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Pléthore chronique des effectifs des agents de l’État : la culture de l’excellence s’impose

Mercredi 29 Avril 2015 - 15:45

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La structure des emplois de la Fonction publique et celle des entreprises d’État du Congo se caractérisent par une pléthore chronique des effectifs des agents et par un encadrement disproportionné.

En cause, la culture de la médiocrité promue par les cadres qui administrent l’État, à travers une gestion bureaucratique, héritée de l’ex-Union des Républiques socialistes  soviétiques. Le principe de Peter permet d’en comprendre les effets délétères. Ce principe indique que la taille des organisations bureaucratiques s’accroît anarchiquement lorsque leur système de gestion pousse les cadres à atteindre rapidement leur niveau d’incompétence, et que ceux-ci s’entourent des collaborateurs plus incompétents qu’eux-mêmes. Ces collaborateurs s’entourent eux aussi d’autres collaborateurs plus incompétents jusqu’à ce que les effectifs des agents incompétents dépassent ceux des agents compétents et que ces derniers créent un marché parallèle pour monnayer leurs services aux usagers. La structure qui en résulte est contre performante.

Des chiffres édifiants

En effet, sur le plan quantitatif, les effectifs des agents de l’État du Congo ont augmenté de 1,98% en passant de 76.680 agents en 1984 à 78.200 en 2010, rattrapant le niveau pléthorique de 1994, année de la grande reforme qui suivit les mesures d’austérité sociale imposées dès 1986 par les Plans d’ajustement structurel de la Banque mondiale. Parmi ces agents, 19% sont des cadres, 41% des agents de maîtrise, 30% des techniciens et employés et 10% des ouvriers. Plus de 60% des agents  sont cadres ou assimilés, alors que la masse salariale a plus que doublé, en passant de 82,6 milliards FCFA en 1984 à 179,5 milliards FCFA en 2010.

Dans les entreprises privées, les effectifs du personnel ont baissé de 36,56% en passant de 50.000 salariés en 1984 à 35.565 en 2010, alors que ceux des entreprises d’État ont baissé de 64,15% en passant de 31.720 à 11.372 salariés, grâce aux licenciements économiques et aux liquidations de plusieurs entreprises chroniquement déficitaires et aux effectifs pléthoriques. L’État reste le principal employeur au Congo, malgré la libéralisation de l’économie, avec 68,39% des emplois pourvus en 1984 contre 71,58% en 2010.

Sur le plan qualitatif, les notes du Congo concernant le climat des affaires et la gouvernance, attribuées par la Banque mondiale, ou celles de la corruption, attribuées par Transparency International, se dégradent d’année en année. Pour le climat des affaires, le Congo a perdu 32 places en 10 ans, en passant du 146e rang en 2005 au 178e rang en 2015. Pour les indicateurs de la gouvernance, en dehors de la stabilité politique où le Congo enregistre un succès important, en passant de 9,62% en 1996 à 29,86% en 2015, les autres indicateurs se déprécient de plus en plus. Ce sont les cas de la qualité de la réglementation (de 17,79% à 15,64%), la voix de responsabilité (de 10,29% à 8,13%), l’efficacité gouvernementale (de 8,29% à 11%), la primauté du droit (de 9,57% à 13,74%) et le contrôle de la corruption (de 10,24% à 10,53%). Quant à l’indice de perception de la corruption, le Congo a perdu 12 places en 8 ans, en passant du 140e rang mondial en 2006 au 152e rang en 2014.

L'origine du problème

Ces résultats sont la conséquence de la confrontation de deux cultures antagonistes de la gestion des cadres au Congo, définies selon le degré d’expertise, le lieu de formation et le niveau idéologique de l’encadrement comme le soulignait, naguère, le Président Marien Ngouabi, dans son célèbre discours du 27 décembre 1974, intitulé: «Rectifions notre style de travail ou l’action créatrice des masses et le rôle déterminant des cadres». Il y distinguait d’une part, les cadres compatriotes, ou non adeptes de l'idéologie officielle, formés généralement en Occident et disposant d’une solide expertise technocratique, qu’il considérait comme déphasée. Ces cadres seraient insensibles aux problèmes de l’exploitation des masses populaires dont l'action est créatrice de richesse, et ils développeraient la bourgeoisie bureaucratique, classe sociale estimée comme parasitaire et dangereuse, car ne servant pas les intérêts de la classe ouvrière. D’autre part, les cadres rouges et experts, adeptes de l’idéologie officielle, formés généralement dans le système universitaire local et dans l’ex bloc communiste, en particulier à partir de 1970, lorsque la France, limita sa coopération universitaire avec le Congo, suite à l’affirmation de l’engagement des dirigeants congolais dans la voie du marxisme-léninisme. Ces cadres auraient un rôle déterminant vis-à-vis des masses populaires déshéritées, dont ils encadreraient l'action créatrice.

Mais, le Président Marien Ngouabi soulignait lui-même, le caractère médiocre des compétences de ces cadres rouges et experts, au point de créer une École supérieure du parti à Brazzaville dont les élèves (membres du Parti), sortaient avec au moins un diplôme de niveau licence, permettant l’accès à la catégorie A de la Fonction publique. Destinés à occuper prioritairement les plus hauts postes de l’État, l’influence de ces cadres n’a jamais faibli, même après la liquidation du marxisme-léninisme comme idéologie officielle de l’État en 1990, décidée par le 4e congrès ordinaire du Parti congolais du travail, tenu du 29 juin au 4 juillet 1990, et entérinée par la Conférence nationale souveraine de 1991.

La tension entre ces deux cultures agite encore l’inconscient collectif et se traduit par des recrutements anarchiques et des promotions clientélistes, poussant rapidement les cadres rouges et experts vers leur niveau d’incompétence. Ils s’y embourgeoisent de manière convulsive, en organisant des réseaux de corruption au détriment des masses déshéritées. Les cadres compatriotes sont tenus en marge de ce système, à moins que, pour des raisons du «ventre», ils cèdent leur éthique contre une rente situationnelle.

Ainsi, la gestion de l’emploi public au Congo repose t-elle sur une culture généralisée de la médiocrité dans laquelle l'appartenance idéologique, clanique et tribale sont les principales normes éthiques. Pour l’émergence économique entrevue par le pays d’ici à 2025, l’antidote de cette culture contre-productive est la promotion de la culture de l’excellence, fondée sur l’éthique de la compétence et de la responsabilité.

 

 

 

Par Emmanuel Okamba, Maître de Conférences HDR en Sciences de

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Édition Quotidienne (DB)

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