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Quelle politique de défense pour la France ?

Lundi 26 Mai 2014 - 0:11

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Le débat qui s’est instauré en France ces derniers jours à propos du budget de la défense n’est que le prologue d’une mise à plat des dépenses publiques qui s’annonce douloureuse dans la mesure où elle concerne l’un des éléments clés de la souveraineté nationale. Le fait qu’il ait pris une tournure publique alors que jusqu’à présent il restait limité au petit cercle d’experts astreints au silence montre que l’urgence est plus grande qu’on ne l’imaginait jusqu’à présent. Il appelle donc une réflexion de fond, non seulement de la part des autorités françaises, mais aussi de la part de leurs partenaires extérieurs, africains et autres, qui tôt ou tard se trouveront directement concernés par les choix budgétaires opérés au plus haut niveau de l’État.

En optant pour la dissuasion nucléaire comme elle le fit lorsque le général de Gaulle présidait à ses destinées, la France a sauvé indiscutablement le statut de grande puissance que lui avait valu la victoire des Alliés sur les Allemands en 1944. Mais elle a du même coup initié le processus qui handicape de plus en plus lourdement le système de défense et de sécurité mis en place pour assurer sa prééminence en Europe. Le maintien à niveau des forces nucléaires destinées à contrer des menaces devenues virtuelles s’avère, en effet, incompatible avec l’entretien de forces classiques qui, elles, sont de plus en plus confrontées à des conflits bien réels, sur le sol africain notamment. Compréhensible à l’époque de la « guerre froide » lorsqu’existait effectivement un risque de confrontation direct entre le bloc communiste et les pays occidentaux, l’équation de départ est devenue proprement ingérable au fil des décennies.

Même si la « grande muette » ne le dit pas ouvertement, la réduction continue des moyens financiers qui lui sont affectés par l’État conduit aujourd’hui ses unités les plus opérationnelles au bord du gouffre. Cela alors que le même État exige d’elle des performances sans cesse accrues afin de répondre aux appels pressants de ses alliés tels que le Mali ou la Centrafrique, afin de lutter contre les trafics en tout genre qui se développent dans les zones de non-droit comme la région sahélo-saharienne, afin aussi et probablement de plus en plus de combattre la piraterie qui se développe dans l’océan Indien ou le golfe de Guinée.

Résultat de ce glissement continu vers l’abîme : les plus hauts gradés de l’armée française se déclarent maintenant prêts à démissionner de leurs fonctions si le gouvernement ne fait pas machine arrière. Du jamais vu dans un monde où le silence, la discrétion, la retenue sont toujours perçus comme des vertus cardinales !

Il revient, bien sûr, aux dirigeants politiques français et aux chefs militaires qu’ils commandent de trancher le nœud gordien qui s’est noué au fil des ans et qui menace aujourd’hui les capacités militaires du pays. Mais la pire erreur que les uns comme les autres pourraient commettre serait de tenir à l’écart d’un tel débat leurs alliés et partenaires africains. Si, en effet, l’on peut douter que les armes nucléaires permettent à la France de se maintenir à l’avenir dans le très petit cercle des grandes puissances, il ne fait aucun doute que le maintien de relations étroites et confiantes avec ces mêmes alliés et partenaires lui confère toujours une autorité certaine au sein de ce même groupe.

Pour dire les choses de façon encore plus brutale, si la France veut demeurer une grande puissance elle doit accroître et diversifier l’appui qu’elle apporte à l’Afrique dans la construction des systèmes de prévention et de gestion des crises qui s’imposent aujourd’hui aux gouvernements africains comme l’élément clé de leur stabilité future. Et cela ne peut se faire que si elle associe enfin de façon claire ces mêmes gouvernements à la réflexion qu’elle va devoir engager sur l’évolution de son propre système de défense.

Les compétences ne manquent pas en Afrique pour accompagner de façon efficace ce travail de mise à niveau. Il suffit de les mobiliser.

Jean-Paul Pigasse

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Édition Quotidienne (DB)

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