à notre littérature. En 1991, mon ami, l’écrivain Zounga Bongolo, alors directeur de l’hebdomadaire La Rumeur qui deviendra par la suite La Rue Meurt, me propose de m’occuper de la page culturelle du journal. Et c’est à ce moment que je vais commencer à mettre en relief les écrits de nos compatriotes. Ce travail me conduira quelques années après à publier le premier « Dictionnaire des œuvres littéraires congolaises ». En ce moment, je m’intéresse surtout à la nouvelle génération dont l’écriture est féconde et prolifique.

LDB: Vous avez lu et côtoyé beaucoup d'écrivains congolais durant votre parcours, quels sont ceux qui vous ont le plus marqués et pourquoi ?
NKR : La plupart des écrivains, que ça soit de la vieille et ou la nouvelle génération, que j’ai lus ou rencontrés m’ont plus ou moins marqué dans leur « façon d’écrire ». Mais il y a Emmanuel Dongala que je considère comme l’un des meilleurs romanciers de notre pays: il écrit peu, mais très bien; avec lui, il y a du théâtre dans la prose qui vous pousse à s’éclater. Aussi, j’essaie de faire comme lui comme dans « Drôles d’histoires françafricaine » ou « La fesse de l’histoire Takuu dia Samuu ». Sony Labou Tansi est aussi un géant du roman congolais pour l’avoir fait sortir des sentiers battus de la critique traditionnelle. En poésie, il y a Tati Loutard qui a fait un mariage sérieux entre la poésie française et les réalités congolaises ; je lui avais déjà consacré une étude critique  Mer et écriture chez Tati Loutard publié à Paris en 2006.

LDB: S'il s'agissait de faire une étude comparative avec les écrivains d'autres pays ou d'autres continents, en quoi la littérature congolaise est-elle particulière?

NKR : La littérature congolaise se nourrit de sa propre histoire et évolue dans l’espace et le temps. La première génération s’est fondée  sur l’histoire coloniale, d’avant les indépendances et celle d’après la Révolution des 13, 14 et 15 août 1963. Actuellement, les écrivains se fondent particulièrement sur l’ère démocratique avec ses méandres telles la critique de la dictature démocratique et les guerres civiles engendrées par le multipartisme.

LDB: Pensez-vous que les lettres sont encore d'une grande utilité aujourd'hui ?

NKR: Les lettres ont été d’une grande utilité dans toutes les sociétés. Les philosophes des Lumières en sont la preuve dans la société occidentale. Au Congo, les politiques n’ont pas encore tous compris l’utilité des lettres, sauf quand ils s’approchent des hommes de lettres pour leurs discours. Depuis un certain moment, pour comprendre l’utilité des lettres, il y a un phénomène remarquable dans notre société : on va maintenant de la politique à l’écriture (hommes politiques devenant des écrivains) alors qu'au temps la première génération, on allait de l’écriture à la politique (écrivain s’intéressant à la politique).

LBD:  À quels types de difficultés le monde du livre est confronté aujourd'hui ? Et comment comptez-vous y remédier?

NKR : Le livre est confronté aux problèmes d’édition. Il est absurde qu’un auteur donne de l’argent à un éditeur pour se faire publier. Et il y a aussi le problème des droits d’auteurs que les écrivains ne perçoivent presque pas car ils ne savent pas comment fonctionnent les instances qui s’en occupent. Et les éditeurs profitent de cette situation pour les gruger. Il faut que le ministère de la Culture et des Arts réfléchisse sur les droits des écrivains : voir comment ceux-ci devraient profiter de leurs produits comme les artistes musiciens le font avec leurs œuvres qui sont diffusées dans les lieux publics tels les bars-dancing et les transports publics. Des livres sont lus publiquement et empruntés dans les bibliothèques du pays et leurs auteurs n’aperçoivent jamais leurs droits de prêt en bibliothèques, droits qui existent bel et bien sous certains cieux. À propos des droits d’auteurs, comment voulez-vous que certaines maisons d’édition imposent l’achat d’un certains nombres d’exemplaires à l’auteur ? Et que ses droits lui seraient versés à partir de la vente d’au moins 200 exemplaires. Alors que nous savons très bien que les jeunes écrivains en manque de promotion se vendent difficilement.
 

Quelques publications de Noel Kodia Ramata:
-La voix de Lumumba ou les Conjurés de janvier 1961 (théâtre), 1977
-Les enfants de la guerre ou éteindre le feu par le feu ? (roman), éd. Menaibuc, Paris, 2005.
-Mer et écriture chez Tati Loutard, (étude), éd. Connaissance et Savoir, Paris, 2006
-Fragment d’une douleur au cœur de Brazzaville (poésie), éd. L’Harmattan Paris, 2009
-Dictionnaire des œuvres littéraires congolaises, (étude), éd. Pari, Paris, 2009
-Un journaliste blanc sous le soleil de l’équateur, (roman), éd. Edilivre, Paris, 2010
-Réflexions et démocratie pluraliste, (essai), éd. ICES, Paris, 2012
-Drôles d’histoires françafricaines ou la fesse de l’affaire, (nouvelles), éd. Langlois Cécile, 2014
-Au-delà des maux ou Du sang des larmes des uns et des autres, (roman), éd. Langlois Cécile, 2016

En collaboration

-L’Unité africaine freine-t-elle l’Unité des Africains : Retrouver la confiance entre les dirigeants et le peuple-citoyen, sous la direction d'Yves Amaizo, éd. Menaibuc, Paris, 2005
-« La littérature du Congo-Brazzaville : Du roman d’exil à l’exil du roman » in Essays in French literature and Culture n°52, University of Western Australia, 2008

Propos recueillis par Aubin Banzouzi

Légendes et crédits photo : 

Noël Kodia-Ramata

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